bilaterals.org logo
bilaterals.org logo
   

Guy Marius Sagna parle du danger des APE (Accords de Partenariat Economique)

News221 | 5 octobre 2016

Guy Marius Sagna parle du danger des APE (Accords de Partenariat Economique)

Dans une interview accordée à Seneweb, M. Guy Marius Sagna, coordonnateur de la coalition nationale « Non aux Ape ! », revient sur les danger des Accords de Partenariat Economique que propose l’Union européenne à nos Etats.

Quel est le bilan de votre manifestation du 22 septembre contre les Ape, contre le franc CFA et contre « l’ingérence de la France dans la crise au Gabon » ?

Nous aurions souhaité faire une manifestation en bonne et due forme, avec une grande mobilisation. De ce point de vue, personnellement, je suis frustré. Mais d’un autre côté, il faut savoir que, vu le niveau de conscience de nos peuples, aujourd’hui le défi à relever est celui de l’information, celui de l’éveil de conscience et celui de la sensibilisation.

C’est loin d’être gagné. De ce point de vue, ce qu’on a pu réaliser durant les deux jours qui ont suivi la manifestation, en termes de sensibilisation, d’éveil de conscience de nos populations, permet d’être beaucoup moins frustré. À chaque manifestation de la coalition « Non aux Ape ! », il y a de plus en plus de personnes qui s’intéressent d’abord à la question des Ape, qui cherchent à savoir de quoi il s’agit, et bien sûr, qui s’engagent.

Quelles sont les prochaines étapes dans le cadre de votre combat contre les Ape ?

Nous étions samedi à Tivaouane où nous avons fait une émission radio et une conférence. Nous avons également rencontré des religieux pour discuter des Ape. Dimanche, nous étions à la Place de l’Obélisque dans le cadre d’un festival. Là aussi, nous avons tenu une conférence sur les Ape. Dans la période à venir nous allons renforcer cette sensibilisation-là.

L’autre chose, c’est que nous sommes en train de discuter avec nos avocats pour voir quelle suite donner à l’affaire du 22 septembre. Je voudrais profiter de l’occasion pour dire que les premières personnes qui sont venus me rendre visite au commissariat- Malick Noël Seck et Madièye Mbodj, le commissaire leur a dit : « Nous l’avons pris pour un Gabonais. » Non seulement j’estime que ce n’est pas vrai, mais même si c’était vrai, ça serait proprement scandaleux.

Du fait de la crise au Gabon, il voulait dire qu’ils avaient reçu une consigne pour empêcher les citoyens gabonais au Sénégal de pouvoir s’exprimer. C’est scandaleux ! En tant que panafricaniste, nous ne pouvons accepter que des non Sénégalais, a fortiori des Africains établis sur notre territoire, puissent être traités d’une certaine façon.

Dans le cadre de la sensibilisation nous participerons, samedi prochain, à ce qu’on appelle « Les samedis de l’économie » dont le thème est justement l’Accord de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays de l’Afrique de l’Ouest.

Où en êtes-vous avec votre pétition contre la signature des Ape ?

Nous poursuivons notre campagne de pétition. Nous cherchons à collecter des milliers de signatures pour pouvoir saisir le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Depuis quelques semaines, nous faisons circuler la pétition.

Vous avez pu recueillir combien de signatures ?

Nous avons au moins 1500 signatures. C’est très peu comparé à l’objectif que nous nous fixons : il nous faut au moins 5000 signatures pour pouvoir saisir le Cese et le pousser à discuter des Ape. Si nous réussissons, nous aurons contribué davantage à informer.

Parce que l’un des problèmes majeurs avec l’Accord de partenariat économique, en plus du fait que nous estimons que c’est une apocalypse économique, c’est que c’est une éclipse démocratique. Parce que voilà un Accord que personne ou presque parmi les Sénégalais ne maîtrise.

Si vous êtes devant un Sénégalais qui ne comprend rien aux Ape, que lui dites-vous pour le sensibiliser ?

L’Union européenne, à travers l’Accord de partenariat économique, voudrait que 75% de ses marchandises qui entrent dans nos pays ne paient plus de droits de douane. Si cet objectif est atteint, il y aura deux principales conséquences. La première, c’est que nous allons perdre des recettes douanières et donc, ce sera la baisse des budgets des États de l’Afrique de l’Ouest.

À combien chiffrez-vous cette perte, par exemple pour le Sénégal ?

Pour un pays comme le Sénégal, nous allons perdre dès les premières années 75 milliards de FCFA par an. C’est énorme. À partir de la 20e année, c’est 240 milliards par an.

Quelle est la deuxième conséquence négative ?

75% des marchandises de l’Union européenne ne payant plus de droit de douane, si l’Ape est appliqué, ces marchandises là vous davantage concurrencer les marchandises identiques ou similaires produites localement. Autrement dit, des Pme et des Pmi vont fermer ou, si elles ne ferment pas, vont procéder à des licenciements pour motif économique pour pouvoir soutenir cette concurrence-là.

Nos paysans et nos éleveurs vont avoir des problèmes pour vendre leurs produits. Donc, la pauvreté va augmenter, l’exode rural va augmenter, l’immigration clandestine avec son lot de morts va augmenter.

Il y a d’autres volets. Par exemple dans les Ape, il y a ce qu’on appelle la « clause du rendez-vous » : six mois après l’adoption de l’Accord de partenariat économique, il va y avoir le démarrage de nouvelles négociations pour libéraliser les autres aspects de notre économie comme les flux financiers.

Il y a la « clause de la nation la plus favorisée », qui stipule notamment qu’à partir du moment où nous avons adopté cet accord, tout avantage que l’Afrique de l’Ouest accordera à un partenaire sera accordé à l’Union européenne, si elle n’en a jamais bénéficié.

L’Union européenne, dans sa stratégie de limiter la casse que constituent ses pertes de parts de marchés, dans sa stratégie de limiter la concurrence, vraiment rude, que lui mènent les Etats-Unis, le Japon et les pays dits émergents, notamment les Brics, a mis dans les Ape cette clause de la « nation la plus favorisée ». Ce qui est une hérésie pour des pays qui disent qu’il faut diversifier les partenariats.

L’autre conséquence c’est que si on donne cela à l’Union européenne, il faut s’attendre à ce que les Etats-Unis nous demandent la même chose parce qu’ils veulent que leurs marchandises soient compétitives. Il faut s’attendre à ce que le Japon, la Chine ou d’autres pays nous demandent la même chose.

Ça va être le renforcement d’un projet en œuvre depuis des décennies qui est en fait une division internationale du travail où nos pays doivent être des marchés où rien d’important ne se produit. Nous devons être des consommateurs et eux les producteurs, qui nous vendent leurs marchandises et, par conséquent, nous dominent davantage.


 source: News221