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Affaire BFT: La Tunisie peut faire d’une pierre quatre coups

Kapitalis | 20 juin 2017

Affaire BFT: La Tunisie peut faire d’une pierre quatre coups

Par Habib Trabelsi

Menacée d’une lourde condamnation par le tribunal arbitral de la Banque mondiale (BM), la Tunisie peut encore, mais pas pour longtemps, faire d’une pierre quatre coups, grâce à un règlement amiable avec l’Arab Business Consortium Investment (ABCI) de son litige sur la Banque franco-tunisienne (BFT), un boulet au pied du Trésor public, traîné depuis près de trente-cinq ans.

Une «grande bataille» perdue d’avance

Dans de récentes déclarations de presse, le secrétaire d’Etat aux Domaines de l’Etat et aux Affaires foncières, Mabrouk Korchid, a fait planer le doute sur la responsabilité dans cette affaire des gouvernements qui se sont succédé depuis la prise de contrôle de la BFT par la Société tunisienne de banque (STB) en 1989, sous le régime de Ben Ali.

La BFT, qui avait été acquise en 1982 par l’ABCI, a été depuis au centre d’une série de malversations dans les plus hautes sphères de la mafia politico-financière qui cherche à faire main basse sur la banque.

«Les chances que la Tunisie l’emporte face à l’ABCI sont de 50-50», a déclaré en substance M. Korchid, en refusant toutefois de se prononcer sur le dossier avant le verdict du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi).

«Ce n’est qu’alors (Ndlr: après que le Cirdi se prononce sur la responsabilité de l’Etat tunisien dans cette affaire) que nous entrerons en négociation pour les dommages matériels après les avoir évalués à partir de données réelles et matérielles», a ajouté M. Korchid.

«Notre rôle est de lutter pour les droits de l’Etat tunisien jusqu’au dernier souffle», disait-il, le 28 octobre dernier, sur Express FM, en parlant de «grande bataille», d’«erreurs assimilables à un crime», d’«atteinte très grave aux droits de l’Etat tunisien» et en pointant un doigt accusateur vers l’ancien ministre chargé du Domaine de l’Etat et des Affaires foncières, Slim Ben Hmidane, pour avoir signé, le 31 août 2012, un protocole d’accord définissant les principes d’un règlement amiable du litige.

Cependant, M. Korchid n’est pas sans savoir que le tribunal arbitral s’impose aux Etats, que ses décisions sont irrévocables, qu’aucun recours ne sera plus possible, que l’Etat tunisien n’a aucune chance d’éviter le paiement de lourdes réparations à l’ABCI, qu’il a tout intérêt à rechercher une solution amiable moins coûteuse pour le Trésor public…

Une telle solution sera certainement préjudiciable aux intérêts de la mafia politico-financière qui fait tout pour empêcher un accord amiable, pour que la banque soit vendue… et qui se frottera les mains en cas d’une liquidation de la banque.

Mais ceci ne dispensera pas l’Etat de payer les réparations.

Des sources proches du dossier ont récemment indiqué à Kapitalis que le Cirdi pourrait faire appliquer le «standard minimum du traitement juste et équitable en droit international» qui régit les investissements étrangers et leur assure la protection, la sécurité complète et une transparence totale.

Les «quatre coups» de la vraie bataille

Pour que la facture ne soit pas trop salée pour le contribuable tunisien, le gouvernement de Youssef Chahed – qui mène la vraie «bataille», celle contre la corruption – n’a plus de temps à perdre.

Pour gagner la confiance des investisseurs, M. Chahed est appelé d’abord à reconnaître les erreurs commises par les précédents gouvernements qui ont obstinément nié pendant 35 ans la responsabilité de l’Etat dans cette affaire et recouru, à chaque fois, à l’arme pénale pour faire peur à la partie adverse.

La Cour de cassation tunisienne avait d’ailleurs prononcé son jugement en faveur de l’ABCI, victime, selon la plus haute juridiction, d’une «instrumentalisation de la justice par le pouvoir exécutif dans le but de contraindre la société britannique (ABCI) à céder le contrôle de sa filiale tunisienne au rabais».

Maintenant que l’affaire est entre les mains du Cirdi, l’ouverture d’une affaire pénale en Tunisie contre ABCI sera inéluctablement mise en échec par la procédure arbitrale.

Le gouvernement de M. Chahed pourra ensuite trouver un arrangement avec l’ABCI, avant la décision du Cirdi qui aura des répercussions désastreuses sur les finances publiques et, plus grave encore, surtout sur l’image de la Tunisie au cas où l’Etat tunisien serait déclaré responsable de cette débâcle qui a coûté à l’Etat plus de 900 millions de dinars tunisiens (MDT), sans compter les frais d’avocat qui ont dépassé 50 millions d’euros (35 millions jusqu’à 2010 et 15 millions de 2011 à 2017).

En cas d’accord amiable, l’Etat gagnera sur les tous les tableaux: 1 – la BFT sera restructurée, renflouée et sauvée; 2 – les crédits seront remboursés et récupérés; 3 – les réparations que l’Etat tunisien doit payer – au cas où sa responsabilité dans la débâcle de la BFT serait prouvée – seront réinvesties par l’ABCI en Tunisie, conformément à une proposition d’un règlement à l’amiable faite en mars 2011 par l’ABCI; 4 – les employés de la BFT, dont le nombre est estimé à entre 230 et 300, certains ayant plus de 30 ans d’ancienneté, ne seront pas réduits au chômage.

Lors d’un sit-in de protestation, le 3 mars 2016, devant le Palais du gouvernement et le ministère des Finances, la seule revendication de ces employés portait sur «le sort de la BFT».

«La mauvaise situation de la BFT incombe à l’irresponsabilité de la STB et la BCT»; «Nous exigeons l’ouverture de tous les dossiers liés à la corruption», pouvait-on lire sur des banderoles géantes.

«Nous avons frappé à toutes les portes. Sans réponse ! La Banque centrale refuse de désormais de renflouer la BFT. Nous réclamons un plan de sauvetage. C’est la responsabilité de l’Etat. C’est un problème national», avait pour sa part protesté le secrétaire général adjoint du syndicat des employés de BFT, Hammouda Abouda, s’exprimant sur les antennes de la Radio Nationale.

Comme tout feuilleton, aussi riche en péripéties et en rebondissements soit-il, a toujours une fin, il faudrait espérer que celui de la BFT finira… à l’amiable.

Autrement, quel est l’investisseur étranger qui patientera pendant 35 ans de poursuites judiciaires, d’arbitrages coûteux, de rebondissements multiples et rocambolesques pour espérer recouvrer son bien ?


 source: Kapitalis