Les accords de commerce privent les Etats des moyens nécessaires pour réguler la finance

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Finance Watch | 24 octobre 2018

Les accords de commerce privent les Etats des moyens nécessaires pour réguler la finance

Les accords de commerce de nouvelle génération, négociés par l’UE risquent de fragiliser la réglementation existante, et pire encore, la capacité des États de réguler à l’avenir. En les signant, les gouvernements consentent à se priver des moyens nécessaires pour prévenir ou contenir la prochaine crise financière.

Dix ans après la crise de 2008, nous ne sommes toujours pas à l’abri d’une nouvelle crise financière. Or le CETA et les autres accords de commerce en préparation (JEFTA, TTIP, Brexit) risquent d’aggraver la situation. L’Union européenne multiplie en effet les accords de commerce dans l’espoir de doper la croissance. Au sein de ces accords, trois innovations majeures rebattent totalement les cartes de la politique commerciale européenne :

  1. On négocie de plus en plus entre pays riches : accord UE/Canada (CETA); accord UE/US (TTIP); accord UE/Japon (JEFTA), etc.
  2. La plupart des accords sont aussi des accords de protection des investissements
  3. On ne se contente plus de baisser les barrières tarifaires et de libéraliser les services mais on négocie aussi sur les normes

Comme les droits de douane sont faibles, l’objectif est désormais d’éliminer les barrières non tarifaires, à savoir les règles ou normes qui font obstacle aux échanges : c’est le rôle des accords dits de “nouvelle génération”. Et c’est là que ça se gâte : ces accords touchent à tous les domaines, même aux normes sociales, sanitaires, environnementales… et à la régulation financière.

La poursuite de la libéralisation des services financiers est au cœur de ces nouveaux accords CETA, JEFTA, TTIP ainsi que de l’Accord (plurilatéral) sur le commerce des services (TiSA) ou du Brexit. Et pour cause : les pays européens sont les premiers exportateurs de services financiers (Les États membres de l’UE affichent un fort excédent commercial face au reste du monde dans ce secteur : 36 milliards d’euros en 2013). C’est pourquoi ce secteur constitue un intérêt offensif de l’UE dans les négociations. Quitte, visiblement, à faire l’impasse sur toutes les leçons de la catastrophe financière de 2008 !

D’autant que l’Union européenne n’est pas toujours exemplaire en matière de régulation financière. Dans ce domaine c’est donc parfois elle qui cherche à niveler les règles vers le bas…

Avec ces accords, l’UE jette de l’huile sur le feu et contribue directement à la financiarisation démesurée de l’économie, au contrôle insuffisant des mouvements de capitaux, à la concentration des banques et leur interconnexion excessive…Pendant les négociations, les représentants des banques et des assurances ont donc fait leur “liste au père noël”. Elle contient toutes les règles de prudence financière ou de transparence fiscale qu’ils voudraient affaiblir ou faire disparaître.

La “liste au Père Noël” de l’industrie financière

Plus grave encore, avec ces accords, les États consentent à limiter leur capacité d’intervenir pour renforcer la stabilité financière, par exemple à pouvoir utiliser certains outils pour limiter la taille du bilan des banques, lutter contre la spéculation, encadrer voire interdire certains produits ou acteurs financiers.

Mais ce n’est pas tout. Ces accords sont “vivants”, c’est-à-dire qu’ils créent un ensemble de comités qui disposeront d’un droit de regard sur les règles existantes et les projets de loi, avec la participation des industriels. Concrètement, grâce au CETA, les lobbies seront consultés avant les élus pour édulcorer, voire mettre en échec les projets de réglementation. Et cela, ils l’ont bien compris.

David Plunkett, l’ancien ambassadeur du Canada dans l’Union européenne et ex-négociateur du CETA s’est reconverti et a co-fondé l’association Canada-UE pour le Commerce et les Investissements. Selon lui, “Le CETA, pour la première fois inclue un chapitre autonome sur la coopération règlementaire qui offre aux entreprises canadiennes l’opportunité d’avoir connaissance en avance des projets de règlementation des Etats”. Et le président de cette association d’ajouter : « [La coopération réglementaire] institutionnalise l’opportunité pour les entreprises canadiennes de profiter au maximum du CETA en ayant un rôle dans la prise de décision au niveau de l’UE ».

En bref, toutes les législations existantes et futures seront évaluées en fonction de leur impact sur le commerce, peu importe leurs effets sur la santé, l’environnement ou la stabilité financière. Autant dire que peu de réglementations résisteront…

Et si jamais de nouvelles règles voient quand même le jour, les investisseurs mécontents pourront poursuivre l’UE ou les États via des tribunaux d’arbitrage pour se faire indemniser avec l’argent du contribuable. Dans le cadre des traités déjà en vigueur, les indemnités versées aux multinationales via ces tribunaux d’arbitrage atteignent des sommes exorbitantes : 454 millions $ en moyenne. A ce petit jeu, un État ne gagne jamais, au mieux il ne perd pas et doit assumer le coût (jusqu’à 8 millions $) de procédures qui seront sans aucun doute amenées à se multiplier. Dans ces conditions, quel Etat s’aventurera à adopter enfin les règles dont nous avons besoin pour remettre la finance au service de l’économie ?

Ces accords risquent donc de fragiliser la réglementation existante, et pire encore, la capacité des États de réguler à l’avenir. En les signant, les gouvernements consentent à se priver des moyens nécessaires pour prévenir ou contenir la prochaine crise financière ! C’est pourquoi l’Institut Veblen et Finance Watch publient un rapport pour alerter les citoyens sur ce sujet et appeler les élus à refuser de signer ces accords en l’état.

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source : Finance Watch

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