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Accord de libre échange Maroc-UE : Le Maroc doute

Les voitures de l’usine Renault sur le port de Tanger Med (photo G.Tur)

Econostrum | 24 Janvier 2014

Accord de libre échange Maroc-UE : Le Maroc doute

Le troisième round des négociations pour un Accord de Libre Échange Complet et Approfondi (ALECA) entre le Maroc et l’Union européenne s’achève vendredi 24 janvier 2014. S’il le signe, le Maroc établirait ainsi un lien encore plus étroit avec l’Union européenne, mais il craint de voir s’aggraver son déficit commercial.

MAROC / EUROPE. Le Maroc envisage de s’arrimer encore plus à l’Europe, mais doute au même moment des bénéfices qu’il pourrait tirer d’un accord de libre échange élargi. Le troisième round des négociations pour un Accord de Libre Echange Complet et Approfondi (ALECA) entre le Maroc et l’Union européenne se déroule depuis lundi 20 janvier 2014 et jusqu’au vendredi 24 janvier 2014 à Rabat entre le Maroc et l’Union européenne. « L’ALECA va au-delà de la simple notion de libéralisation des échanges commerciaux et de suppression des droits de douane applicables aux biens, en privilégiant une intégration économique plus étroite, en réduisant les obstacles non tarifaires, en libéralisant le commerce des services, en assurant la protection de l’investissement et en harmonisant les réglementations dans plusieurs domaines de l’environnement commercial et économique (marchés publics, normalisation, mesures sanitaires et phytosanitaires, droit de propriété intellectuelle, concurrence, douane et facilitation du commerce…) », explique la délégation de l’Union européenne à Rabat. L’accord, discuté depuis avril 2013, est inscrit dans le Statut avancé octroyé par l’Union européenne au Maroc en 2008.

En cours de négociation, le contenu exact de l’accord demeure secret, au grand regret de ITPC Mena, association de défense des droits des malades, qui s’inquiète de l’allongement indirect de la durée des brevets prévu par certaines clauses. Son objectif principal est clair : réduire les barrières non tarifaires entre les deux marchés.

Le Maroc « piètre joueur »

Les problèmes posés par l’utilisation de moyens dérobés pour entraver les importations de produits étrangers préoccupent particulièrement le Maroc, ces derniers mois. « Le Maroc est un piètre joueur en matière de barrières non-tarifaires. Nous n’utilisons jamais les barrières non-tarifaires au contraire de bien des pays, a déclaré le nouveau ministre marocain de l’Industrie Moulay Hafid Elalamy à Usine Nouvelle, le 5 décembre 2013. [...] Si ça continue, nous le dirons haut et fort en mettant sur la place publique les démarches de barrières non-tarifaires et en quoi cela n’est pas éthique pour les exportateurs marocains.»

« Les droits de douanes sont nuls pour les produits industriels importés de l’UE vers le Maroc, mais pour les produits pour lesquels le Maroc dispose d’un avantage comparatif, soit quelques produits agricoles, l’Union européenne oppose des barrières non tarifaires : des quotas, contingents, prix d’entrée, calendriers », rappelle Najib Akesbi, économiste et enseignant à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II. L’Union européenne acceptera-t-elle de revoir ces pratiques dans l’ALECA ?

« Chez nous, nous avons zéro barrière non-tarifaire », estime de son côté le ministre Moulay Hafid Elalamy. L’étude d’impact commandée par l’Union européenne au cabinet indépendant Ecorys, estime toutefois qu’il y a lieu de les réduire. L’ALECA permettrait, selon elle, que les Mesures Non Tarifaires (MNT) des services, exprimées en Coûts Commerciaux Équivalents (CCE), soient réduites de 3 % pour les services marocains pénétrant le marché européen et de 13% pour les services européens sur le marché marocain.

Résorber ou aggraver le déficit commercial ?

Cette étude publiée en son entier au début du mois de janvier 2014 prévoit, pour le Maroc une augmentation du PIB de 1,3% supplémentaire à court terme et 1,6% à long terme. Si l’Union européenne y gagnerait un revenu supérieur à celui du Maroc, le chiffre serait trop faible pour impacter le taux de croissance de l’ensemble de la zone euro. Surtout, Ecorys annonce une augmentation des exportations supérieures de 6,3 points à celle des importations à court et long terme au Maroc. En clair, le déficit commercial du royaume serait résorbé grâce à l’ALECA.

Le Maroc se montre toutefois très sceptique sur la validité des résultats de cette étude. « Ce type de rapport est prétendument indépendant, mais, commandé à la veille de négociations importantes par l’une des parties, ses résultats viennent toujours apporter un argument à celle-ci », remarque Najib Akesbi. Au moment de sa publication Mohamed Bachir Rachdi, rapporteur de la commission des affaires économiques au Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) et président de la délégation marocaine à cette réunion, a estimé que « le modèle d’évaluation adopté par Ecorys [comprenait] des failles manifestes », avant d’ajouter que le CESE travaillait sur sa propre étude d’impact. « Ces accords profitent davantage aux pays partenaires comme en témoigne l’aggravation continue du déficit commercial du Royaume avec la plupart des pays avec lesquels il est lié par un accord de libre-échange », a-t-il estimé.

La signature de l’accord de libre échange entre le Maroc et l’Union européenne a, de fait, permis l’explosion des échanges commerciaux entre les deux ensembles. « En termes de chiffres, en 2000, le total des échanges entre l’UE et le Maroc était de l’ordre de 14 milliards d’euros. Entre 2005 et 2012, leur volume a augmenté de plus de 24% pour représenter 26 milliards d’euros en 2012 », avait souligné Rupert Joy, ambassadeur de l’Union européenne au Maroc, en juillet 2013, après le deuxième round des négociations dans une interview accordée à Finances News Hebdo.

Libéralisation des services

L’explosion des échanges s’est accompagnée d’une augmentation des importations en provenance de l’Union européenne, en dix ans, de 78%. Importante, elle est cependant inférieure à l’augmentation globale des importations toutes origines confondues sur la même période : 113%. Bachir Rachdi a toutefois raison d’estimer que l’asymétrie des échanges s’est renforcée entre l’Union européenne et le Maroc depuis 2000. Le déficit marocain, dans le cadre de ses échanges avec l’ensemble du monde, a été multiplié par 2 entre 2000 et 2010, mais par près de 3 avec la seule Union européenne.

De plus, l’étude d’impact d’Ecorys - que l’on peut légitimement soupçonner de vouloir présenter l’aspect positif de l’ALECA aux négociateurs marocains - reconnaît elle-même qu’une partie du secteur marocain des services souffrira des effets de l’accord. « Le secteur des TIC et autres services aux entreprises devrait faire face à une compétition plus accrue de la part des entreprises européennes et pourrait perdre près de 1,7 % de sa production à long terme », évalue les auteurs de l’étude. Pourtant, si « la question de l’inclusion des services dans les chapitres composant l’Aleca a été longuement débattue par les deux parties (négociations parallèles ou bien intégrées dans le «package» Aleca) [,] lors du deuxième round, le Maroc a exprimé son accord pour que la libéralisation des services fasse partie intégrante de l’Aleca », a révélé Rupert Joy, en juillet 2013.

Grâce à l’Aleca, le Maroc devrait essentiellement bénéficier d’un accès facilité au marché européen pour ses exportations « car ils respecteront les normes d’entrée automatiquement. Cela à un coût : il faudra réaliser les lois pour unifier les normes et les entreprises devront les appliquer. En dépit de ce coût, ces normes représenteront un avantage, car les normes européennes sont d’une qualité supérieure aux normes marocaines. Ce sera un gain pour le consommateur marocain de produit marocain », estime Ahmed Azirar, économiste et enseignant en commerce international à l’ISCAE de Casablanca.

Au final, l’Aleca, s’il est finalement signé par le Maroc, aura pour principal effet de lier un peu plus le royaume à l’Union européenne. Un choix également politique et stratégique. « Le Maroc pourrait avoir du mal par la suite à diversifier ses marchés d’exportations. Si le Maroc adopte les normes européennes, ne risque-t-il pas de se couper un peu plus d’autres partenaires commerciaux comme l’Inde ? », s’interroge Najib Akesbi. « Une fois que le Maroc se sera rapproché de la législation de l’UE dans tous les domaines couverts par l’Aleca, cela devrait augmenter ses opportunités d’exportation vers d’autres marchés tiers ainsi que rendre le Maroc plus attractif pour des investisseurs non européens », estime au contraire Rupert Joy, dans une tribune publié par l’Economiste en début de semaine.

Julie Chaudier, à CASABLANCA


 source: Econostrum