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"Il existe des solutions alternatives au projet de Bruxelles"

LE MONDE ECONOMIE | 05.11.07 | Article paru dans l’édition du 06.11.07.

Entretien avec Claire Delpeuch
"Il existe des solutions alternatives au projet de Bruxelles"

Propos recueillis par Antoine Reverchon

Existe-t-il une voie alternative aux accords de partenariat économique (APE) pour augmenter les échanges entre les pays Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP) avec l’Union européenne (UE) ?

La Commission européenne s’était engagée à ce que, en cas d’échec de ces négociations, soient proposées aux ACP des alternatives qui amélioreraient leur situation par rapport à l’existant. Mais cette promesse n’a pas été tenue. Pourtant, de telles alternatives existent, qui libéraliseraient les échanges, préserveraient les recettes douanières et respecteraient les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Contrairement à ce que dit Bruxelles, l’OMC accepte les accords de préférence commerciale, par exemple entre les Etats-Unis et l’Afrique ou les Caraïbes. Mais pour ne pas être attaqués par un tiers, de tels accords doivent créer une véritable libéralisation, sans privilégier un partenaire, en l’occurrence l’UE. Sur les 380 accords bilatéraux conclus dans le cadre de l’OMC, très peu ont été attaqués. On peut se demander si, en brandissant cette prétendue contrainte, la Commission ne cherche pas plutôt à préserver l’accès privilégié des Européens aux marchés ACP.

Comment parvenir à de tels accords ?

En ne s’attaquant qu’aux tarifs douaniers maximums (dits "consolidés") sur les produits importés dans les pays ACP, et non aux tarifs dits "appliqués" en vigueur à l’heure actuelle et qui sont dans l’ensemble assez bas. Si les ACP acceptent de ramener ces tarifs consolidés au niveau des tarifs appliqués, ils renonceraient à créer des "pics tarifaires", dissuasifs pour les importateurs, se soustrairaient à la pression des lobbies internes, prompts à réclamer l’application de ces pics en cas de crise, et renforceraient la prédictibilité des marchés pour les investisseurs étrangers. Ils feraient ainsi un pas incontestable vers la libéralisation, inattaquable devant l’OMC. Mais ils ne se priveraient pas pour autant des tarifs "appliqués", qui constituent l’essentiel de leurs recettes douanières, et que l’UE souhaite supprimer. En l’état des APE, les ACP pourraient fort bien atteindre l’objectif de libéralisation sur 80 % des produits en ne supprimant que les tarifs les plus bas... et se rattraper sur les pics tarifaires, ce qui serait l’inverse de la libéralisation souhaitée par Bruxelles !

Mais ces solutions permettraient-elles aux ACP de rattraper leur déficit de compétitivité ?

A elles seules, certainement pas. De ce point de vue, les APE aggravent la situation, en ôtant tout moyen de compenser les défauts de moyens de transport et de production dont souffrent leurs filières agricoles, sauf au prix d’une aide de l’UE qui augmenterait encore la dépendance. Le principal obstacle aux exportations ACP sont les règles d’origine (sanitaires et phytosanitaires). L’APE comprend certes une promesse de les renégocier, mais aucune date limite n’a été fixée ni aucune discussion entamée ! Une solution serait de considérer l’ensemble des ACP comme une seule origine car le processus de production est géographiquement si éclaté qu’il est toujours possible de bloquer une importation en prétextant un manquement à telle ou telle règle. Il faudrait aussi implanter des laboratoires de certification dans les ACP : à l’heure actuelle, les producteurs de ces pays doivent réaliser les tests de conformité dans des laboratoires européens, à des coûts parfois supérieurs au prix du produit lui-même !

Enfin, l’amélioration de la compétitivité passe par la création de véritables marchés régionaux. A cet égard, les APE font fausse route, en concédant aux ACP le maintien, pour chaque pays, d’une liste de "produits sensibles" sur lesquels ils pourraient conserver des tarifs élevés. Or il s’avère que, par exemple en Afrique de l’Ouest, 92 % de ces produits ne sont pas communs à tous les pays de la zone. Autrement dit, cette approche interdit la création de marchés régionaux et prête le flanc aux pressions des lobbies agricoles et des Etats les plus forts, aux dépens des intérêts de la population.


CV

2007
Claire Delpeuch est assistante de recherche au Groupe d’économie mondiale à Sciences Po (GEM), où elle prépare une thèse sur les réformes du secteur cotonnier en Afrique de l’Ouest.

2006
Elle est chercheuse invitée au sein de l’unité politique commerciale du Centre for European Policy Studies (CEPS), où elle effectue une recherche sur les accords de partenariat économiques (APE) entre l’Union européenne et les pays Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP).


 source: Le Monde