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“Il y a chez le partenaire européen un décalage entre les discours et la réalité”

Le Messager (Yaoundé) | 16 juillet 2007

Bernard Njonga : Leader de la société civile
“ Il y a chez le partenaire européen un décalage entre les discours et la réalité ”

Le président de l’Association citoyenne pour la défense des intérêts collectifs (Acdic), très impliqué dans la négociation des Accords de partenariat économique entre l’Union européenne et l’Afrique centrale souligne les réserves de la société civile dans la signature des Ape.

Où en sont les négociations de l’Accord de partenariat économique entre l’Union européenne et l’Afrique centrale à ce jour?

Depuis septembre 2002, date de début des négociations entre l’Union européenne et l’Afrique Centrale, les négociateurs n’ont pas chômé. La première étape des négociations a consisté a discuter des priorités d’intégration régionale (économique et commerciale) de la sous région. Elle s’est achevée en novembre 2005 et s’est soldée sur des engagements pris par l’UE et l’Afrique Centrale pour le renforcement de l’intégration régionale. Il reste à voir comment ces engagements, qui nécessitent de vastes programmes de reformes et d’investissement, vont être mis en œuvre.

La seconde étape de la négociation portait sur la structure de l’Accord et les questions de développement. Cette phase a connu un blocage de six mois en raison du refus de la partie européenne d’engager des discussions sur le renforcement des capacités qui constituait une des préoccupations de la sous-région. Par renforcement des capacités, il faut entendre la mise à niveau des entreprises, le financement des infrastructures de base, l’amélioration de l’environnement des affaires, l’amélioration de la compétitivité et la diversification de l’économie, le développement des capacités d’offre, le développement de l’agriculture, le développement humain, etc.

En février 2007 à Bruxelles, les deux parties sont parvenues à un compromis en onze points, avec des engagements de part et d’autre. Elles avaient aussi convenu de se retrouver en juillet 2007 pour faire une évaluation des avancées dans les onze points du compromis afin de juger de l’opportunité d’accorder un temps supplémentaire pour la conclusion des négociations. C’est l’objet des négociations qui se bouclent à Yaoundé ce 16 juillet 2007 entre les commissaires européens au commerce et au développement et les ministres en charge des Ape de l’Afrique Centrale.

La troisième étape va consister à négocier l’accès aux marchés et les secteurs à libéraliser. Entendez le démantèlement tarifaire (le rythme et le niveau), les secteurs à protéger, les règles d’origine, etc. Cette étape est supposée être conduite simultanément avec la deuxième dans sa partie concernant le texte de l’accord.

Quels sont les enjeux réels des Ape pour les économies et les entreprises de la sous-région Afrique centrale?

Conformément aux objectifs de l’Accord de Cotonou, les Ape doivent contribuer à promouvoir l’intégration régionale, et l’intégration progressive et harmonieuse des économies de l’Afrique Centrale dans l’économie globale. D’un mot, le développement et la réduction de la pauvreté. Cela suppose le renforcement des entreprises locales, le renforcement du commerce intra-régional avant l’ouverture à la concurrence des marchandises et services étrangers à la région. Si ce schéma n’est pas suivi, il est fort à croire que l’ouverture prématurée aura des conséquences graves sur les économies et les entreprises locales. L’étude d’impact réalisée pour le secteur agricole l’a d’ailleurs montré.

Or, la tendance qu’on observe de la part des partenaires européens est un décalage entre le discours et la réalité. Ils disent vouloir œuvrer pour la promotion du développement de la sous-région, mais ils résistent à poser les actes conséquents. Ce qui laisse penser que l’objectif poursuivi par la partie européenne est l’ouverture totale des marchés de la sous-région en dépit des conséquences sur le développement.

Quelle est la plus-value concrète de accords de partenariat économiques par rapport aux règles de l’Organisation mondiale du commerce?

Précisons d’abord que les Ape viennent changer la configuration de la coopération commerciale entre les pays de l’Afrique centrale et l’UE, pour la mettre en conformité avec les règles de l’Omc. Depuis les conventions de Yaoundé I et II jusqu’à la convention de Lomé IV (bis), la coopération commerciale entre l’UE et les pays Acp étaient basée sur les préférences tarifaires non réciproques. Ce qui signifie que nos produits accédaient aux marchés européens en franchise de droit de douanes, sans que nous soyons obligés de faire pareil pour les produits européens sur nos marchés. Avec l’avènement de l’Omc en 1995 cette situation ne peut plus perdurer et les deux parties doivent se conformer aux nouvelles règles du commerce mondial que sont la réciprocité et la non discrimination. Mais cela ne peut se faire de façon bénéfique pour nos pays, que si un certain nombre de conditions sont réunies. Notamment tout ce dont nous avons parlé précédemment en terme de renforcement des capacités.

Par ailleurs il est à craindre qu’avec les négociations qui sont encore en cours au niveau de l’Omc, les Ape n’aboutissent à une situation plus contraignante que celle qui sortira de la conclusion finale des négociations du cycle de développement de Doha. En conclusion, les Ape pourraient être une opportunité pour le développement des économies de la sous-région s’ils tiennent compte des aspects développement de la libéralisation des échanges.

En l’état actuel du niveau de développement des entreprises de la sous région que peut vendre l’Afrique centrale au sein de l’Union européenne, en dehors bien sûr des matières premières sans grande valeur ajoutée?

Pour être franc, pas grand-chose. Pour preuve, à ce jour en 2006, la structure et le volume des exportations de la sous-région vers l’Europe est semblable à ce qu’ils étaient dans les années 1950 du temps de l’Afrique Equatoriale Française (Aef). Très peu diversifiée. Tenez : Le cacao et le café représentent plus de 10% de la valeur des exportations de la Cemac vers l’Europe, les produits pétroliers (44%), les produits animaux et alimentaires (23,5%), les matières non comestibles dont le bois (22%). Vous voyez qu’on n’exporte que les matières premières.

D’ailleurs en visitant les étalages sur les marchés, vous voyez bien que le secteur de la transformation locale est bien inexistant. Tout ce qui est transformé est importé. Ce n’est pas avec la concurrence que va générer les Ape que cela va changer comme par coup de baguette magique. Ça risque bien d’être plus difficile pour nos petites entreprises de transformation.

Le financement du renforcement des capacités et la mise à niveau des entreprises de la sous-région continuent d’achopper dans les négociations. Pourquoi d’après vous, l’Union européenne refuse t-elle de financer ce renforcement des capacités alors qu’elle l’a fait pour la sous-région Afrique de l’Ouest?

Vous ne pouvez pas encore affirmer qu’elle l’a fait pour la sous-région d’Afrique de l’Ouest. On ne pourra l’affirmer avec certitude que lorsque des engagements seront pris et consignés dans le texte d’un accord, et que les garanties de mise en œuvre seront fournies. Dans la situation actuelle, l’UE et les régions de négociation ont simplement convenu de la création d’un fonds régional Ape pour le financement du renforcement des capacités, des reformes liées aux Ape et la compensation des pertes de recettes douanières. Les sources de financement, les mécanismes de financement du fonds, les modalités d’accès aux fonds, et tous ces éléments concrets sont encore très flous.

Le renforcement des capacités tel que l’entendent les négociateurs d’Afrique centrale, est la base du développement de la production et de la création d’un véritable marché régional. Est-ce l’intérêt poursuivi par la partie européenne ?

Pour revenir à votre question, on pourrait penser que l’UE résiste parce qu’elle veut utiliser cet élément pour obtenir l’engagement de l’Afrique centrale à signer un accord de libre échange le plutôt possible, sans garantie de prise en compte de la dimension développement. Ca fait partie de la négociation. C’est à nous de savoir ce que nous voulons et de tenir bon pour l’obtenir.

Depuis quelques jours, l’Union européenne semble vouloir conditionner la signature des Ape par les pays de la zone Afrique centrale au déblocage du 10e Fed (Fonds européen de développement). Quel commentaire cela vous suggère?

Ce n’est pas nouveau. C’est une tendance qui a émergé très tôt dans les négociations, qui a été dénoncée et qui, finalement, est entrain de s’imposer. Nous pensons que c’est une violation des termes de l’accord de Cotonou. Le Fed est un instrument de la coopération dont les missions ont été définies et qui ne sont pas liées aux Ape. L’accord de Cotonou prévoit que l’UE mettent à la disposition des pays Acp des ressources additionnelles conséquentes pour accompagner la mise en œuvre des Ape. Ce qui n’est pas la volonté de la partie européenne aujourd’hui.

Par ailleurs il faut dire que le Fed en lui-même est une cagnotte inaccessible aux pays Acp. En raison de la complexité des procédures. Tous les gouvernements Acp s’en plaignent. Ce qui explique la faible consommation de ces fonds par les pays Acp. En sera-t-il de même dans le cadre des Ape ? Auquel cas nous devront être vigilants et réfléchir autrement.

Dénonçant les "manoeuvres de l’Union européenne dans les négociations" une faction importante du secteur privé estime qu’en l’état actuel des négociations, l’Afrique centrale ne devrait pas signer les Ape au 31 décembre 2007. Partagez-vous cette prise de position?

Nous pensons que les conditions ne sont pas réunies pour que cet accord puisse être signé au 31 décembre 2007 ! Les différentes phases de négociation ne sont pas terminées, les travaux techniques (études d’impacts) visant à donner aux parties une idée de ce qui pourrait advenir au cas où on instaurait le libre-échange ne sont pas achevés, les négociations sur l’accès aux marchés (les plus difficiles) n’ont pas encore véritablement commencé, le texte de l’accord (sa structure et son contenu) n’a pas encore fait l’objet d’une discussion sérieuse, les négociateurs de la Cemac ne sont pas assez nombreux pour conduire toutes ces discussions en même temps, etc. Ceci montre qu’il y a quelque chose qui ne va pas quelque part.

Il faut du temps pour finaliser ces travaux, et s’assurer que les préoccupations de développement sont prises en compte dans l’ensemble de la négociation.

Plus d’un expert accusent sous cape les "égoïsmes nationaux " des dirigeants de la sous région comme l’une des causes des atermoiements dans les négociations des Ape de même que des relations "public - privé" souvent exécrables. L’Afrique centrale n’est-elle pas finalement responsable de ce qui lui arrive aujourd’hui ?

Il faut dire que la configuration des négociations des Ape est assez complexe et est susceptible de soulever des problèmes comme ceux que vous évoquez. C’est la sous-région, et non les pays individuels qui négocient avec l’Europe. Cela nécessite que les pays de la sous-région aient une position commune qui va être portée par la Cemac et la Ceeac qui négocient pour la sous-région. Cela a pour conséquence que la sous-région mène une double négociation. La première pour la définition de ses positions communes. Celles-ci, en raison de l’absence de politiques communautaires et d’une claire vision pour le développement des différents secteurs de l’économie de la sous-région, laisse la porte ouverte à toutes sortes de considérations. Et cela est un handicap sérieux. La deuxième négociation se fait avec l’UE. Celle-ci évidemment ne peut être bien conduite que si la première est réussie.

Malheureusement, il y a des situations où les divergences entre les pays de la sous-région fragilisent la position communautaire.

En définitive vous avez quelque part raison de dire que la responsabilité est d’abord la nôtre et que nous devons prendre le leadership de notre développement.

Entretien avec Yves Djambong
Le 16-07-2007


 source: Le Messager