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Afrique. Un marché commun… pour échanger quoi ?

L’Humanité | 29 mars 2018

Afrique. Un marché commun… pour échanger quoi ?

by Rosa Moussaoui

Quarante-quatre pays africains ont signé le 21 mars dernier à Kigali un accord créant une zone de libre-échange continentale (Zlec), avec l’objectif a ché de doper le commerce intra-africain. Projet phare de l’Union africaine (UA), cet accord, qui veut préfigurer le marché commun le plus vaste au monde, est le fruit de longues et laborieuses négociations. Il implique des poids lourds comme l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Kenya ou l’Algérie, mais le géant nigérian se tient pour l’heure à distance du processus, tout comme le Bénin, la Namibie, le Burundi, l’Érythrée, la Sierra Leone. Le président rwandais, Paul Kagamé, l’un des principaux artisans de cet accord, s’est toutefois réjoui de la conclusion d’un « pacte historique dont la concrétisation représente une avancée majeure pour l’intégration et l’unité africaines».

« Le continent aspire à l’autonomie collective »

L’initiative n’est pas inédite. Ratifié par les deux tiers des États africains, le traité d’Abuja instituant une communauté économique africaine à l’horizon de 2025 prévoyait déjà, en 1991, « la suppression progressive, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des biens, des ser- vices et des capitaux ». Depuis, les efforts d’intégration se sont surtout cantonnés à l’échelle régionale, avec la multiplication de communautés économiques qui peinent pourtant à faire décoller les échanges entre leurs États membres. Pour l’instant, 16 % seulement du commerce des pays africains s’e ectuent avec d’autres pays du continent.

À titre d’exemple, les échanges commerciaux au sein de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) représentent 9 % du total des exportations et 10,5 % du total des importations de l’ensemble des États membres. Quant au commerce intra- maghrébin, il est l’un des moins dynamiques au monde, 3 % à peine des échanges exté- rieurs de la zone. Ancien ministre tunisien de l’Économie et des Finances, l’économiste Hakim Ben Hammouda relativise ces chiffres. « Les statistiques o cielles sont loin de refléter la réalité des échanges, dont une grande partie reste informelle, insiste-t-il. L’accord de Kigali ne relève pas d’une décision tombée d’en haut. Il vient consacrer des dynamiques déjà sensibles. Le continent aspire à prendre son destin en main, en élaborant un projet économique d’autonomie collective basé sur l’intégration, l’industrialisation et la diversification. »

Cette initiative peut-elle contribuer à lever les tutelles économiques et à combattre les logiques de pillage qui entravent le développement du continent ? L’économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, président de l’Africaine de recherche et de coopération pour l’appui au développement endogène (Arcade), est circonspect. « Unir l’Afrique sur le plan économique, c’est une bonne idée. Mais une fois levées les barrières douanières, qu’échangerions-nous entre nous ? Des matières premières ? Pour faire circuler des biens, il faut une base industrielle et des infrastructures efficaces, tranche-t-il. Aujourd’hui, nous nous contentons d’exporter des produits sans valeur ajoutée et, pour se rendre de Dakar à Niamey, c’est la croix et la bannière ! » L’UA veut pourtant croire que le déploiement de cette zone de libre-échange continentale permettra d’augmenter de près de 60 % d’ici à 2022 le volume des échanges commerciaux intra-africain. « Cela ne bénéficierait pas aux populations, mais plutôt au capital interna- tional, prévient l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla. Dans le cas de la zone franc CFA, les États n’ont aucune maîtrise de leur politique monétaire, les crédits bancaires à l’économie sont faibles, les banques sont contrôlées pour l’essentiel par le capital étranger, il n’y aura donc pas de marge de manœuvre pour développer des productions locales ca- pables de rivaliser avec les productions étran- gères. » Si les 55 pays membres de l’UA signent, à terme, cet accord, cette zone de libre-échange créerait un marché de 1,2 milliard de personnes, pour un PIB cumulé de plus de 2 500 milliards de dollars. Un potentiel qui aiguise déjà les appétits... bien au-delà des frontières du continent.


 source: L’Humanité