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Palestine et Moyen Orient : Combattre le néolibéralisme et le pouvoir des Etats Unis

mercredi 21 janvier 2009

Palestine et Moyen Orient
Combattre le néolibéralisme et le pouvoir des Etats Unis
(2ème partie)

par Adam Hanieh

Source : MRzine
Traduction : MR pour ISM

A la fin des années 1960, avec l’effondrement définitif du colonialisme britannique et français au Moyen Orient, les USA sont devenus la puissance impériale dominante de la région. A cause de la présence de pétrole, le Moyen Orient a pris une importance vitale pour la construction globale de l’hégémonie US dans l’ordre mondial. Le contrôle des ressources de la région a servi simultanément à se procurer un produit vital, fournir une source de profits et comme bâton pour influencer les puissances rivales au sein du marché mondial. Au cours des 30 dernières années, la région - en particulier les Etats du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) - a pris un rôle à l’importance croissante comme source de mouvements de capitaux excédentaires - et donc de puissance globale - au sein de l’ordre financier mondial. La politique US vis-à-vis de la région est conduite par ces facteurs. Parce que le Moyen Orient est le lien vital du pouvoir global US dans l’économie mondiale, il lui faut développer un cadre politique qui soutienne et maintienne son influence dans la région. Ce cadre politique (connu sous le nom de "politique étrangère" US) est concocté dans les débats, luttes et expériences quotidiens de la capitale US et de ses représentants dans les gouvernements, conseils d’administration et groupes de réflexion et d’influence. En dépit des différends réels et importants qui surgissent continuellement, un large consensus a émergé tout au long des quatre dernières décennies sur la manière d’exercer et de maintenir l’influence dans la région.

Ce consensus repose sur trois piliers clés :

 Premièrement, comme partout ailleurs dans le monde, les USA s’appuient sur des gouvernements corrompus et des élites sans envergure qui dépendent d’eux pour leur survie militaire et économique. Les exemples les plus clairs sont la Jordanie et l’Egypte - deux alliés clés des USA dans la région. Ces gouvernements coopèrent étroitement avec les USA dans les domaines de la sécurité régionale et les liens économiques, ainsi que dans la "guerre contre le terrorisme" mondial. Leurs réseaux de police secrète sont considérables, et leurs prisons sont pleines d’individus qui ont été torturés en étroite collaboration avec la CIA et autres organes. Leurs économies sont grandes ouvertes à l’investissement étranger et le néolibéralisme y a cours depuis des années.
 Deuxièmement, en plus de ces régimes clientélistes, le pouvoir US repose sur des pays intégrés au projet régional d’intégration - le Conseil de Coopération du Golfe. Le CCG a été établi en 1981 entre l’Arabie Saoudite, Bahrayn, le Koweït, Oman, le Qatar et les Emirats Arabes Unis. En tant que projet régional d’intégration, le CCG ressemble à l’Union Européenne, et vise à créer une seule zone économique couvrant les six Etats-membres ayant des lois et des politiques économiques identiques, une banque centrale commune et une monnaie unique en 2010. Les pays du CCG sont des alliés des USA particulièrement fiables. Leur dépendance importante sur la main d’œuvre immigrées signifie qu’ils diffèrent d’états tels que l’Irak, l’Iran, l’Egypte et ailleurs, où les mouvements de la classe laborieuse indigène présente une menace potentielle. Le CCG est aussi un avant-poste clé pour l’appareil militaire US dans la région. En 2003, l’armée US a déplacé au Qatar son quartier général Centcom, le centre de commandement unifié pour les opérations dans 27 pays. En 2005, selon un rapport du Congrès, plus de 100.000 personnels militaires US ont été installés dans les Etats du Golfe (en plus des près de 150.000 en Irak ou du personnel de sécurité travaillant dans des officines privées). [1]
 Dernier point, et non le moindre, le troisième pilier clé du pouvoir US dans la région est l’Etat d’Israël. Depuis la guerre de 1967, Israël a joué un rôle central dans la défense des intérêts US dans la région. C’est l’arme dont se servent les USA lorsqu’ils veulent écraser les mouvements populaires lorsqu’ils ne peuvent envahir le pays directement. Il y a de cela beaucoup d’exemples - à partir de 1967 et jusqu’aux années 1970, les attaques et les assassinats militaires israéliens ont mis hors de combat des mouvements nationalistes de gauche et arabes qui menaçaient les régimes clientélistes. Pendant les années 1980, Israël a servi à écraser les forces palestiniennes et progressistes au Liban.

Pour aller encore plus loin, Israël a promu les objectifs de la politique étrangère US à travers le globe. Il fut un soutien politique, militaire et économique clé de l’Afrique du Sud d’Apartheid et dans les années où culminaient le boycott et les sanctions, il a servi de canal pour l’entrée des marchandises sud-africaines en Europe (une des raisons de sa position centrale dans le commerce mondial des diamants). En Amérique Latine et Centrale, les armes et l’entraînement israéliens ont servis à armer et à équiper les dictatures militaires de la région dans les années 1980.

Depuis les années 1990, dans le contexte d’un environnement géopolitique généralement plus favorable, les Etats-Unis ont tenté de redessiner la relation entre ces trois piliers de soutien pour consolider encore davantage leur pouvoir et leur influence. Le but qui sous-tend cette politique est de réunir ces trois piliers dans une seule zone économique néolibérale (surnommé le "Nouveau Moyen Orient" par Condoleezza Rice en 2006). Il est très important de comprendre cette stratégie : c’est la clé du contexte régional dans lequel les politiques de la région se révèlent aujourd’hui, aussi bien que des forces spécifiques dirigeant les projets économiques tel le Plan palestinien de Réforme et de Développement (PPRD).

Le Nouveau Moyen Orient et le MEFTA (Middle East Free Trade Areas)

L’idée centrale de la stratégie du "Nouveau Moyen Orient" est l’intensification des politiques économiques néolibérales - comme la privatisation, les accords de libre échange, la réduction des dépenses du secteur public, l’ouverture à l’investissement étranger, la suppression des subventions d’Etat, etc. - dans tous les Etats de la région. Au cours des dix dernières années, choyées par les institutions financières internationales comme la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International et soutenus par des organes régionaux comme le Fonds Monétaire Arabe et le Conseil de Commerce Arabe, pratiquement tous les gouvernements de la région se sont ralliés à ces politiques.

On constate ce tournant néolibéral dans la vague rapide de privatisation à travers le Moyen Orient : usines, compagnies aériennes, services postaux, hôpitaux, banques, usines d’électricité et d’eau ont été transférés au privé. Plus important, de la perspective du capital US et autres capitaux étrangers, l’ouverture des champs de pétrole et de gaz de la région (et les secteurs en aval de l’industrie pétrochimique) promet un changement générationnel des structures de la propriété. On en trouve l’exemple le plus dramatique bien sûr en Irak, où le gouvernement a récemment agréé le retour des quatre plus importantes compagnies pétrolières (les mêmes quatre compagnies qui contrôlaient le pétrole irakien depuis les années 1920 jusqu’à la nationalisation en 1972).

En dépit du caractère particulier de l’occupation irakienne, ce n’est pas un exemple isolé ; ailleurs dans le Golfe, des compagnies pétrolières étrangères sont aussi en train de gagner un accès aux ressources pétrolières et gazeuses qui leur était interdit depuis des décennies. En 2003 par exemple, des compagnies pétrolières étrangères ont obtenu l’autorisation de faire des explorations du gaz en Arabie Saoudite pour la première fois en trente ans.

Les politiques néolibérales ont aussi entraîné la réduction des subventions sur des produits de base comme la nourriture, le fuel, l’eau et l’électricité, et les loyers. Mesures souvent exigées par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International en contre-partie de prêts et autres aides. Dès 1991, un prêt de la Banque Mondiale à la Jordanie était conditionné au doublement du prix de l’électricité et à une augmentation du prix de l’eau de 14%. Et cette année en Egypte, où 22% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté de 1$ par jour, et dont les prix de la nourriture ont plus que doublé au cours de l’année dernière, le gouvernement a levé les subventions sur les prix du fuel, provoquant une augmentation des prix de plus de 40% du jour au lendemain.

L’aspect du néolibéralisme dont les conséquences sont les plus graves pour la région est cependant la mise en œuvre d’accords de libre échange bilatéraux (Free Trade Agreements - FTAs). Les USA en ont signés avec des pays comme Bahrayn, Oman, l’Egypte, la Jordanie, Israël et le Maroc. Ces accords engagent les pays en question à ouvrir leurs marchés aux compagnies US et les empêchent de contrôler les règles d’importation (comme privilégier les compagnies locales ou empêcher le flux de capitaux étrangers dans la région). Ce faisant, ils signifient inévitablement la destruction des industries locales et, plus important, l’incapacité de ces pays à élargir les services d’Etat et à augmenter les dépenses publiques destinées à aider les pauvres (car ce serait considéré comme "discriminatoire").

Il est essentiel de comprendre un des autres développements des FTAs dans la région : les Zones de Libre Echange au Moyen Orient (Middle East Free Trade Areas - MEFTA).

Annoncé par les USA au milieu de l’année 2003, l’objectif des MEFTA est la création d’une seule zone de libre échange au Moyen Orient pour 2013. La logique qui sous-tend les MEFTA est explicitement néolibérale : le maximum de richesses, de bonheur et de prospérité sera obtenu par le retrait de toutes les barrières aux exportations et au flux des capitaux vers et à l’intérieur de la région, traitant les capitaux étrangers à égalité avec les capitaux intérieurs, adoptant de larges programmes de privatisation, autorisant la propriété étrangère et réduisant les dépenses de l’Etat pour les services sociaux.

En juin 2003, le représentant du commerce US de l’époque, Robert Zoellick, a fait un discours au Forum Economique Mondial, en Jordanie, dans lequel il a clairement souligné ces principes comme étant le socle du projet des MEFTA. Le discours de Zoellick rejetait la responsabilité de la pauvreté, du chômage et du terrorisme sur les modèles "d’autarcie" et de "socialisme en échec" arabes. Il argumentait que si les économies étaient libéralisées et ouvertes aux capitaux étrangers à l’intérieur d’un bloc de commerce régional, ces problèmes seraient résolus. Selon Zoellick, le but des USA "est d’aider les nations qui sont prêtes à embrasser la liberté économique et le règne de la loi, les intégrer dans le système commercial mondial et de faire entrer leurs économies dans l’ère de la modernité" [2] .

La stratégie US était de négocier individuellement avec les pays "amis" de la région, au moyen d’un processus en six étapes conduisant finalement à un accord de libre échange à part entière entre les USA et le pays en question. Ces Zones de Libre Echange (FTA) individuelles seraient ensuite reliés, avec le temps, jusqu’à ce que le Moyen Orient tout entier passe sous influence commerciale US. La logique essentielle qui conduit les MEFTA est une zone économique de libre échange dans toute la région, ancrée par les capitaux israéliens à l’ouest et les capitaux du Golfe à l’est, chacun étant arrimé en retour à l’économie US dans le noyau capitaliste de pointe. C’est cela qu’entend Condoleezza Rice par le "Nouveau Moyen Orient."

La normalisation avec Israël

L’intégration économique et politique d’Israël dans la région est primordiale pour la réussite de ce projet. Il est très important de comprendre ce point : la "normalisation" (comme appelée par les gauches palestinienne et arabe) est la condition sine qua non des MEFTA et de la vision néolibérale pour la région. Le rejet de cette normalisation forme depuis longtemps la ligne de rupture entre les forces progressistes dans la région et les gouvernements et leurs dirigeants qui souhaitent collaborer avec Israël et avec l’impérialisme US. L’affirmation fondamentale qui étaye le rejet est qu’Israël ne doit pas être considéré comme un pays "normal" dans la région tant qu’il refuse de reconnaître la nature explicitement coloniale du sionisme et qu’il nie le droit des Palestiniens au retour et à l’autodétermination. L’insistance des Etats-Unis pour la normalisation économique et politique des relations des Etats arabes avec Israël n’est pas nouvelle. La connexion de cet objectif avec les politiques néolibérales a fait surface pendant les années 1990 avec les Accords d’Oslo. Alors qu’Oslo se déroulait, les USA et d’autres puissances mondiales ont organisé une série de quatre sommets consécutifs, connu sous le nom de Sommets Economiques du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord (Middle East and North Africa (MENA) Economic Summits), dont la première réunion a eu lieu au Maroc en 1994. Le gouvernement jordanien n’a pas eu peur de promouvoir les objectifs de normalisation du MENA, et son Ministre des Affaires Etrangères notait ouvertement que les sommets étaient "destinés à créer une interdépendance économique entre les Etats arabes et Israël, à promouvoir les contacts personnels entre les deux bords et à favoriser le commerce, l’investissement et le développement" [3] .

Après le début du soulèvement palestinien, en 2000, et l’apparente rupture des négociations entre Israël et l’Autorité Palestinienne, évoquer l’existence d’une tendance pour la normalisation des relations avec Israël peut sembler erronée. Pourtant, loin des projecteurs, les liens économiques et politiques entre Israël et les gouvernements arabes ont continué à s’approfondir. Les accords bilatéraux des zones de libre échange sont l’exemple du lien essentiel entre le néolibéralisme et la normalisation. Chacun des accords entre les Etats-Unis et les pays de la région contiennent une clause qui engage le pays en question à la normalisation avec Israël et interdit tout boycott des relations commerciales.

La confirmation peut-être la plus révélatrice de la façon dont la normalisation a été intégrée dans le projet néolibéral est la création des ainsi dites Zones Industrielles Qualifiées (ZIQ) en Jordanie et en Egypte. Ces zones résultent d’accords économiques entre les USA, Israël, la Jordanie et l’Egypte. Leur création contient la clause extraordinaire que les marchandises produites dans ces zones industrielles obtiendront une exonération de taxes aux USA, à condition qu’une certaine proportion de produits provienne d’Israël. La plupart de ces ZIQ comprennent des usines textiles qui agissent comme sous-traitants pour des capitaux US importants comme Walmart, GAP et autres chaînes de vêtements. Les usines elles-mêmes appartiennent aux capitaux régionaux et internationaux, principalement des Emirats Arabes Unis, d’Israël, de Chine, de Taiwan et de Corée. Bien qu’il soit difficile de déterminer avec précision la taille de la main-d’œuvre des zones industrielles qualifiées, on estime qu’en Jordanie, elle représente 40.000 ouvriers, dont la plupart sont des immigrés du Bangladesh, du Sri Lanka et d’autres pays du sud asiatique. Leurs conditions de travail sont épouvantables et les gauches et syndicats arabes s’attaquent rarement à ce problème. Aucun droit du travail ne s’applique à eux, et on les empêche de s’inscrire dans des syndicats. La rémunération ne dépasse pas 2 cents de l’heure, avec des postes allant jusqu’à 72 heures. Les ouvriers sont régulièrement battus, harcelés sexuellement et obligés de vivre dans des conditions d’extrême surpopulation et saleté. Ils doivent payer eux-mêmes leur voyage pour le Moyen Orient et leurs passeports sont confisqués dès leur arrivée. [4]

Ces ZIQ en sont arrivées à dominer le commerce bilatéral entre les USA et la Jordanie (et dans une moindre mesure, l’Egypte). En 2007, le gouvernement US rapportait que les exportations venant des treize ZIQ installées en Jordanie représentaient un étonnant 70% des exportations jordaniennes totales vers les Etats-Unis. [5] L’Egypte a lancé sa première ZIQ en 2004 et en a maintenant quatre. En 2006, la proportion des exportations égyptiennes vers les USA produites dans des ZIQ atteignait 26% des exportations totales. Ces zones sont créées pour souder les capitaux israéliens et arabes ensemble, les intégrant au marché US et à l’empire américain, dans l’exploitation conjointe de la main d’œuvre à bon marché. On ne peut trouver une description plus claire de la vision des USA pour le Nouveau Moyen Orient.

Détruire l’unité populaire

Le corollaire de cette vision inspirée par les USA d’une zone néolibérale économique unique liant les capitaux israéliens et du Moyen Orient est l’effort soutenu pour briser et faire voler en éclats toute forme d’unité politique et de résistance sociale, tant nationales que régionales qui s’opposent à ce projet. La politique étrangère US au Moyen Orient, il faut le souligner, s’acharne à isoler puis à écraser toutes forces qui s’opposent à sa vision. C’est pour cette raison qu’il faut comprendre l’intervention militaire US dans la région comme un complément nécessaire à la "paix" néolibérale. Avec l’occupation américaine en Irak, et les menaces et les tentatives de déstabiliser et d’attaquer l’Iran, la Syrie et le Liban, les USA soutiennent et cultivent ces forces sociales qui, espèrent-ils, agiront d’une façon aussi servile envers leurs intérêts dans la région et poursuivront la normalisation avec Israël, que l’ont fait les gouvernements jordanien et égyptien. Le facteur le plus important des politiques US est de limiter les capacités des pays dans la région d’exercer un contrôle indépendant sur la politique économique ou étrangère. En ce sens, et sans tenir compte des régimes en place (et nous ne devons pas oublier que des pays comme l’Iran et la Syrie ont leurs propres geôles pleines de prisonniers politiques), les intérêts nationaux de ces pays se heurtent inévitablement aux formes de règlementations que les USA tentent d’imposer sur la région. Dans le cas de la Palestine, fracturer l’unité nationale de la résistance est le pivot du succès du projet néolibéral dans la région. A cause de la relation intime entre la normalisation avec Israël et la vision US d’une zone économique néolibérale unique s’étendant sur tout le Moyen Orient, la lutte palestinienne occupe une position centrale au sein de la lutte anti-impérialiste régionale plus large. Le fait que, pendant soixante ans, les Palestiniens aient refusé d’accepter leur expulsion de 1947-1948 et continuent de demander le droit au retour et à la vie sur leur terre est une menace puissante non seulement pour le caractère juif de l’Etat d’Israël mais aussi pour la nature du pouvoir US dans la région. C’est pourquoi il est impossible que se développe dans la région un quelconque mouvement progressiste qui ne soit pas concerné de manière centrale et lié avec la lutte palestinienne. Toutes les luttes populaires, à travers la région, rejoignent rapidement la cause de la Palestine.

Cela signifie également que des luttes régionales réussies contre l’imposition du néolibéralisme oeuvrent à renforcer la lutte palestinienne. Les grèves récentes et les manifestations ouvrières à Mahalla, en Egypte, en sont l’exemple. Mahalla est le siège de la plus grande usine textile du Moyen Orient (avec une main d’œuvre de 27.000 ouvriers), et c’est aussi là qu’est installée une des ZIQ d’Egypte. Pendant deux ans, ces travailleurs ont été au centre d’une des plus grandes vagues de grève au Moyen Orient, culminant très récemment dans une tentative de grève le 6 avril 2008, qui a été réprimée dans le sang par le gouvernement égyptien.

Pendant ces actions, les manifestants portaient des pancartes dénonçant les liens étroits du Président égyptien Hosni Mubarak avec le FMI, le gouvernement US et le processus de normalisation avec Israël. Il faut ainsi comprendre ces grèves non seulement dans leur sens économique strict d’amélioration des salaires et des conditions de travail dans les usines égyptiennes, mais aussi comme une contestation de la nature du régime égyptien et de son rôle dans la configuration de la puissance des Etats-Unis au Moyen Orient.

C’est dans ce même contexte que le PPRD et les actions de l’Autorité Palestinienne doivent être replacés. Depuis le début de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en 1967, Israël vise à réduire la population palestinienne de ces régions à des centres de population isolés séparés les uns des autres par des colonies israéliennes, des autoroutes et des installations militaires. Ces poches de territoires - appelées avec justesse Bantoustans par beaucoup d’analystes en référence aux "homelands" noires développées dans l’Afrique du Sud d’Apartheid - se verraient offrir les signes extérieurs de l’autonomie. Mais en réalité, elles ne seraient rien d’autres que des prisons à ciel ouvert. A la place de la loi militaire israélienne directe sur la population palestinienne de ces secteurs, une direction palestinienne passive assurerait la médiation du contrôle israélien. Comme dans toutes les prisons, le pouvoir réel resterait entre les mains de ceux qui détiennent les clés, c’est-à-dire les forces israéliennes d’occupation qui continueront à réguler l’entrée de tous les biens, des personnes et des services.

Le processus d’Oslo était destiné à formaliser l’établissement de ces Bantoustans palestiniens et à conférer la bénédiction de la "communauté internationale" à une Autorité Palestinienne servile. Bien que cette intention ait été perturbée par le début du soulèvement populaire palestinien de septembre 2000, il est douloureusement évident, pour quiconque prend le temps de regarder la carte de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, que ces Bantoustans ont maintenant une existence bien réelle, avec les contours définitifs du mur d’apartheid qui encercle les villages et les villes de la Cisjordanie. Un système sophistiqué de checkpoints, de cartes d’identité et de permis régule complètement l’entrée et la sortie des gens et des marchandises de ces zones.

Nous pouvons voir la réalité sur le terrain de ce système de contrôle dans le cas de Gaza, qui doit peut-être être compris comme test avant application à la Cisjordanie. Parce que le gouvernement dirigé par le Hamas n’a pas accepté la vision de la "bantoustanisation" ou de la normalisation, Israël a tout simplement choisi d’enfermer 1,5 million de personnes dans une prison à ciel ouvert et tente de les affamer jusqu’à ce qu’elles se rendent.

L’Autorité Palestinienne, en dépit de quelques déclarations du bout des lèvres, a globalement consenti à ce siège. Dans un exemple frappant de la façon dont la direction de l’Autorité Palestinienne en est arrivée, sans effort, à adopter le langage d’Israël, un document clé du PPRD indique que c’est le Hamas qui doit être blâmé pour le siège de Gaza [6], ignorant le fait que le bouclage de la Bande par Israël et sa séparation de la Cisjordanie n’est pas un phénomène nouveau mais a évolué depuis 1989 comme partie d’une stratégie claire de fracture du territoire. Les capitaux palestiniens et autres capitaux régionaux sont pleinement intégrés dans ce projet par des projets économiques conjoints comme les zones industrielles soulignées ci-dessus. Ces forces bénéficient directement des arrangements Bantoustans et se verront octroyées quelques espaces économiques sous contrôle. Comme l’atteste la Conférence pour l’Investissement en Palestine, elles ne seront pas soumises aux mêmes restrictions de déplacement que le Palestinien moyen. Avec la bénédiction de la "communauté internationale" grâce au mot "paix", cette solution sera proclamée "Etat palestinien". En réalité, le patchwork tronqué de territoires et de zones industrielles n’a rien à voir avec l’autodétermination. A l’intérieur de la carte en évolution, la Cisjordanie devient la porte d’entrée d’Israël dans l’arrière-pays du Grand Moyen Orient. Les énormes autoroutes qui traversent la Cisjordanie d’est en ouest et qui relient les villes israéliennes sur la Méditerranée aux colonies de la Vallée du Jourdain, sont clairement destinées à bien plus que le trafic local : elles serviront au commerce entre Israël et le Golfe (par la Jordanie et la Cisjordanie). Le succès des MEFTA et de la normalisation parallèle d’Israël dans un Moyen Orient néolibéral est fondé sur la réussite de l’achèvement de ce processus.

Conclusion

Les militants et les soutiens à la lutte palestinienne passent beaucoup de temps à donner des informations et à transmettre à un large public les conditions de vie terrifiantes de la population palestinienne en Cisjordanie et à Gaza. La litanie des abus auxquels est confrontée la population de Gaza sous siège, la construction continuelle de colonies et le mur d’apartheid en Cisjordanie, la façon dont la mobilité et la vie quotidienne sont régulées par les ordres militaires israéliens et les niveaux de pauvreté toujours croissants sont méticuleusement répertoriés.

Ces faits sont essentiels pour expliquer la profondeur et l’amplitude du contrôle israélien sur la Palestine. Pour ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de vivre ou d’être témoins, en direct, de ces conditions de vie, il est essentiel que soit transmis le caractère routinier de la misère qui est la réalité de la vie quotidienne en Palestine. Pourtant, il est nécessaire de comprendre qu’un appel à la solidarité basé sur ces violations des droits de l’homme permanentes ne va pas assez loin. Les Palestiniens ne sont pas des victimes, mais un peuple en lutte. Cette lutte va bien au-delà des frontières de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza : c’est une composante centrale d’une lutte régionale plus large.

Il est impossible de comprendre un quelconque événement au Moyen Orient aujourd’hui sans resituer le contexte national au sein de l’offensive unique, cohérente et unifiée que les USA et les autres états impérialistes sont en train de mener contre les peuples de la région. Ce ne sont pas simplement la profondeur de la souffrance ou la longueur de l’exil qui font de la lutte palestinienne un impératif de la solidarité internationale dans la période actuelle.

C’est aussi le lieu central de la lutte à l’intérieur du contexte plus large de la résistance globale à l’impérialisme et au néolibéralisme. Au cœur de ce cadre régional se tient la relation intrinsèque entre le développement du capitalisme néolibéral au Moyen Orient et la normalisation des relations avec Israël. Tout le travail des USA et de leurs régimes clientélistes dans la région a pour but de promouvoir des thèmes interdépendants. Ce n’est pas le hasard si les discussions clés dans les réunions régionales organisées entre Rice, les représentants du Quartet et autres personnalités internationales tournent autour des moyens d’encourager les projets en partenariat entre Israël et le capital régional, y compris les capitalistes palestiniens. C’est la raison pour laquelle les accords FTA US insistent de façon centrale sur la normalisation avec Israël, et c’est pourquoi un travail aussi énorme a été fait sur les projets de Zones Industrielles Qualifiées.

Les militants de la solidarité peuvent jouer un rôle clé en rejetant et en empêchant ce processus de normalisation. Alors que c’est une demande de longue date de la gauche palestinienne et arabe, l’appel a pris une urgence renouvelée à la suite de l’annonce de Bush du plan des MEFTA en 2003.

En 2005, les organisations palestiniennes de la base populaire ont lancé un appel pour un mouvement mondial de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre l’Etat israélien, à la manière de la campagne contre l’apartheid sud-africain. [7] Depuis lors, des groupes d’étudiants, des municipalités, des artistes et des syndicats partout dans le monde ont adopté les résolutions BDS en soutien à l’appel de 2005.

Ce mouvement est essentiel pour la lutte globale dans la région. La solidarité internationale n’est pas une question de charité ou d’aide aux "malheureux". Il est question, fondamentalement, d’être aux côtés et de soutenir un peuple en lutte.

L’appel BDS renforce les forces régionales qui refusent la normalisation avec l’occupation et l’apartheid en Palestine. Il a pour but de casser le soutien international - idéologique, économique et militaire - qui permet à la forme israélienne d’apartheid de continuer.

De plus, le travail qui consiste à délégitimer et à renverser la normalisation avec l’Etat israélien est non seulement une action de solidarité avec la lutte palestinienne. C’est aussi l’élément indispensable de soutien aux autres peuples de la région, que ce soit dans la lutte contre l’occupation US de l’Irak, les tentatives d’empêcher une action militaire contre l’Iran, ou de nombreux autres mouvements populaires partout au Moyen Orient.

Mais, plus fondamentalement - à cause du rôle central de la région au soutien de l’hégémonie globale US - ce qui se passe au Moyen Orient a des implications pour tous. Le recul des politiques néolibérales de paupérisation et de concurrence tout azimut ("race-to-the-bottom"), qui constituent une telle catastrophe pour la majorité des peuples du monde, dépend, de façon vitale, de notre futur succès.

Footnotes:

[1Kenneth Katzman, "The Persian Gulf States : Issues for U.S. Policy," Washington D.C : Congressional Research Service, The Library of Congress, 2006, p.10.

[2Robert B. Zoellick, "Global Trade and the Middle East : Reawakening a Vibrant Past", Remarks at the World Economic Forum Amman, Jordan June 23, 2003.

[3Hashemite Kingdom of Jordan, Foreign Ministry, Middle East and North African Summits.

[4Voir le rapport (en anglais) de mai 2006 par le National Labor Committee : "U.S.-Jordan Free Trade Agreement Descends into Human Trafficking and Involuntary Servitude" pour un examen détaillé de ces conditions en Jordanie.

[5Office of the United States Trade Representative, 2007 Trade Policy Agenda, Section III, p.5

[6"Building a Palestinian State", p. 4.

[7See Stop the Wall, "La Conférence internationale aux Nations Unies de la société civile appelle au Boycott, au retrait des investissements et aux sanctions !", 7 juillet 2005.


 source: lescommunistes.org