bilaterals.org logo
bilaterals.org logo
   

Cameroun: PHP une exploitation de bananes au goût amer

Journal du Cameroun- 27/04/2011

Cameroun: PHP une exploitation de bananes au goût amer

Par Fanny Pigeaud

Nous publions un reportage de Libération (18 mai 2009) sur les Plantations du Haut Penja qu’a visité Alain Joyandet lors de son passage au Cameroun

Lors de son passage au Cameroun, en mars, le secrétaire d’Etat français à la Coopération Alain Joyandet a visité les Plantations du Haut Penja (PHP), le premier producteur de bananes du pays. S’agissait-il d’une marque de soutien pour cette société, détenue à 60 % par la Compagnie fruitière, basée à Marseille, et près de 40 % par l’américain Dole et par des actionnaires privés camerounais, et qui est très critiquée depuis quelques mois ? Dans un récent rapport, le Comité catholique contre la faim et le développement (CCFD) et Oxfam-Agir ici la classent parmi les entreprises «peu scrupuleuses» que l’Union européenne (UE) devrait contrôler. Parmi les faits relevés : accaparement des terres au détriment des paysans locaux et par des procédés douteux voire illégaux ; mauvaises conditions de travail pour ses 6 000 employés dont certains travaillent jusqu’à quinze heures par jour sans compensation ; absence de liberté syndicale et licenciements abusifs…

La petite localité de l’ouest du Cameroun où s’étendent ses bananeraies, souligne un ingénieur agronome. Le contraste est grand entre les vieilles et tristes baraques de bois, les routes de terre grise défoncées de la ville et les plantations bien entretenues de la société bananière. Les habitants de Njombé, dont les maisons jouxtent les bananeraies de PHP, se plaignent aussi de la pollution causée par les fongicides et pesticides que la compagnie utilise. Et dont certains viennent d’être interdits par l’UE pour leur danger sanitaire. «Notre rivière, notre unique source d’eau, est polluée»,assurent les habitants d’un hameau proche de Njombé. La population n’échappe pas non plus aux produits que l’entreprise répand par voie aérienne sur ses plantations. Dans la zone, les maladies les plus fréquentes après le paludisme sont, selon un responsable hospitalier,«les maladies respiratoires et les dermatoses», deux problèmes souvent associés à l’utilisation de substances chimiques. Plusieurs témoins évoquent un nombre de cancers anormalement élevé. Impossible d’obtenir des éléments fiables sur cette question de la part de PHP. Son actuel médecin du travail est l’épouse du directeur des ressources humaines. Toutes ces données n’empêchent pas l’UE de subventionner la filière banane pour qu’elle améliore sa «compétitivité». Depuis dix ans, PHP et deux autres entreprises à capitaux étrangers se partagent chaque année 5 millions d’euros. Les autorités camerounaises ne vont pas s’en offusquer : PHP a les responsables politiques, administratifs ou judiciaires de la région dans sa poche. «En tant que chef traditionnel, je suis payé chaque mois par la PHP, confie une «élite» locale. Le sous-préfet, le préfet aussi.» En février 2008, le nouveau maire de Njombé a été accusé d’avoir participé à des actes de vandalisme chez PHP, en marge d’un mouvement national de contestation politique et sociale. Il a été condamné à six ans de prison. A Njombé, beaucoup estiment qu’il a en réalité été puni pour avoir accusé la compagnie de ne pas payer tous ses impôts. PHP «fait ce qu’elle veut à qui elle veut», ses dirigeants «sont capables de tout», résume un homme d’affaires originaire de Njombé qui ne veut pas être identifiable. Gêné, un entrepreneur souligne : «C’est délicat de parler du secteur de la banane, beaucoup de personnalités y ont des intérêts.»

PHP compte ainsi parmi ses cadres un député du parti au pouvoir et loue des terres appartenant notamment à des hauts gradés de l’armée. Plusieurs sources affirment que le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, est actionnaire de la compagnie, ce que dément son directeur général, Armel François. Des employés de PHP sont en tout cas souvent envoyés en mission dans les plantations d’ananas de Biya, inaugurées en 2000 en présence du président de la Compagnie fruitière, Robert Fabre. PHP est membre de l’Association de la banane camerounaise, un lobby dirigé par un autre député du parti au pouvoir, beau-frère du ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana. Lequel n’est rien moins que le président du conseil d’administration de PHP. Ministre, c’est lui qui a négocié avec l’UE l’Accord de partenariat économique (APE) paraphé en janvier par le Cameroun. Jugé catastrophique pour l’économie camerounaise par les ONG comme le patronat, cet accord de libre-échange avantage en premier lieu les… producteurs de bananes du Cameroun.

Sols. Malgré cette incroyable cascade de conflits d’intérêts - à commencer par la signature camerounaise de cet APE -, l’UE reste silencieuse. Combien de temps le sera-t-elle devant un autre scandale potentiel, sanitaire celui-là ? Comme aux Antilles où il a pollué pour plusieurs siècles l’eau et les sols et pourrait être à l’origine de graves problèmes de santé, le chlordécone, un puissant insecticide, a été utilisé dans les plantations camerounaises. Avec de probables répercussions sur les produits vivriers cultivés dans la zone et vendus jusqu’à Yaoundé, la capitale. Le ministère de la Recherche aurait lancé une étude sur cette question. Au moins un produit très toxique, non utilisé aux Antilles parce qu’il n’était pas homologué par la France, a été répandu à Njombé jusqu’à il y a peu, s’inquiète un connaisseur du dossier. «Une bombe à retardement» pour les entreprises bananières, estime un agronome. Il s’interroge sur Tangui, l’eau minérale la plus consommée dans le pays, où l’eau du robinet n’est pas potable. Cette eau, puisée par une filiale du groupe français Castel au cœur de la région bananière, est-elle contaminée ? Pour l’instant, le black-out est total.


 source: Journal du Cameroun