ALENA 2.0 – NAFTA – USMCA – un (nouveau) traité (vraiment) nouveau ?

Collectif Stop Tafta | 5 novembre 2018

ALENA 2.0 – NAFTA – USMCA – un (nouveau) traité (vraiment) nouveau ?

L’Accord de libre-échange signé par l’Amérique du Nord en 1994 ( ALENA – NAFTA en anglais) est symbolique. Il constitue le premier accord de libre-échange dit “global”, c’est à dire touchant à des domaines élargis de la société. Ses conséquences sociales ont été majeures, notamment du côté du Mexique, où le secteur agricole a enregistré plus d’un million de chômeurs, ce qui a contribué à une émigration massive. Le Président Trump avait promis la renégociation du “pire accord commercial de l’histoire” des États-Unis. En octobre 2018, un accord a été conclu entre les trois parties (États-Unis, Canada, Mexique). L’ALENA s’appelle désormais l’USMCA United States - Mexico - Canada Agreement).

Commençons par ce qui est effectivement nouveau. Un changement majeur du traité est la limitation du mécanisme de règlement des différends entre investisseur et État (ISDS, selon son acronyme anglais). Ce tristement célèbre mécanisme d’arbitrage permet à des multinationales d’attaquer les législations des pays si de nouveaux règlements, tels que de nouvelles protections sociales ou environnementales, affectent négativement les profits potentiels de leur investissement, et de demander une indemnisation qui peut s’élever à plusieurs millions, voire milliards, d’euros. Le tout, au frais du contribuable. La suppression de ce mécanisme aurait été un véritable séisme pour les promoteurs des tribunaux d’arbitrage, dont de nombreuses multinationales. Ce changement comporte donc certaines limites.

L’ISDS est bel et bien supprimé entre les États-Unis et le Canada, bien que les investisseurs de ces pays auront trois ans à compter de la fin de l’ALENA pour initier un arbitrage, du fait d’une clause de temporisation, ou clause dite “zombie”. Suivant cette période, ces investisseurs devront régler leurs différends devant une cour nationale.

En revanche, le mécanisme d’arbitrage existe toujours entre les États-Unis et le Mexique, bien que limité sur plusieurs aspects :

  • Seules sont autorisées les demandes d’arbitrages concernant le déni de traitement national ou de la clause de la nation la plus favorisée [1], pour les investissements déjà établis, ou bien l’expropriation directe.
  • Le nouvel accord exige l’épuisement des voies de recours interne avant de mettre en place une demande d’arbitrage. Cette demande reste possible lorsque la décision finale d’une cour nationale n’est pas intervenue dans les 30 mois. Cette disposition ne concerne pas les contrats avec les gouvernements.
  • L’expropriation directe a été définie comme le fait de nationaliser ou d’exproprier directement un investissement par transfert formel de propriété ou saisie pure et simple.
  • La question des conflits d’intérêts est mieux prise en compte : les arbitres ne peuvent siéger s’ils représentent des entreprises qui poursuivent les gouvernements. Cependant, cette clause reste limitée car elle ne s’applique qu’aux litiges initiés en vertu de l’ALENA 2.0, et non d’autres accords d’investissement.
  • Les décisions des tribunaux d’arbitrage ne peuvent intervenir que sur la décision d’indemniser (et de déterminer les montants d’indemnisation) des investisseurs et non plus de demander une modification, abrogation, adoption ou application d’une loi ou d’une disposition législative.

Toutefois, en ce qui concerne les contrats avec les gouvernements dans des secteurs tels que le pétrole et le gaz, la production d’énergie, les transports, les télécommunications et autres investissements dans les infrastructures, les investisseurs bénéficient d’un système d’arbitrage élargi. Cela fait suite à de nombreuses pressions de la part d’entreprises américaines du secteur de l’énergie qui voulaient encore bénéficier du mécanisme de l’ISDS. A noter également que l’ISDS sera maintenu entre le Mexique et le Canada, non plus dans le cadre de l’ALENA 2.0, mais en vertu du Partenariat transpacifique qui entrera en vigueur fin décembre 2018. Les nouveaux apports semblent donc bien insuffisants au regard des très vives critiques portées à ce club fermé de l’arbitrage international.

Autre nouveauté dans le domaine automobile, 75% des pièces d’une voiture devra provenir de la zone ALENA 2.0, au lieu de 62,5% dans l’ancien accord, ceci dans un but de promouvoir l’industrie régionale. De plus, les travailleurs de ce secteur devront être payés au moins 16$ de l’heure, pour au moins 40% du contenu. Cette dernière mesure vise clairement les entreprises ayant délocalisé leurs activités du Canada et des États-Unis vers le Mexique afin de bénéficier de conditions salariales plus basses, mais on peut se demander comment elle sera effectivement respectée.

D’autres chapitres aportent certaines des pires parties du Partenariat transpacifique (TPP), que Trump avait décrit comme un “désastre”, reflétant les positions initiales des États-Unis. Le chapitre sur le commerce électronique, conçu par et pour le lobby “big tech” de Google, Facebook, Amazon et autres, est en grande partie inchangé. Le chapitre sur les services financiers laisse Wall Street indompté. La cohérence réglementaire reprend des demandes de bases des États-Unis et a force exécutoire. Le chapitre sur l’environnement est encore plus faible que celui du TPP et, bien entendu, ne contient aucune référence au changement climatique. Certaines des nouveautés les plus nocives de ce nouvel ALENA se trouvent dans le chapitre sur la propriété intellectuelle. Les laboratoires pharmaceutiques ont réussi à obtenir le rallongement de la durée de protection des brevet des médicaments “biologiques”, cruciaux pour les soins de maladies chroniques comme le cancer ou la sclérose en plaques. Les données des brevets seront protégées pendant dix ans, en plus des vingt ans de protection de base, ce qui repoussera l’arrivée sur le marché de médicaments génériques moins coûteux. La protection des droits d’auteurs est fixée à 70 ans à compter de la mort de l’auteur dans les trois pays, un cadeau pour les grandes sociétés de l’industrie de la culture, détentrices de ces droits.

Par ailleurs, l’ALENA 2.0 dénote l’aversion viscérale de Trump vis-à-vis de son “pire ennemi”, la Chine, perçue comme menaçant l’hégémonie des États-Unis. L’accord proscrit ainsi tout signataire de conclure un accord de libre-échange avec un pays n’ayant pas une économie de marché, c’est à dire la Chine. Trump reste donc dans la lignée de son prédécesseur, Barack Obama, pour qui le Partenariat transpacifique aurait permis aux États-Unis, et non à la Chine, d’écrire les règles du 21e siècle. Sans surprise, au lieu de concevoir le commerce comme une activité qui pourrait bénéficier à l’ensemble des populations, Trump demeure dans la logique “nous contre eux”. Il le souligne lui même dans un récent discours : “Je ne vous fais pas des accords commerciaux équitables, mais des accords injustes en notre faveur”.

Présenté comme un "nouveau modèle", l’ALENA 2.0 contient quelques infimes avancées mais reste davantage dans l’esprit du vieil ALENA avec une dose de TPP sous stéroïdes. Il ne renverse pas la logique de domination des multinationales et dénote un clair agenda impérialiste de la part du gouvernement des États-Unis. L’USMCA constitue donc simplement un autre instrument au service des plus puissants et doit être rejeté en bloc

[1] Voir glossaire ici

source : Collectif Stop Tafta

Printed from: https://www.bilaterals.org/./?alena-2-0-nafta-usmca-un-nouveau