L’agriculture dans le tourbillon du libre échange

Ouest France | 9 octobre 2017

L’agriculture dans le tourbillon du libre échange

Par Daniel Gadbin, codirecteur scientifique de la Revue de droit rural.

Une fièvre de négociation d’accords de libre-échange « approfondis », dits « de nouvelle génération », s’est emparée de l’Union européenne et s’étend aux échanges agricoles sans égard pour la nième réforme annoncée de la PAC (Politique agricole commune), celle d’après 2020.

S’ajoutent à l’accord en vigueur avec la Corée, des accords avec Singapour, le Vietnam, la Colombie, le Pérou, l’Équateur et le Canada parvenus à l’étape de leur signature, voire de leur mise en oeuvre provisoire. Un accord « de principe » a été annoncé avec le Japon le 6 juillet et d’autres négociations sont en cours.

Ces accords bilatéraux privilégient tout naturellement le désarmement douanier au profit des productions alimentaires les plus orientées vers le commerce extérieur. Leurs effets futurs sont difficilement évaluables parce que les diminutions de droits de douane, voire leur suppression, seront en partie étalées dans le temps et parce que ces accords maintiennent la liberté des Parties d’adopter les réglementations qu’elles jugent nécessaires pour protéger leur ordre public, en particulier la sécurité des consommateurs, même si des mécanismes sont institués pour favoriser l’harmonisation ou la reconnaissance mutuelle.

Ces incertitudes s’ajoutent à l’opacité de négociations où l’agriculture sert de monnaie d’échange, ce qui alimente les suspicions, voire la contestation de la démarche libre échangiste.

Des réformes bloquées

En théorie ces accords impliquent que les politiques agricoles des Parties provoquent le moins de distorsions possible dans les échanges. Elles devraient privilégier les aides découplées des productions et justifiées par des problématiques plus sociales, territoriales ou environnementales que de soutien des marchés.

Or, la PAC peine à évoluer vers une politique d’aides directes plus conforme aux canons libre échangistes. Chacun sait que les paiements directs restent liés aux capacités de production et que leur répartition favorise toujours les plus grosses exploitations. C’est dans ce contexte que la mécanique des réformes est en train de se gripper, comme le révèle depuis 3 ans la laborieuse mise en oeuvre de la réforme en cours.

Deux obstacles majeurs concourent à un tel blocage. L’un, économique, est bien connu : les produits agricoles répondent mal aux lois du marché, tant en raison des conditions de production du vivant, que de la faible élasticité de la consommation. Il s’ensuit des mouvements erratiques des prix. L’autre obstacle est de nature politique : la soumission des aides découplées à des conditions sociales, environnementales ou territoriales, conduit inexorablement à un partage croissant des responsabilités, y compris financières, avec les États membres. De quoi donner de l’eau au moulin des adversaires d’une « renationalisation déguisée ».

Pourtant, s’abandonner à la dynamique des ALE, sans PAC suffisamment « vertueuse », c’est continuer à privilégier l’agrandissement et la concentration des exploitations. Ne pas s’inquiéter des conséquences agricoles des volets « investissements » de ces accords, c’est encourager l’arrivée de capitaux susceptibles de faire perdre aux Européens le contrôle des terres. Jusqu’à quand le statut français des baux ruraux et le contrôle des fermages résisteraient-ils ? Et qu’en serait-il du modèle d’exploitation familiale de proximité en prise sur son territoire... et de plus en plus prisé par les consommateurs citoyens ?

source : Ouest France

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