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Les accords bilatéraux, voie royale du libre-échange

LE MONDE | Paris | 20.06.06

Les accords bilatéraux, voie royale du libre-échange

Laurence Caramel

Le compte à rebours est une nouvelle fois enclenché pour les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), convoqués dans la dernière semaine de juin à Genève pour une réunion jugée cruciale. La probabilité d’un compromis demeure difficile à évaluer tant les grands acteurs de la négociation - Etats-Unis, Union européenne, Brésil, Inde - n’ont cessé, depuis la dernière rencontre ministérielle de Hongkong en décembre 2005, de souffler le chaud et le froid, appelant à la conclusion du cycle de négociations entamé à Doha en 2001 sans être capable, de proposer une solution de sortie acceptable pour chacun. Le spectacle de cette paralysie persistante, depuis le premier échec à Cancun en 2003, contraste avec l’activisme déployé pour conclure des accords bilatéraux ou régionaux, et obtenir ainsi l’accès à des marchés que ne réussissent pas à déverrouiller les discussions multilatérales.

Près de 40 % des échanges internationaux s’effectuent désormais dans le cadre d’accords préférentiels, et si la mode du régionalisme a commencé au début des années 1990, elle a pris depuis Cancun une ampleur sans précédent. Depuis 2004, 46 nouveaux accords ont été notifiés à l’OMC. Plus de 190 sont aujourd’hui en vigueur, et l’OMC en prévoit 300 d’ici à 2008. La Mongolie est le seul pays à être resté à l’écart du mouvement dans lequel le régulateur du commerce mondial aimerait bien remettre, sinon de l’ordre, au moins de la transparence. Cela fait aussi partie du mandat de Doha. "L’accumulation de traités tous différents rend le système de plus en plus complexe et opaque", regrette un membre du Comité des accords commerciaux régionaux, en théorie chargé de vérifier leur conformité avec les règles multilatérales, mais dont le travail s’avère dans la pratique impossible, les pays membres n’étant jamais parvenu à s’entendre sur des critères d’évaluation communs.

Bref, ce n’est pas un hasard si l’image la plus souvent utilisée pour décrire l’enchevêtrement des arrangements régionaux est celle du bol de spaghettis. Elle se justifie aussi d’un simple point de vue géographique car, à côté des regroupements de voisinage type Union européenne (UE) ou Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay), dont les objectifs visent l’intégration régionale et la formation de zones commerciales au poids géopolitique plus lourd, la nouvelle génération d’alliances bilatérales favorise les rapprochements entre pays n’appartenant pas au même continent et d’un niveau de développement souvent inégal : après le Maroc et la Jordanie, les Etats-Unis envisagent la création d’une zone de libre-échange avec l’Egypte, l’UE est liée par un traité semblable au Chili, au Mexique, au Liban, à l’Afrique du Sud.... "Cette évolution n’est pas saine, déplore Patrick Messerlin, professeur à Sciences Po. En introduisant des discriminations, elle risque de générer des tensions politiques entre voisins, ceux réussissant à signer avec les grands pays disposant d’avantages refusés aux autres." Cette analyse est partagée par Thierry Mayer, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), qui a montré dans de récents travaux que plus un pays a des partenaires commerciaux lointains, plus il a de chances d’entrer en conflit avec son voisin, l’interruption de ses échanges avec ce dernier n’ayant plus qu’un coût marginal. Mais surtout M. Messerlin critique "les relents impérialistes" de ces accords qui permettent aux grands pays d’imposer aux plus petits des concessions hors d’atteinte dans le cadre multilatéral.

De fait, ces accords parfois appelés "OMC plus" couvrent un champ beaucoup plus large et intègrent les questions exclues des négociations à la demande des pays en développement lors du sommet de Cancun, comme l’investissement, les marchés publics, l’environnement... Dans le domaine de la propriété intellectuelle, et notamment sur la question de l’accès aux médicaments, ils imposent souvent des clauses de protection plus dures que les normes de l’OMC. Sans nier cette réalité, Sam Laird, conseiller spécial du directeur général de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) tempère ces critiques : "Ces accords sont pour les pays en développement un moyen d’accéder aux marchés des pays riches et de toucher les dividendes des politiques de libéralisation mises en oeuvre au cours des vingt dernières années. Dividendes que ne leur donne pour l’instant pas pleinement l’OMC." Et, ajoute-t-il, "de toute façon, ils n’ont pas vraiment le choix, la course aux accords bilatéraux est devenue une guerre des gangs à laquelle il faut participer, sauf à prendre le risque de voir des flux d’échanges passer chez le voisin". Les partisans des alliances bilatérales avancent un autre argument. "Ces accords préparent les prochaines étapes de la libéralisation et peuvent donc être un élément de construction du multilatéralisme", estime Jean-Marie Metzger, directeur du département des échanges de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). A condition, reconnaît-il cependant, que les pays ne dépensent pas toute leur énergie dans les négociations bilatérales. Et qu’ils ne finissent pas, au bout du compte, par considérer qu’un accord à l’OMC n’est plus indispensable.


 source: Le Monde