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Accord Canada-Mercosur: quand l’arbre du profit cache la forêt qui brûle

krishna naudin

Le Nouvelliste | 9 novembre 2020

Accord Canada-Mercosur: quand l’arbre du profit cache la forêt qui brûle

Renaud Goyer, collaboration spéciale, Comité de Solidarité/Trois-Rivières / Depuis mars 2018, le Canada a entamé des discussions en vue de l’établissement d’un accord de libre-échange avec le Mercosur et ses pays membres, le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay.

En soi un accord de libre-échange mis en place au début des années 1990, le Mercosur jette les bases d’une coopération politique et économique entre ces pays d’Amérique du Sud. Symboliquement, cela représentait une étape dans la transition démocratique de ces pays qui ont connu la dictature pendant les années 1970.

Pour le Canada, l’accord changerait le paradigme des relations économiques avec le Brésil, le géant latino-américain, relations qui ont été mises à mal ces vingt dernières années par le conflit entre Bombardier et la compagnie d’aéronautique brésilienne Embraer. Au-delà de ces considérations, le Brésil représente un marché important à développer pour les exportateurs canadiens. En effet, le marché brésilien importe près de 200 milliards de dollars de produits annuellement.

Mais le Canada mise beaucoup sur cet accord pour trois raisons. Premièrement, la crise économique au Brésil a fait baisser les importations au cours des dernières années. Toutefois, au plus fort du boom économique il y a dix ans, les importations brésiliennes tournaient autour de 100 milliards de dollars de plus par année. Un accord signé avant la reprise permettrait de donner au Canada une position stratégique.

Deuxièmement, depuis quelques années, les relations politiques avec le principal partenaire économique du Brésil, la Chine, sont plus difficiles. Elles le sont d’autant plus depuis l’élection de Jair Bolsonaro puisque celui-ci adopte les mêmes stratégies belliqueuses que le président Trump à leur égard. Les industriels et spécialistes de l’économie brésilienne redoutent un ressac et le Canada pourrait profiter de ces tensions et d’une baisse des échanges commerciaux entre les deux pays.

Troisièmement, le Brésil, malgré le développement des entreprises pétrolifères et la présence de pétrole sur ses côtes, a soif d’or noir: les produits du pétrole et de ses dérivés constituent les principaux produits importés. Le Canada pourrait y trouver un nouveau marché pour son pétrole des sables bitumineux et ainsi rentabiliser son investissement dans le pipeline Trans Mountain. De plus, depuis le scandale Petrobras (qui a coûté la présidence à Dilma Roussef) l’entreprise brésilienne a perdu de la crédibilité pour développer cette industrie. Encore ici, le Canada pourrait en profiter.

À l’inverse, l’accord permettrait au Brésil de vendre ses produits agricoles au Canada, en particulier le bœuf et le soya. En effet, les produits agricoles représentent le cœur des exportations brésiliennes et les estimations de retombées économiques d’un accord se chiffrent autour de huit milliards de dollars américains annuellement.

Mais cette production vient avec un coût environnemental énorme: elle contribue à la déforestation de l’Amazonie à la fois par l’extension des terres d’élevages et par les feux de forêt allumés dans le processus. À cet égard, les environnementalistes à la fois brésiliens – en particulier les Autochtones – mais également canadiens dénoncent l’accord. Greenpeace est d’ailleurs intervenu à plusieurs reprises depuis l’été pour rappeler les conséquences écologiques d’un tel accord. Les feux de forêt auraient d’ailleurs selon eux augmenté de 12,4 % dans la dernière année.

Pourtant, le gouvernement du Canada affirme qu’une de ses intentions dans ces accords régionaux de libre-échange est, entre autres, de forcer les gouvernements de ces pays à adopter de meilleures pratiques environnementales qui sont respectueuses des peuples autochtones. C’est de cette façon que le gouvernement Trudeau s’était défendu de continuer les discussions autour de l’accord alors que de multiples feux brûlaient en Amazonie pendant l’été 2019 et que le président Bolsonaro refusait d’agir.

Le Canada ne fait pourtant pas partie des modèles à cet égard, lui qui est en conflit ouvert avec plusieurs communautés autochtones autour des questions environnementales, en particulier avec les Wet’suwet’en de Colombie-Britannique sur le passage d’un gazoduc sur leurs terres ancestrales. Et qu’en outre, le pétrole qu’il produit est parmi les plus polluants du monde.


 source: Le Nouvelliste