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Négociations commerciales avec le Royaume-Uni : l’Union européenne n’est pas en position de force

Alternatives Economiques | 29 février 2020

Négociations commerciales avec le Royaume-Uni : l’Union européenne n’est pas en position de force

Dans les négociations commerciales qui s’engagent entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, les arguments avancés par certains spécialistes considérant que l’Union européenne (UE) se trouverait en position de force par rapport au Royaume-Uni (RU) sont peut-être à nuancer.

Premier argument couramment avancé, le poids économique de l’UE à 27 étant supérieur à celui du RU, l’UE serait avantagée. Pas si sûr. Dans une négociation commerciale qui s’engage à partir d’une situation de libre-échange entre partenaires, il faut évaluer dans un premier temps lequel des deux à la plus à perdre en cas de réarmement tarifaire ? Dans le cas présent, d’après les statistiques d’Eurostat pour l’année 2018, c’est l’UE qui a des exportations vers le RU en valeur (301 milliards €) bien supérieures que l’inverse (197 milliards €). L’UE a donc plus à perdre que le RU d’un réarmement tarifaire. Le même cas de figure se rencontre actuellement dans la négociation commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Les Chinois ont beaucoup plus à perdre d’un réarmement tarifaire car les Américains ont une balance commerciale très déséquilibrée. Rien n’interdit au RU de réduire ses importations de l’UE, de choisir d’autres fournisseurs, au grand dam des pays de l’Union.

Deuxième argument avancé, l’UE serait en capacité d’imposer à un pays tiers, non seulement des normes techniques, ce qui est couramment pratiqué au titre de la protection de ses consommateurs, mais également des conditions de production décalquées de son propre modèle, notamment sur le plan social, fiscal et environnemental, ce qui serait pratiquement une première dans une négociation commerciale. En d’autres termes, l’Union serait en situation de dire à un pays tiers : je ne continue à commercer avec vous sans protection que si vous vous engagez à ne pas faire évoluer votre barème fiscal, votre niveau de protection sociale, vos exigences sur le plan environnemental dans un sens qui pourrait être jugé agressif, inéquitable, non loyal sur le plan commercial. Mais l’UE a-t-elle les outils pour ce faire ? Elle peut effectivement traquer les subventions directes. Elle peut imposer des normes s’agissant de la composition des produits. Elle peut lutter contre les contrefaçons ou protéger certaines appellations contrôlées. En revanche, de quels instruments disposent L’UE sur le plan commercial pour imposer de l’extérieur le niveau de protection sociale jugé équitable pratiqué par un fournisseur, son taux de fiscalité ou encore la qualité de l’énergie qu’il utilise (énergie fossile, énergie verte) pour produire ce qu’il exporte ?

Troisième argument avancé, l’UE serait prête à traiter le RU comme un pays tiers du type de l’Australie relevant du tarif commun de l’OMC (donc avec des tarifs douaniers) plutôt que de se caler sur un accord de libre-échange, comme avec le Canada, au motif que le RU serait si proche géographiquement du marché de l’Union qu’il faudrait s’en protéger à l’image de ce que l’Union pourrait faire vis-à-vis de la Suisse mais qu’elle ne fait pas puisque ce pays, à la fiscalité plutôt « particulière », bénéficie d’un accord de libre-échange avec l’UE depuis 1972, sans cesse élargi depuis.

Quatrième argument, la continuation de l’accès aux zones de pêche dans les eaux territoriales britanniques serait non négociable pour l’UE. Mais il s’agit là non pas d’une force pour l’Union dans la négociation mais plutôt d’un handicap puisque cette dernière entend continuer à jouir de ce privilège.

Enfin, dernier argument avancé, l’Union serait en capacité d’imposer et faire respecter l’équité dans l’échange. Mais que recouvre exactement ce que l’on peut appeler équité en matière commerciale ? C’est un argument qui ne fonctionne sur le plan environnemental que si l’on est en possibilité de contrôler les processus de production, les chaînes de valeur mondiales, ce qui se révèle extrêmement ardu. En revanche, il est bien difficile de définir ce que recouvre l’équité sur le plan social et fiscal, entre des pays tiers qui n’ont pas obligatoirement le même modèle économique et social. Par exemple, comment différencier une baisse des cotisations sociales sur le travail et une mesure de dumping social ?

Jusqu’à présent, les négociations commerciales de l’UE se sont déroulées vis-à-vis de pays ou de zones avec qui il s’agissait d’abaisser les barrières tarifaires. L’UE avait donc du grain à moudre, l’ouverture de son marché, en regard d’une pénétration plus importante d’un marché tiers. Pour la négociation qui commence avec le RU, on est déjà au libre-échange et on voit mal où se situe le grain à moudre à négocier autrement que dans la remise en cause d’un régime de libre-échange déjà établi avec un partenaire devenu pays tiers, au seul motif qu’il serait susceptible de faire évoluer souverainement ses politiques publiques, et notamment son réglage macroéconomique, fiscal et social dans un sens considéré commercialement comme inéquitable.

Alors oui, comme l’a déclaré opportunément Emmanuel Macron fin février 2020, cette négociation sera difficile, voire très dure, pour le Royaume-Uni peut-être, mais également pour l’Union européenne. Gardons-nous des idées préconçues.

Pour compléter : lire un article de Stéphane Madaule paru dans le journal Le Monde du 16 février 2020, écouter son interview dans le journal de l’économie de France Culture le 24 février 2020, découvrir son livre « Questions d’Europe », quatrième édition, 2019.


 source: Alternatives Economiques