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Mieux comprendre les APE

L’Express Dimanche (Maurice) | 6 janvier 2008

ACCORDS DE PARTENARIAT ÉCONOMIQUE
Mieux comprendre les APE

Fabrice ACQUILINA

Trois lettres que l’on dit contaminées. Trois lettres pour lesquelles l’Afrique tient tête à Bruxelles. L’inimaginable s’est même produit : les accords de libre-échange entre l’Europe et les pays d’Afrique-Caraïbes-Pacifique n’ont pas été signés comme prévu au 31 décembre. Tandis qu’elle plaide pour un partenariat réinventé, l’Union européenne a le plus grand mal à nous convaincre d’accepter un nouveau type de relations économiques. Maurice, certes, n’a pas mené la fronde. Elle n’a pas claqué de portes, contrairement à d’autres. Mais le pays a donné l’impression de devoir choisir entre deux mots : signer les APE ou ne pas les signer. Pour choisir finalement l’option intermédiaire, un mini-APE de dernière minute, qui sauve nos exportations, mais qui renvoie les questions de fond à 2008. La trêve de Noël touche à sa fin. C’est l’heure des retrouvailles entre dirigeants mauriciens et négociateurs européens. L’occasion de potasser son dossier. Et de comprendre ce que cachent ces trois lettres...

POURQUOI UN NOUVEL ACCORD COMMERCIAL MAURICE-UE ?

Maurice appartient à un groupe de pays dit ACP. Ces 79 États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ont signé la Convention de Cotonou (2000), qui prévoit la fin de la Convention de Lomé (1975). Selon celle-ci, les marchandises en provenance des anciennes colonies d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique entrent dans l’Union européenne (UE) quasiment sans droits de douane, à l’exception de produits sensibles pour les producteurs européens, comme le sucre.

Ainsi, depuis plus de 30 ans, Maurice et les ACP profitent d’un accès privilégié au marché européen. C’est le fameux principe de non-réciprocité : les ACP bénéficient d’avantages sans être tenus d’offrir des concessions en échange.

Le hic, c’est que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a changé les règles du jeu : les accords commerciaux doivent désormais prévoir la suppression des droits de douane.

L’OMC a ainsi exigé le démantèlement de ces relations préférentielles... ou bien leur généralisation, pour un partenariat « d’égal à égal ». C’est cette seconde option qu’a retenue l’Europe, la création d’une zone de libre-échange UE-ACP, sous l’appellation « Accord de partenariat économique ». Ce sont les fameux APE. Ils sonnent le glas de 30 ans de protections douanières à la faveur des pays ACP, en instaurant le principe
de réciprocité des préférences commerciales.

En d’autres termes, pour que Maurice continue à profiter d’un accès privilégié au marché européen, le pays devra s’ouvrir aussi aux exportations du Vieux Continent.

QU’EST-CE QUE CONTIENT CET ACCORD ?

L’Europe somme ses interlocuteurs de libéraliser davantage les échanges. De fait, elle propose d’ouvrir son marché à 100 % contre 97 % actuellement. En contrepartie, elle demande aux pays ACP de libéraliser au moins 80 % de leur marché au bout d’une période de transition de dix ans.

Autre élément du deal : l’UE promet d’augmenter ses aides financières pour pallier les conséquences des APE.

Mais seuls 28 % des 15, 2 milliards d’euros prévus par les accords de Cotonou pour la période de 2000 à 2007 ont été effectivement versés, fait remarquer l’ONG Oxfam...

Les pays ACP, divisés en six zones régionales, négocient pour un degré d’ouverture moindre et une ransition plus longue. De plus, ils n’arrivent pas à se mettre d’accord, dans chaque région, sur les produits « sensibles » à protéger et donc à exclure du régime APE. Ces négociations devaient déboucher, au 1er janvier 2008, sur des accords de libre-échange entre l’UE et les ACP. Mais face à la résistance des pays africains, la commission a réduit ses ambitions : elle s’est, en effet, contentée de signer des APE intérimaires avec les pays les plus intéressés. À peine une vingtaine a donné suite... dont Maurice.

UNE MAIN... OU UN POING TENDU ?

Faut-il maudire ou applaudir la libéralisation des échanges prônée par l’OMC et l’UE ? Autrement dit, quel sera l’impact d’un APE à Maurice ? A priori, ce nouveau régime devrait faire moins de dégâts qu’ailleurs. Maurice, en effet, a déjà entamé le démantèlement de ses barrières douanières. L’ouverture de nos marchés aux produits européens n’est donc pas synonyme d’apocalypse.

C’est ce qu’ont expliqué dans la presse Peter Mandelson et Louis Michel, commissaires européens chargés respectivement du commerce et du développement : « La solution pour les pays africains consiste à accroître la confiance et les débouchés des entreprises locales, à attirer de nouveaux investissements, et à mettre en place des marchés régionaux solides. Les entreprises locales seront ainsi mieux armées pour écouler leurs produits sur le marché mondial. » Ils ajoutent : « Les APE instaureront une nouvelle relation commerciale entre les ACP et l’UE, non plus fondée sur la dépendance, mais sur la diversification et la croissance économique. »

N’empêche que les producteurs mauriciens pourraient souffrir de la concurrence des denrées européennes, notamment agricoles. Selon une étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), les exportations agricoles européennes vers les ACP pourraient augmenter de 35 % en cas d’accord.

De leur côté, ces pays gagneraient peu par rapport à la situation actuelle, le marché européen étant déjà ouvert à 97 %. En 2004, l’ONG Oxfam a démontré comment l’arrivée massive de morceaux de volaille européenne au Cameroun a entraîné la quasi-faillite de la filière avicole locale. C’est ce qui nous attend : des entreprises mauriciennes croquées toutes crues ? Rien n’est plus faux, s’insurge Bruxelles, pour qui « rien n’annonce une arrivée en force des entreprises communautaires sur les marchés des ACP ».

En revanche, l’impact des APE risque d’être plus massif en termes de recettes douanières : une libéralisation totale des échanges commerciaux avec l’UE entraînera une perte de 71 millions de dollars par an pour l’État mauricien, selon une étude réalisée en 2005 par la Commission économique pour l’Afrique de l’ONU.

De son côté, la Banque mondiale estime qu’un tel accord induira une baisse de 11,8 % de nos recettes budgétaires totales.

Une troisième menace est plus inquiétante. Elle concerne les futures dispositions de l’accord. Engluée dans des discussions laborieuses, l’UE s’est résignée pour l’instant à signer des bouts d’APE ne portant que sur le commerce des biens.

Priorité a été donnée aux échanges de marchandises, en attendant 2008 pour négocier sur des sujets plus sensibles, comme la libéralisation des services, des investissements et des marchés publics. Si de telles dispositions étaient intégrées, il y a tout lieu de craindre qu’elles aient des conséquences désastreuses pour une économie aussi vulnérable que la nôtre.

QU’EST-CE QUE MAURICE A SIGNE ?

L’Europe avait lourdement insisté : faute d’accord, les pays à revenus intermédiaires comme Maurice se verraient imposer des droits de douane dès le 1er janvier 2008. Ce qui nous a poussés (avec une vingtaine d’autres pays) à signer le mois dernier un APE partiel de dernière minute. L’enjeu : éviter d’affaiblir nos exportations. En particulier celles des produits de la mer, qui auraient été taxées à 20,5 % sur le marché européen (contre 12 % pour les vêtements). On comprend mieux pourquoi Maurice a conclu cet accord intérimaire, en soumettant au passage son propre calendrier.

Le pays libéralisera cette année 24,5 % de ses importations en provenance de l’UE, 53 % en 2017, et 95,6 % d’ici à 2022. Ainsi, « il n’y aura pas de rupture de commerce entre Maurice et l’Union européenne », a expliqué à l’Agence France Presse, l’ambassadeur de Maurice en Belgique, Satiawan Gunessee. Selon ce diplomate, dont les propos ont été repris par le quotidien Le Monde, ce mini-APE est « très favorable » à l’industrie textile et à celle du thon.

Et maintenant ? Un APE « complet » devra être signé au plus tard le 31 décembre 2008. D’ici là, Maurice peut continuer à exporter un certain nombre de produits vers l’UE sans droits de douane.


GLOSSAIRE

● ACP

Cette organisation dont Maurice est membre regroupe 79 États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Les ACP bénéficient depuis 30 ans d’un accès commercial privilégié aux marchés des États membres de l’Union européenne (UE). Pour succéder à ces accords, et se mettre aussi en conformité avec l’Organisation mondiale du commerce, l’UE négocie avec les pays ACP des Accords de partenariat économique, les fameux APE.

● APE

Ces nouveaux Accords de partenariat économique sont censés prendre le relais des accords de Cotonou qui ont expiré au 31 décembre dernier. Ils instaurent une zone de libre-échange entre l’Union européenne et les pays ACP. En l’absence de signatures d’ici au 31 décembre 2008, ce serait le vide commercial entre ces deux régions.

● Principe de réciprocité

L’Union européenne a opté pour un régime qui permette aux pays ACP de conserver le bénéfice des précédents accords en matière d’accès au marché européen, tout en assurant une compatibilité avec les règles du commerce international.

En pratique, l’UE exige qu’on lui rende la monnaie de sa pièce : elle demande aux pays ACP de laisser entrer dans leurs marchés les exportations de l’UE, sans droits de douane. Les pays africains refusent ce « partenariat biaisé ». Résultat, une seule des six sous-régions ACP (les pays des Caraïbes) a paraphé en bloc les accords proposés par l’Europe. Maurice s’est contentée de signer un accord intérimaire bilatéral.


 source: L’Express Dimanche