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Chronique d’une catastrophe économique annoncée

Clicanoo (La Réunion) | 15 novembre 2007

Chronique d’une catastrophe économique annoncée

Si au 1er janvier 2008 La Réunion, composante du marché communautaire, s’ouvre grand aux exportations des pays ACP de la zone océan Indien, et sans réciprocité, comme le souhaitent Commission européenne, et États membres du groupe CMMS, en fait de nouvelle ère de co-développement, c’est une sacrée une gueule de bois qui nous tombera sur le nez, après la Saint-Sylvestre !

Monseigneur Aubry, es qualité de président de la Commission diocésaine Justice et Paix, a publiquement pris position sur la scène politique réunionnaise pour demander aux responsables et décideurs politiques, économiques et administratifs, d’expliquer aux Réunionnais ce que sont les tenants et aboutissants des abscons Accords de Partenariat Économique (APE) avec les États de la région océan Indien, sur lesquels se sont penchés, hier, à Bruxelles, les 27 commissaires européens, en charge de l’exécutif de l’Union. L’irruption d’une telle autorité morale sur un terrain bien étranger aux problématiques spirituelles, pourrait surprendre s’il ne s’était agi, pour Monseigneur Aubry, d’attirer solennellement l’attention du plus grand nombre sur l’évolution de procédures internationales, qui pour paraître éloignées de La Réunion et de notre quotidien, n’en sont pas moins lourdes de sens pour le devenir immédiat de notre société. Le caractère extraordinaire du geste est proportionnel à l’importance de l’enjeu. L’évêque de La Réunion explique : “L’Europe est obligée de respecter les règles commerciales internationales régies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sinon elle s’exposerait à des sanctions. Dans le cadre des APE, l’Europe a décidé une ouverture de ses frontières (donc des nôtres) aux productions des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), et ce sans aucun droit de douane, ni quotas. Que pourrait-il se passer si l’Europe signait de tels accords avec les Comores, Madagascar, Maurice et les Seychelles ?” Il est bien évident que l’abandon brutal des mesures de régulation du libre-échange et de protection des productions réunionnaises mettrait à rude épreuve le tissu économique insulaire qui s’est développé, via une politique volontariste d’import substitution, sur un marché sanctuarisé par une fiscalité locale défensive - l’anachronique octroi de mer - et une batterie de mesures dérogatoires propres aux régions européennes ultrapériphériques.

“ CE QUI SERAIT TERRIBLE... ”

L’Union Européenne qui a admis début septembre de cette année, l’impossibilité de signer un accord global avec cinq des six régions du groupe ACP - exception faite de la zone Caraïbes (CARIFORUM) - avant le 31 décembre 2007, date prévue pour l’expiration de la dérogation accordée par l’OMC aux régimes de préférences commerciales offerts aux pays ACP dans le cadre de l’accord de Cotonou, se contentera d’accords intérimaires portant sur les marchandises. Paul Vergès, en sa qualité de président de la région Réunion, a suivi de près les discussions engagées au sein du conseil des ministres de la Commission de l’océan Indien, laquelle se faisait l’écho des positions initiées par les États composites du sous-groupe régional CMMS (Comores, Madagascar, Maurice, Seychelles), visant à négocier en marge des accords de partenariat économiques (APE), des deals régionaux partiels alignés sur les conditions faites par l’Union Européenne à l’ensemble des 77 pays ACP. En avril dernier, l’Union Européenne a proposé, entre autres pays, au groupe CMMS d’éliminer toutes les limitations à l’accès au marché communautaire. L’offre vaut pour tous les produits, agricoles y compris. Elle sera valide dès la signature d’un accord - avec néanmoins une période de transition pour des produits tels que le riz et le sucre. Les ACP disposeront donc du même accès illimité au marché européen que Pays les Moins Avancés (PMA) dans le cadre du régime “Tout sauf les Armes” de l’Union. Fait aggravant pour les DOM, et donc tout particulièrement pour La Réunion, cette offre n’implique pas une réciprocité intégrale pour les ACP. Dans le cadre des accords APE, les États ACP devront certes ouvrir leurs marchés, mais à l’issue d’une période transitoire “à la carte”. Ainsi, pour le groupe CMMS, il est question d’un moratoire de cinq ans, suivi d’une ouverture progressive étalée sur dix ans pour Maurice et les Seychelles ; Madagascar et les Comores figurant au nombre des PMA bénéficieront d’un moratoire de 10 ans suivi d’une période d’ouverture s’étalant sur 15 ans. Enfin, histoire de rassurer les producteurs et exportateurs réunionnais, les pays ACP conserveront le droit de protéger les produits dits sensibles qui pourraient souffrir de l’élimination des droits de douane. Histoire d’achever le tableau d’une crise économique future, il convient de préciser que les accords conclus sur la base de l’offre que nous venons de décrire n’intègrent de la part de l’Union aucune assurance quant à la pérennité du traitement différencié des DOM et notamment de l’octroi de mer s’agissant de La Réunion. Octroi d’ores et déjà remis en cause par le groupe CMMS. C’est sans doute la perception de ce contexte explosif et menaçant, qui élude totalement la voix de La Réunion, diluée dans la représentation française au sein de la Commission européenne, un commissaire sur 27, qui a conduit Paul Vergès à déclarer, le 3 novembre dernier : “Si, comme il y a de très grande chance, l’Accord de partenariat économique se réalise pour application au 1er janvier 2008, c’est une ère nouvelle pour La Réunion (...). Ce qui serait terrible, c’est qu’une partie de l’opinion réunionnaise ne s’en aperçoive pas”. Et comment le pourrait-elle, car si comme le précise Paul Vergès “nous sortons de l’ère de la protection et des forteresses commerciales pour entrer dans celle de la libéralisation des échanges... ”, cette nouvelle ère peut aussi être synonyme de catastrophe économique. Il est impossible à une économie aussi fragile que celle de La Réunion de s’adapter sans délai à une concurrence régionale qui sera de fait placée en situation de “ discrimination positive ” insoutenable.

Philippe Le Claire

 Le Fonds européen de développement (FED) est l’instrument principal de l’aide communautaire à la coopération au développement aux États ACP ainsi qu’aux pays et territoires d’outre-mer (PTOM). Le neuvième FED, actuellement en cours d’exécution, est doté d’une somme de 13,5 milliards d’euros pour la période de 2000 à 2007. Sur ce total, la France apporte une contribution de plus de 3 milliards d’euros. En outre, les reliquats des FED précédents s’élèvent à plus de 3 milliards d’euros, portant l’enveloppe disponible à 16,3 milliards d’euros. Le dixième fonds, couvrant la période allant de 2008 à 2013, prévoit une enveloppe budgétaire de 22 682 millions d’euros. Dans la perspective APE, ces financements aggraveront la fragilité de l’économie réunionnaise face à ses concurrents régionaux.

 L’octroi de mer représente de 33 à 67 % des recettes des communes, 25 % des recettes du conseil régional. Or la question de la suppression de l’octroi de mer est régulièrement évoquée. Le dispositif actuel expire en 2014. Mais les pays ACP, dans le cadre de leurs négociations avec l’Europe font pression sur cette dernière pour que le dispositif soit abrogé. Et aucune assurance n’a été donnée quant au maintien de cet octroi au niveau européen. Idem quant à la pérennité du traitement différencié des DOM...

“La population doit être informée”

Pourquoi la commission diocésaine Justice et Paix a-t-elle pris la décision d'interpeller les Réunionnais (notre édition d'hier) sur les négociations en cours APE-Région océan Indien ? MgrAubry. Notre démarche n'a rien de surprenant. Elle s'inscrit pour l'Église dans la perspective de Vatican II. Il est important qu'elle se soucie des débats de société. Cette initiative participe à sa volonté de voir à la Réunion une société constituée de citoyens responsables qui débattent et qui soient informés. Ceci pour éviter tout risque de manipulation. Le souci de la commission “Justice et Paix” est uniquement pédagogique. Il n'est pas question dans cette affaire de se substituer aux décideurs économiques et politiques. Souhaitons simplement que les responsables réunionnais puissent se concerter pour défendre les intérêts supérieurs de La Réunion (...) nous voulons que des éclaircissements soient apportés à la population et que sur ce dossier chacun prenne ses responsabilités. Il ne serait pas normal pour les Réunionnais que des décisions importantes pour leur avenir, celui de l'île et de son environnement, soient prises et qu'ils ne soient pas informés des enjeux, pas plus que de l'issue des négociations. Il y a actuellement des tractations, des réunions qui se tiennent sur les accords de partenariat économique entre l'Europe et les pays de la zone, les Réunionnais doivent savoir ce qui est entrain de se préparer. Il en va du respect de notre population.

Non assistance à Réunion en danger

“On se demande bien à quoi sert la COI, ce que font et pensent nos élus du peuple, et la Réunion économique, exception faite du président Vergès et de notre évêque ! Les tentatives - en misouk - de négociations directes d'Accord de Partenariat Économique (APE) entre le sous groupe CMMS Comores, Madagascar, Maurice et les Seychelles et l'Europe sont criminelles à l'égard de tous les Réunionnais, consommateurs, travailleurs, et usagers (...) Les APE sont sous l'influence des orientations de l'OMC. visent à éliminer toutes les protections dont bénéficient les économies locales, pour l'établissement d'une “concurrence non faussée”. C'est dire l'impact que pourrait avoir un tel projet s'il s'appliquait mécaniquement à une économie réunionnaise vulnérable, ce qui mettrait directement en concurrence les producteurs réunionnais avec tous ceux de la région, dans tous les secteurs sauf le sucre et cela, dès le 1er janvier prochain.(...) Nous sommes une région, ultrapériphérique d'Europe, comme le sont également la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, les Açores, Madère et les Canaries. Nous sommes une RUP, la seule dans la région de l'océan Indien. Quid alors de notre économie spécifique, encore fragile et bien évidemment vulnérable, dans un environnement géographique et social très particulier. Que se passera-t-il si les produits de Madagascar, de l'Ile Maurice, d'Afrique du Sud et autres peuvent y entrer, sans limite, ni protection douanière ? Nous avons le devoir impérieux d'anticiper et de juguler les impacts de ces APE sur notre avenir. De milliers d'emplois locaux en dépendent. Si l'octroi de mer disparaissait, qui financerait le fonctionnement de nos collectivités et les grands investissements structurants ?”

Noor-Olivier Bassand - Président de l'ORGECO

“ Les commissaires européens n'ont pas mandat pour signer... ”

“Ces accords APE datent de trois ans ; à La Réunion on en a pris conscience début 2007, avec l'accélération des événements et nous avons mis le doigt sur le fait que c'est la Commission européenne qui négocie sur la base des indications du conseil des ministres (...) le problème du co-développement envisagé par ces accords réside dans le fait que nos produits sont les mêmes que ceux de nos voisins, ce qui implique que l'on doit organiser des règles du jeu et que l'on désigne un arbitre (...) Nous faisons du lobbying en ce sens, via l'organisme Eurodom notamment et les organisations professionnelles de La Réunion, dont La Réunion Economique s'activent dans le même sens. Le ton monte en ce moment car des articles de presse ont fait état des initiatives de Maurice et des Seychelles, mais nous sommes vigilants et les commissaires européens n'ont pas mandat pour signer... ”

Maurice Cerisola (La Réunion économique)

 source: Clicanoo