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En Asie, Bruxelles cherche à rattraper l’avance américaine

LE MONDE | Paris | 20.06.06

En Asie, Bruxelles cherche à rattraper l’avance américaine

BRUXELLES, DE NOTRE BUREAU EUROPÉEN

Philippe Ricard

Les Européens en parlent encore à demi-mot, mais ils comptent désormais sur le bilatéralisme et les accords de libre-échange pour affirmer leur présence commerciale en Asie. Quel que soit le sort du cycle de Doha, qui demeure sa "priorité absolue", le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson, caresse en effet l’idée d’ouvrir d’ici à la fin de l’année des négociations avec différents pays de la région : parmi les candidats en lice, la Corée du Sud, ainsi que les dix membres de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean) - Indonésie, Philippine, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Vietnam, Laos, Cambodge, Birmanie et Brunei. Il s’agit, estime-t-on à Bruxelles, de tenter de faire aussi bien que le Japon et les Etats-Unis, qui n’ont pas attendu les Européens avant de se positionner dans la région.

A la différence de l’Union européenne (UE), Washington n’a jamais décrété de moratoire sur ses relations bilatérales dans l’attente d’un compromis sur la libéralisation des échanges au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’administration Bush a au contraire multiplié les accords avec les Etats d’Amérique latine et centrale, ainsi qu’avec l’Asie. Dès 2003, elle a signé un accord de libre-échange avec Singapour. Des pourparlers ont été engagés par Washington avec la Thaïlande, en octobre 2003, la Malaisie en mars 2006, et les négociations sont entrées dans leur phase active avec la Corée du Sud il y a quelques jours. "L’idée est d’éviter d’être marginalisé dans une région du monde qui est d’ores et déjà un partenaire commercial important, doté d’un potentiel de croissance très fort, mais où les barrières aux échanges demeurent sous forme de droits de douane et de réglementations de toutes sortes", dit un expert bruxellois.

A ce jour, l’UE a plutôt privilégié le multilatéralisme dans le cadre de l’Accord général sur le commerce et les tarifs douaniers (GATT), puis de l’OMC. Mais la Commission européenne considère que cette position n’est plus tenable. Dans l’espoir de lancer des négociations concrètes avec la Corée du Sud et l’Asean à la fin de l’année, elle étudie la possibilité de demander un mandat aux vingt-cinq Etats membres à l’automne. En attendant, les contacts préliminaires, qui doivent se poursuivre cet été, sont considérés comme "prometteurs" par les services de M. Mandelson.

UN PREMIER RÉSULTAT

La Corée du Sud constitue la dixième puissance économique du monde. Elle est d’ores et déjà le quatrième partenaire commercial des Vingt-Cinq, qui sont cependant en situation de déficit avec celle-ci. Séoul souhaiterait boucler un accord dès 2007, ce qui pourrait permettre au commissaire au commerce d’engranger un premier résultat tangible en matière bilatérale avant la fin de son mandat deux ans plus tard.

Les tractations s’annoncent plus laborieuses avec les pays de l’Asean. "La région connaît des changements rapides. Nos relations commerciales avec les pays concernés doivent suivre ces changements", a dit M. Mandelson lors d’un récent voyage en Malaisie. "Nous disposons maintenant d’une base solide nous permettant d’envisager un accord de libre-échange", a-t-il ajouté. L’UE absorbe 15 % des exportations des pays de la zone. Ce marché de quelque 500 millions d’habitants représente près de 6 % de ses débouchés internationaux. Mais l’UE va devoir tenir compte d’importantes disparités dans la situation économique de dix pays de la zone. Elle préférerait en outre traiter avec l’ensemble de l’Asean, mais elle hésite à s’engager dans cette voie, du fait de l’opposition des pays nordiques et du Royaume-Uni à prendre langue avec la junte militaire au pouvoir en Birmanie.

Quoi qu’il en soit, la rivalité avec les Etats-Unis et le Japon dans une zone en forte croissance incite les Européens à revoir leurs priorités bilatérales au niveau mondial. M. Mandelson, qui espère par ailleurs renouveler le partenariat avec la Chine, mais sans aller jusqu’à un accord de libre-échange, entend dynamiser les relations entre l’UE et l’Asie. Des accords bilatéraux de libre-échange existent déjà avec d’autres pays émergents comme le Chili et le Mexique. D’autres partenariats, avec les pays de la zone Afrique-Caraïbe-Pacifique (ACP) par exemple, ont été signés au nom de la politique d’aide au développement, et de considérations plus politiques. Ils concernent des pays ou des régions qui représentent une part modeste des échanges mondiaux et sont voués à moyen terme à le rester, ce qui n’est pas le cas de l’Asie.

Quant aux négociations engagées avant le lancement du cycle de Doha, elles piétinent pour des quantités de raisons, à l’instar de celles menées avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) et les pays du golfe Persique. "Si on s’engage à nouveau dans des accords de libre-échange, on ne le fera pas pour des raisons politiques, mais économiques", dit-on à Bruxelles. Façon de dire que l’Asie, dont les taux de croissance font pâlir d’envie les Européens, est bel et bien devenue une destination privilégiée pour les négociateurs européens.


 source: Le Monde