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Libre-échange : les enjeux des négociations entre les Etats-Unis et l’UE

Le Monde.fr | 11.11.2013

Libre-échange : les enjeux des négociations entre les Etats-Unis et l’UE

Par Stéphane Lauer (New York, correspondant) et Philippe Ricard

Un rapport publié fin septembre par la fondation Bertelsmann, Atlantic Council et l’ambassade du Royaume-Uni à Washington, affirme qu’un accord pourrait créer plus de 740 000 emplois aux Etats-Unis.

Les négociations entre l’Europe et les Etats-Unis sur le traité de libre-échange entre les deux continents ont repris, lundi 11 novembre. Une soixantaine d’officiels américains passeront leur semaine à Bruxelles, quatre mois après le premier cycle de discussion, en juillet à Washington.
L’ombre du scandale NSA. Entre-temps, les révélations se sont multipliées sur l’espionnage à grande échelle des autorités et citoyens européens par les services de l’Agence nationale de sécurité (NSA) américaine. Et le scandale pèse sur les premiers pas du "Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement" (TTIP).

Le président du Parlement européen, et chef de fil des socialistes pour les élections de mai 2014, l’Allemand Martin Schulz, a lui-même suggéré de faire une pause dans les négociations. Mais, à ce stade, les dirigeants européens entendent faire la distinction entre libre-échange et écoutes téléphoniques. Pour eux, pas question à ce jour de suspendre des tractations.

Un fort intérêt américain. "Il existe aux Etats-Unis un consensus bipartisan dans la mesure où les républicains sont pro-commerce et les démocrates voient dans le TTIP un moyen d’amener les normes américaines vers les normes européennes, qui dans beaucoup de domaines sont plus protectrices pour le consommateur", explique Nicholas Dungan, du groupe de réflexion Atlantic Council.

Un rapport publié fin septembre par la fondation Bertelsmann, Atlantic Council et l’ambassade du Royaume-Uni à Washington, affirme qu’un accord pourrait créer plus de 740 000 emplois aux Etats-Unis. L’automobile et la chimie seraient les secteurs qui, grâce aux exportations, bénéficieraient le plus d’une libéralisation des échanges entre les deux rives de l’Atlantique. Toujours selon ce rapport, les exportations vers l’Europe progresseraient de 33 % en moyenne.

Des tractations qui s’annoncent longues. "Affaire Snowden ou pas, la mise en place de tels accords est de toute façon très complexe, et prendra plusieurs années", prévient-on des deux côtés de l’Atlantique. Les services, l’investissement, l’énergie, et les matières premières, ainsi que les questions de régulation sont officiellement à l’ordre du jour, mais aucune percée définitive n’est attendue, tant les deux parties en sont encore à se positionner.

"Les discussions ne sont pas encore entrées dans le vif du sujet, il s’agit d’un round d’observation", observe un négociateur européen. "Nous allons poursuivre la mise en place organisationnelle, explique un diplomate. Il s’agit de définir les groupes de travail et leur périmètre d’intervention, mais nous n’aurons une vision claire de la négociation qu’à partir du mois de janvier."

Le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, aimerait rester cinq années supplémentaires à son poste pour boucler les négociations. Mais il est poursuivi en Belgique pour fraude fiscale, et une éventuelle condamnation pourrait couper court à ses ambitions.

De nombreux écueils. En dépit des garanties données par les négociateurs, les organisations non gouvernementales européennes dénoncent par avance toutes concessions en matière d’importation d’organismes génétiquement modifiés ou de viandes aux hormones.

Autre sujet épineux, qui tient à cœur les Européens : les marchés publics. Comme le rappelait récemment le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, en Europe, 95 % des marchés publics sont ouverts aux entreprises étrangères, quand, aux Etats-Unis, ce taux n’est que de 30 %.

Karel De Gucht s’attend à des tractations difficiles sur les services ou certains dossiers agricoles, comme les indications d’origines géographiques que les Européens aimeraient voir reconnues outre-Atlantique.

Des divergences sur les services financiers. Pour le commissaire européen au marché intérieur, Michel Barnier, ce secteur doit naturellement trouver sa place dans la négociation d’un tel accord avec les Etats-Unis. Le Trésor américain, lui, ne souhaite pas revenir sur la loi Dodd-Frank sur la régulation financière, négociée de haute lutte avec les républicains en 2010 pour tirer les leçons de la crise financière partie des Etats-Unis en 2007.

Certains responsables américains craignent qu’un accord avec l’Europe ne vienne remettre en cause ce texte, dont la philosophie générale est de décourager la prise de risque inconsidérée. Les agences de régulation, comme le gendarme de la Bourse, la Security and Exchange Commission, sont très indépendantes outre-Atlantique et ne veulent pas se laisser lier les mains, fait-on valoir du côté américain.

L’un des objectifs du futur partenariat serait de créer un "marché transatlantique" fondé sur "la convergence réglementaire", rappellent les négociateurs européens. "C’est particulièrement pertinent pour les services financiers", veut-on croire à Bruxelles : "La stabilité financière ne peut pas être renforcée par des approches réglementaires fragmentées, des législations incohérentes, et un faible niveau de coopération entre les superviseurs."

Les enjeux sont considérables. Les liens financiers entre les Etats-Unis et l’Europe sont très étroits, et représenteraient 60 % des activités bancaires mondiales. Entre les deux régions, les investissements croisés en actions et obligations se chiffrent en milliers de milliards d’euros.

Stéphane Lauer (New York, correspondant)
Journaliste au Monde

Philippe Ricard
Journaliste au Monde


 source: Le Monde