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Mon blé contre ton vin

Le Soleil | le 14 juin 2009

Mon blé contre ton vin

Annie Morin

(Québec) Ces dernières années, le Canada a conclu des accords de libre-échange bilatéraux où il tenait davantage le rôle de l’avaleur que de l’avalé. Mais en amorçant des négociations avec l’Union européenne, la bouchée grossit et pourrait bien rester en travers de la gorge des agriculteurs tournés vers les marchés intérieurs, comme c’est majoritairement le cas au Québec.

La conclusion d’ententes commerciales de pays à pays est jugée prioritaire pour le gouvernement fédéral, puisque les discussions à l’Organisation mondiale du commerce piétinent, pour ne pas dire qu’elles reculent. L’an dernier seulement, le Canada a signé avec l’Association européenne de libre-échange - qui rassemble l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse - ainsi que le Pérou et la Colombie. La venue à Montréal du controversé président colombien, Alvaro Uribe, cette semaine, a d’ailleurs donné lieu à l’expression de mille et une craintes, notamment quant à l’avenir des entreprises agricoles colombiennes.

Pour le secteur agricole canadien, ces accords ne sont pourtant pas considérés comme des gains majeurs, car la croissance de la consommation y est faible, mais ils permettent à tout le moins de sécuriser des marchés convoités par les États-Unis, explique Laurent Pellerin, président de la Fédération canadienne de l’agriculture.

Des négociations sont également actives avec le Panama, la Corée, le Groupe des quatre de l’Amérique centrale (Salvador, Guatemala, Honduras et Nicaragua) et, depuis peu, le Maroc, grand consommateur de blé dur. Les textes d’un accord Canada-Jordanie sont même à l’ultime étape de la révision. Les pourparlers engagés avec Singapour, la République dominicaine et le marché commun des Caraïbes tournent toutefois au ralenti.

Mais ce sont les négociations en vue d’un accord avec l’Union européenne qui retiennent toute l’attention, y compris celle des agriculteurs. Le Canada s’est donné deux ans pour faire tomber les barrières commerciales avec le Vieux Continent. Les meilleurs négociateurs sont affectés au dossier.

«Là, on négocie avec des pays qui consomment des produits assez semblables aux nôtres et qui ont une capacité de payer beaucoup plus élevée», souligne M. Pellerin. En nombre de consommateurs, l’Europe fait même mieux que les États-Unis avec 460 millions de bouches à nourrir. D’où l’intérêt.

Les agriculteurs des Prairies, qui produisent des céréales, des légumineuses et du boeuf en quantités démesurées, sont particulièrement enthousiastes, comme toujours. Le libre-échange est pour eux une nécessité, résume Rhéal Cenerini, conseiller aux relations gouvernementales de la Commission canadienne du blé, car «80 % de ce qui pousse dans l’Ouest s’en va à l’étranger».

Au Québec, c’est plus nuancé. Avec 40 % des recettes agricoles qui sont générées par des produits sous gestion de l’offre (lait, oeufs, volailles), la production est essentiellement tournée vers le marché intérieur. Et l’Union des producteurs agricoles souhaite que cela demeure ainsi. Ses représentants exigent toujours le retrait des productions dites «sensibles» des négociations bilatérales. Dans un objectif de souveraineté alimentaire, le syndicat agricole aimerait même voir l’agriculture faire l’objet d’une clause d’exception, un peu comme la culture.

Les agriculteurs québécois ne sont quand même pas des néophytes en matière de commerce international. Ils exportent bien un peu de céréales et de produits marins et beaucoup, beaucoup de porc. Mais les Européens ne sont pas disposés à manger le porc des autres, les cochonnailles figurant parmi leurs gourmandises les plus réputées, et réclament une exemption.

Taxés de faire preuve de protectionnisme à peine déguisé en matière d’agriculture, au même titre que les Américains, les Européens ont d’ailleurs une longue liste d’exceptions et d’exigences à soumettre. Parmi les plus difficiles à exaucer : la reconnaissance en sol canadien de toutes les appellations contrôlées. Plusieurs noms protégés en Europe sont en effet utilisés comme des génériques de ce côté-ci de l’Atlantique. Pensez seulement au jambon de Parme ou au camembert made in Canada.

Pour le reste, nos vis-à-vis sont prêts à déverser des tonnes de produits transformés sur nos tablettes, puisque c’est ce qu’ils font de mieux. Les transformateurs ont peut-être plus à craindre que les agriculteurs finalement.


 source: Le Soleil