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CETA : les députés savent-ils ce qu’ils vont voter ?

France Culture | 17 juillet 2019

CETA : les députés savent-ils ce qu’ils vont voter ?

Par Marie Viennot

Il y aura un avant et un après CETA, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Pas seulement pour les droits d’exportations (réduits à 0 pour 98% des produits échangés entre les deux zones), pas seulement pour les quotas d’importations (qui sont notamment étendus à 67 500 tonnes sans droits de douane par an pour le bœuf), pas seulement pour la reconnaissance au Canada de 143 produits d’origine géographique protégée (dont 42 françaises), etc.

Ce qu’il faut retenir dans CETA, c’est le C : comprehensive, ou global. CETA = Comprehensive economic and trade agreement, ou en bon français : AECG, Accord Economique et Commercial Global. Ici, le lien si vous voulez lire l’accord.

Il y aura un avant et un après le CETA car, au delà de son impact attendu ou constaté après un an d’application sur les échanges commerciaux UE-Canada (étude du CEPII à ce sujet), cet accord est un accord global qui encadre aussi les investissements et la coopération réglementaire.

Voilà pourquoi les craintes sont si fortes. C’est un saut vers l’inconnu que feront les parlementaires qui voteront solennellement pour la ratification du CETA mardi prochain, car ce vote a finalement été reporté après des protestations de l’opposition.

Un saut dans l’inconnu

Les partisans du CETA (la Commission européenne, le gouvernement français, le Medef et des fédérations sectorielles, les députés en Marche et Modem qui ont déjà voté pour sa ratification en commissions la semaine passée) estiment que les critiques des opposants à ce traité (tous les groupes de l’assemblée nationale, sauf La République En Marche et le Modem + et 72 organisations) ont été prises en compte, et que les garanties qui ont été négociées pendant et après l’accord sont les plus grandes jamais inscrites dans un accord.

Il est vrai qu’entre l’accord présenté aux Etats de l’UE pour validation en octobre 2016 et le texte que s’apprêtent à ratifier les députés français, il y a eu du nouveau :

  • une commission d’experts indépendants a rendu en septembre 2017 un rapport (à la demande d’Emmanuel Macron) sur le CETA et sa compatibilité avec les plus hautes exigences climatiques et environnementales, ce qu’on nomme la commission Schubert
  • une procédure d’interprétation de l’accord (ce qu’on appelle un veto climatique) a été introduite en annexe de l’accord
  • une déclaration interprétative adoptée en octobre 2016 mentionne notamment une responsabilité partagée de l’UE et du Canada par rapport à l’accord de Paris, ici en anglais, ici en français

“L’accord économique et commercial global comporte des engagements en faveur d’une gestion durable des forêts, des pêches et de l’aquaculture, ainsi que des engagements de coopérer sur des questions environnementales d’intérêt commun liées au commerce, telles que le changement climatique, pour lequel la mise en œuvre de l’Accord de Paris constituera une importante responsabilité partagée de l’Union européenne et de ses États membres ainsi que du Canada. Extrait de la déclaration interprétative du CETA adoptée le 27 octobre 2016”

  • le Conseil constitutionnel a estimé dans sa décision du 31 juillet 2017 que le CETA n’était pas contraire à la Constitution française
  • la Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé dans un avis du 30 avril 2019 que le mécanisme de règlement des différends investisseur-Etat était compatible avec le droit de l’UE

Mais ces éléments nouveaux n’apaisent pas les craintes, dont certaines émanent des experts indépendants de la commission Schubert. Des questions se posent et les réponses ne se résument pas à OUI ou NON.

Après le CETA, l’Union Européenne et les 28 Etats qui la composent seront-ils libres de légiférer comme bon leur semble ?

Quelles garanties apporte le veto climatique ?

Qui fera évoluer cet accord "vivant" et avec quels contrôles démocratiques ?

Le CETA peut-il nous entraîner vers un moins disant environnemental, sanitaire et climatique ?

A toutes ces questions, on peut répondre peut être que OUI, mais éventuellement NON. Voilà pourquoi le débat est si crispé, voire impossible. Voilà pourquoi les députés ne peuvent pas réellement mesurer les conséquences de leur vote. La ligne de partage n’est pas seulement entre partisans et opposants au libre-échange, elle est entre ceux qui ont confiance dans l’Union européenne pour défendre les intérêts des citoyen.es et ceux qui n’ont pas ou plus confiance.

Ce qui est notable - en tant que journaliste qui suit les péripéties du CETA depuis 2016 - , c’est que ceux et celles qui ont le plus disséqué le CETA sont aussi ceux et celles qui ont le plus de craintes (notamment les experts). A contrario, des députés qui s’apprêtent à voter pour sa ratification n’ont eu que quelques semaines pour l’examiner, et s’illustrent par leur connaissance parcellaire de ses implications, y compris le rapporteur du texte Jacques Maire (ici un article du Monde, et ci-dessous un extrait d’interview qui illustre cet "à peu près" inquiétant).

A vous de vous faire une idée, ce qui pourra vous servir pour la suite, car cet accord est présenté par ses promoteurs comme un modèle qui sera reproduit pour les suivants.
Après le CETA, l’Union européenne et les 28 Etats qui la composent seront-ils libres de légiférer comme bon leur semble ?

 Pourquoi cette question ?

Parce que le CETA renvoie vers un mécanisme d’arbitrage en cas de conflit entre un investisseur canadien ou de l’Union européenne et le pays (UE ou Canada) où il a investi. Au départ, le CETA renvoyait directement à l’ISDS (Investor-state dispute settlement), ou en français : RDIE, règlement des différends entre investisseur et Etat. Ce système de justice parallèle et privé s’est développé dans les années 80/90 pour que les investisseurs (souvent du Nord) n’aient pas à passer par la justice du pays (souvent du Sud) où ils avaient investi. Il est devenu célèbre quand l’accord commercial avec les Etats-Unis a commencé à être négocié (TTIP ou TAFTA), car il était alors question d’y introduire ce type de recours.

On cite souvent le cas de Philip Morris qui a attaqué l’Australie pour avoir mis en oeuvre le paquet neutre, mais on dit moins souvent qu’au bout de six ans de procédure Philip Morris a perdu et a dû rembourser une partie des frais de justice à l’Australie (impossible de savoir combien cependant, tous les montants sont effacés). Voir ici la liste des plaintes d’investisseurs en cours dans le monde.

L’ISDS était aussi prévu pour le CETA, mais les critiques à son encontre ont porté leur fruit : le Parlement européen s’y est opposé et les négociateurs européens et canadiens se sont mis d’accord sur un nouveau dispositif, sorte d’ISDS amélioré, nommé ICS (International Court System).

 Pourquoi l’ICS peut limiter la souveraineté des Etats ?

Pour ses contempteurs, l’ICS ne change pas radicalement la donne. Pour l’ONG les Amis de la Terre, qui vient de publier un rapport sur cette justice d’exception, l’ICS n’est qu’un "relookage copié-collé de l’ISDS". L’ONG vient de publier un rapport intitulé : Tribunaux VIP : 10 histoires de détournement de la justice par les riches et les multinationales.

“De l’Europe à l’Afrique en passant par l’Amérique Latine et l’Asie, l’ISDS a été utilisé comme une arme des multinationales contre l’intérêt public. Ces tribunaux VIP dissuadent les gouvernements de modifier leurs politiques, afin de satisfaire les investisseurs, aux dépens de la protection de l’environnement, de la justice sociale et des droits humains.” Nicolas Roux, porte-parole des Amis de la Terre France sur le libre-échange

Le rapport des Amis de la Terre donne plusieurs exemples d’entreprises multinationales qui ont attaqué des Etats au motif qu’un changement de législation portait atteinte à leurs "attentes légitimes d’investisseurs". D’où la crainte qu’avec le CETA des investisseurs canadiens fassent de même si l’Union européenne ou un de ses Etats membres légifère dans un sens contraire à leurs intérêts, et que cette menace seule dissuade les Etats de modifier leurs lois.

 Pourquoi le droit de légiférer des Etats et de l’UE serait intact ?

Pour ses partisans, le fait que des investisseurs canadiens puissent dorénavant attaquer des législations européennes n’est pas une atteinte à leur souveraineté, car des garanties juridiques ont été obtenues depuis deux ans. Jacques Maire (le rapporteur du texte sur le CETA) écrit le 9 juillet 2019 en réponse aux 72 organisations s’opposant à la ratification du CETA.

“Le Conseil constitutionnel considère que le CETA n’est pas contraire à notre Constitution et qu’il garantit le principe de précaution. Dans son avis du 30 avril 2019, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue confirmer que le droit à réguler du CETA était pleinement garantie par le CETA.” Jacques Maire, député LREM

Autre argument, l’ICS n’est pas l’ISDS. C’est un tribunal permanent et pas des arbitres nommés pour chaque cas. Ses juges sont nommés par les Parties (UE et Canada), ils sont liés par un code de bonne conduite, et il y a un mécanisme d’appel (qui n’existe pas dans l’ISDS). Ceux et celles qui tirent la sonnette d’alarme sur l’ICS du CETA, en s’appuyant sur des exemples tirés de l’ISDS, seraient donc hors-sujet, comme l’explique cet article des Décodeurs de l’Europe, signé par la représentation en France de la Commission européenne et intitulé Avec le CETA, des tribunaux arbitraux qui menacent la démocratie ! Vraiment ? Dans le CETA, les possibilités d’attaquer un Etat ont été limitées : ainsi un investisseur ne pourra pas attaquer un changement de législation en évoquant ses attentes de profit légitime.

Les partisans du CETA citent le rapport de la commission Schubert (la commission indépendante qui a rendu son rapport à Emmanuel Macron en septembre 2017) et sa conclusion.

“ Les risques qui pèsent sur les droits souverains des Parties contractantes du CETA sont limités. Il n’est pas question de voir dans ce traité un instrument qui, de lui-même, entraînera un recul des politiques environnementales et sanitaires en Europe ou au Canada.” Commission Schubert

Pour les partisans du CETA, tout ceci devrait suffire à éteindre les doutes. Mais les doutes subsistent, y compris chez les experts indépendants de la commission Schubert.

Qui a raison ? L’expérience le dira, car pour le moment cet ICS (ou tribunal d’investissement permanent) n’a jamais été testé. Or les droits ouverts aux investisseurs dans le CETA sont assez larges pour que des mesures en faveur de l’environnement, du climat ou de la santé se retrouvent in fine l’objet de plainte.

Le débat sur cette question n’oppose donc pas des producteurs et productrices de fake news, mais ceux qui sont prêts à prendre ce risque, qu’ils estiment limités, et les opposants au CETA qui estiment ce risque immense et souhaitent que s’applique une forme de principe de précaution juridique.

Sabrina Robert Cuendet est juriste, spécialisée dans la prise en compte du climat et de l’environnement dans les traités d’investissement. Experte indépendante, elle a fait partie de la commission Schubert mandatée par Emmanuel Macron à son élection pour rendre un rapport sur le CETA (rendu en septembre 2017).

Elle reconnaît que le tribunal permanent créé par le CETA limite certains abus constatés dans les procédures ISDS. Mais selon elle, l’avis de la Cour de Justice de l’Union Européenne n’est pas une garantie suffisante et il y a un risque de voir des Etats retarder des mesures pour l’environnement (ou tout autre motif d’intérêt général) par crainte d’une plainte.

“Quand un investisseur porte plainte contre une mesure adoptée par un Etat, il ne remet pas en cause le fait que la mesure ne poursuit pas un objectif d’intérêt général mais il va montrer que telle qu’elle a été adoptée et s’applique à lui, la mesure est disproportionnée, arbitraire, elle manque de transparence. Il n’est donc pas suffisant de dire que le tribunal (l’ICS) ne peut pas remettre en cause le droit des Etats à réglementer. Non, mais le tribunal va vérifier que l’Etat respecte le droit à la non discrimination, le droit au traitement juste et équitable, qui est un standard assez vague (même s’il a été mieux cerné par le CETA). Le tribunal va vérifier que l’Etat n’a pas exercé son droit à réglementer de façon déraisonnable... déraisonnable, qu’est ce que ça veut dire ? Les droits procéduraux offerts aux investisseurs restent très larges et on ne peut affirmer que le traité interdit toute action d’un investisseur contre par exemple une mesure française qui aurait été prise pour satisfaire ses exigences sur l’accord de Paris.” Sabrina Robert Cuendet, juriste

Précision importante, si le Ceta un jour ne s’applique plus, les investisseurs pourront faire appel à ce mécanisme d’arbitrage 20 ans après la dénonciation de l’accord.

Quelles garanties apporte le veto climatique ?

 Qu’est-ce que le veto climatique ?

On pourrait y voir la possibilité de bloquer le CETA et son application si le Canada, par exemple, dévie de ses engagements climatiques. Or ce n’est pas du tout cela. Si le Canada sort de l’accord de Paris dans les mois ou années qui viennent, le CETA continuera de s’appliquer.

Le veto climatique dans le CETA apporte la possibilité à l’Union européenne et au Canada de donner leur interprétation de l’accord dans le cas où une mesure en faveur du climat est attaquée par un investisseur.

 Est-ce vraiment un veto ?

Non, c’est une déclaration interprétative qui n’arrête pas les poursuites de l’investisseur.

Sabrina Robert Cuendet est membre de la commission Schubert qui avait été mandatée par Emmanuel Macron pour donner un avis sur le CETA et a proposé ce veto climatique :

“Le veto climatique tel qu’il a été proposé par la commission Schubert est inspiré du veto fiscal qui existe dans le traité CETA et d’autres traités. En matière fiscale, si un investisseur se plaint d’une mesure fiscale, les parties peuvent opposer un veto. La procédure devant le tribunal est suspendue, et si les parties estiment que la mesure est compatible avec le traité, la procédure devant le tribunal n’a plus cours, elle ne peut plus se poursuivre. Avec la proposition du gouvernement (NDLR français, qui a été annexé au CETA), il n’y a pas d’arrêt de la procédure.” Sabrina Robert Cuendet

Or, comme pour le droit à légiférer, il est difficile de mesurer quel pourrait être l’effet dissuasif d’une plainte déposée contre un Etat de l’Union européenne sur un autre état de l’UE qui aurait pu vouloir prendre aussi qui se retrouve attaquée. Le veto climatique n’en est donc pas vraiment un.

 Peut-on parler de veto climatique français ?

Non, car il faut un accord des Parties, c’est-à-dire du Canada et de l’Union européenne pour déclencher la procédure. La France peut demander à l’Union européenne de l’initier, mais elle doit obtenir un accord au Conseil Européen. Or comment décidera ce Conseil européen ? Majorité ou unanimité ? Le rapporteur du texte, Jacques Maire, l’ignorait quand il a présenté le CETA à la commission des Affaires étrangères mardi dernier. Le son ci-dessous n’est pas monté :

“Si un investisseur dépose un recours, à ce moment là, la France peut saisir le mécanisme d’interprétation conjointe, le véto climatique. (Question : Mécanisme d’interprétation conjointe c’est pas vraiment un véto? ) Si c’est la même chose, c’est à dire que les deux Parties ensemble Canada Europe ont un droit de véto, un droit d’empêcher dès le début de la procédure, qu’une mesure réglementaire ou une loi soit attaquée par un investisseur. (Question : là vous me parlez de l’Union Européenne et du Canada, juste avant on parlait de la France, la France, elle, quelle est sa capacité à mettre en branle ce système là. Au Conseil Européen (NDLR réunion des ministres ou chefs d’Etat des 28), comment on décide? Majorité qualifiée? Unanimité? ) Alors j’ai pas la réponse sur le point unanimité parce que concrètement j’ai pas regardé. Cette réponse là il faut pas la prendre... (Question : alors vous ne pouvez pas dire que la France a un droit de veto climatique...) Non, non, l’Union Européenne a un véto climatique. Je pense... ce que je crois profondément, c’est qu’en matière d’investissement c’est l’unanimité, ça c’est ma conviction profonde mais je peux pas... (Question : et vous pourrez me répondre d’ici le 17 juillet ?) Sans problème. Extrait de l’ITV de Jacques Maire le mardi 9 juillet 2019, à la sortie de sa présentation du texte en Commission des Affaires étrangères.”

Que Jacques Maire ait la "conviction" que pour les questions d’investissement le Conseil européen décide à l’unanimité est assez problématique car ces questions juridiques méritent plus que des convictions, surtout de la part du rapporteur d’un texte censé éclairer l’Assemblée nationale de ses lumières sur cet accord complexe.

Depuis cet enregistrement, j’ai obtenu la réponse mais pas par le biais du rapporteur du texte qui a oublié sa promesse de m’apporter sa réponse. La réponse est l’unanimité.

A la Commission européenne, on considère qu’en cas d’attaque d’un investisseur canadien d’une mesure d’un Etat de l’UE en faveur du climat, tous les pays européens seraient solidaires pour déclencher la procédure, et donc que la règle de l’unanimité n’est pas un obstacle pour un Etat qui voudrait actionner le "veto climatique". Cette même source européenne considère également que le Canada serait solidaire de l’UE dans sa démarche et ne bloquerait pas le processus. Mais le doute est tout de même permis.

Les députés qui examinent le CETA ne peuvent bien sûr pas anticiper les futures tensions entre Etats de l’Union, encore moins prévoir le degré de solidarité du Canada avec l’UE sur ce "veto climatique". Aujourd’hui, Justin Trudeau, le Premier ministre canadien est plein de bonnes volontés affichées sur le climat. Mais il y a des élections au Canada en octobre, et le candidat en tête des sondages, Andrew Sheer, est beaucoup moins allant sur les questions climatiques. Il a voté contre les Accords de Paris et il ne mentionne ni le climat ni l’environnement comme domaines prioritaires dans sa déclaration de candidature.

Le CETA peut-il nous entraîner vers un moins disant environnemental, sanitaire et climatique ?

 La coopération réglementaire, comment ça marche ?

Le CETA est le premier accord de libre-échange qui prévoit une coopération réglementaire entre les Parties. Cette coopération réglementaire entend faciliter le commerce et l’investissement en supprimant les obstacles réglementaires jugés non nécessaire.

Plusieurs mécanismes sont prévus pour dialoguer et mieux se comprendre, mais le plus problématique est le cinquième mécanisme, celui qui permet une discussion sur les projets de réglementation qui posent le plus problème.

On reste sur une base volontaire : à aucun moment le Canada ne pourra s’opposer à des mesures que voudraient prendre l’UE pour interdire tel ou tel pesticide autorisé au Canada, MAIS cette coopération réglementaire pourra considérablement freiner les velléités réglementaires de l’une ou l’autre partie, de l’avis même de la commission d’expert indépendant qu’avait nommé Emmanuel Macron pour étudier le CETA.

“ En participant à ce type d’activité, l’UE ou un Etat s’exposent à des pressions diverses et risque de voir se mettre en place une stratégie d’usure qui vise à faire renoncer à la réglementation en question ou à en lénifier très largement la portée. Par ailleurs, l’obligation de communiquer sur un projet de réglementation à un stade précoce rend d’autant plus facile de s’y opposer efficacement et peut court-circuiter les processus démocratiques internes tels que les procédures de consultation du public. Enfin, dans certains cas, la marge de manœuvre des parties contractantes pour participer à des activités de coopération réglementaire n’est pas claire.” Commission Schubert

 Non, il n’y aura pas de nivellement vers le bas, c’est écrit dans la déclaration interprétative...

Pour faire taire les critiques, l’UE et le Canada ont adopté en octobre 2016 une déclaration interprétative du CETA dans laquelle est précisé que le CETA n’implique aucun changement de la législation de l’Union européenne pour l’analyse des risques et l’autorisation, l’étiquetage et la traçabilité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux génétiquement modifiés, tels qu’ils sont prévus dans la législation existante. Dans cette déclaration, les parties se sont engagées à ne pas abaisser leurs standards sociaux et environnementaux à des fins commerciales ou d’investissement rassure la direction du Trésor français.

Voilà pourquoi vous entendrez les partisans du CETA s’insurger en faux quand ses opposants disent que bientôt on aura du bœuf aux hormones dans nos assiettes. Cependant, comme l’a souligné la commission Schubert, l’UE ne pourra pas s’opposer à une demande de dialogue bilatéral par le Canada.

 ... mais cela sera un combat permanent avec les Canadiens

Or quels sont les premiers sujets mis sur la table par les Canadiens pour ces dialogues bilatéraux ? Les OGM, le glyphosate, et les PMR, c’est-à-dire les limites acceptées de certains résidus dans les aliments.

Sophie Devienne est ingénieur agronome. Elle aussi a fait partie de la commission Schubert sur le CETA et elle estime qu’il existe un vrai risque de nivellement vers le bas. Ici le lien vers la vidéo de l’audition sur le CETA en commission du développement durable d’où cette intervention est tirée.

“On n’a pas sorti ça du chapeau, c’est avec une bibliographie très riche sur les attentes des Canadiens par rapport au CETA, et il y avait fort à parier que les différents comités seraient utilisés pour essayer d’harmoniser, mais pas pour remonter vers le haut, en terme d’exigence environnementales ou de bien être animal. C’était des hypothèses, des craintes que l’on pouvait avoir, et on voit bien que ces craintes étaient justifiées, comme en témoigne le dépôt il y a quelques jours d’une communication à l’OMC signée par plusieurs pays, dont le Canada, qui remet en cause le principe de précaution de l’Union européenne comme étant jugé comme une barrière non tarifaire et critiquant le fait que l’Union européenne voudrait élargir à l’ensemble des pays ses exigences environnementales.” Sophie Devienne, membre de la commission Schubert

Cette communication déposée à l’OMC le 4 juillet bat en brèche l’argument selon lequel, grâce au CETA (et d’autres accords), l’Union européenne saura exporter ses normes environnementales, sociales, sanitaires dans les pays avec lesquels elle négocie des accords de libre-échange.

L’UE saura-t-elle s’opposer au velléités de ses partenaires canadiens de chercher à tirer vers le bas ses réglementations ? Si on a confiance dans les institutions européennes pour mettre les intérêts des citoyen.nes au dessus des intérêts économiques, on répond OUI, si on n’a pas confiance NON. On retrouve la ligne de partage irréconciliable entre opposants et partisans du CETA.

La commission Schubert a donné pour sa part une réponse mi figue mi raisin qui montre, qu’encore une fois, on ne connaît pas bien les implications du CETA.

“En pratique, il est extrêmement difficile d’apprécier quel pourra être l’impact des mécanismes de coopération réglementaire sur la définition des niveaux de protection de l’environnement et de la santé en Europe. Le principe de non régression empêche, certes, de prendre des dispositions qui diminuent ce niveau de protection. Mais il n’empêche pas que de tels mécanismes puissent être utilisés pour tenter d’éviter que l’autre partie prenne des dispositions de protection supplémentaire au nom du rapprochement des législations.” Commission Schubert, page 38

Qui fera évoluer cet accord "vivant" et avec quels contrôles démocratiques ?

 Si un accord est vivant, qui pour le faire vivre ?

La coopération réglementaire se fait par le biais de différents comités. La Commission européenne a déjà mis en ligne l’agenda des comités actifs et des documents joints.

L’organe privilégié pour mener les activités de coopération réglementaire est le Forum de Coopération réglementaire. Ce Forum ne peut pas adopter de décision obligatoire, ni trancher une question, ni censurer des normes adoptées par les parties contractantes. Voilà qui est censé rassurer sur le pouvoir limité de ce Forum.

Ce Forum est co-présidé par (extrait du texte de l’accord) "un haut représentant du Gouvernement du Canada ayant rang de sous-ministre, ou le titulaire d’un poste équivalent ou son représentant désigné, et par un haut représentant de la Commission européenne ayant rang de directeur général, ou le titulaire d’un poste équivalent ou son représentant désigné, et est composé des fonctionnaires concernés de chaque Partie".

Le souci est qu’aujourd’hui on ne sait pas quel est le mandat de ce FCR, ses procédures, son plan de travail, car cela sera décidé à sa première réunion, qu’après l’entrée en vigueur de l’accord. Les députés qui se prononcent sur le CETA n’ont donc aucune idée du fonctionnement de ce Forum.

Or, il y a, selon la commission Schubert, "un risque d’ingérence des intérêts privés (industrie canadienne ou européenne) dans les processus réglementaire". Autrement dit, ce Forum peut être une forme d’institutionnalisation des lobbys. Tout dépendra de ses règles de fonctionnement, mais "aucune obligation d’impartialité et aucune règle de représentations ne sont fixées" relève encore la commission Schubert.

 Qui pour suivre l’évolution réglementaire via le CETA ?

Le CETA crée un comité mixte, "coprésidé par le ministre du Commerce international du Canada et le membre de la Commission européenne chargé du commerce, ou leurs suppléants respectifs". Ce Comité mixte dispose, "en vue d’atteindre les objectifs du présent accord, du pouvoir décisionnel pour toute question dans les cas prévus par le présent accord (chapitre 26 de l’accord).

"Pouvoir décisionnel pour toutes questions prévus dans l’accord", cela ouvre le champ des possibles. Selon Mathilde Dupré, chargée de campagne pour la responsabilité dans les accords commerciaux à l’institut Veblen, il n’est pas à exclure que le CETA évolue via ce comité mixte.

Quant à la possibilité offerte aux ONGs (et autres groupes d’intérêts) de participer aux comités de suivi du CETA via le DAG (Domestic Adviser Group), ce n’est pas non plus une garantie. Car comme l’explique Mathilde Dupré, les ONGs n’ont pas les moyens humains pour le faire :

“Le "Domestic Adviser Group" du CETA a été créé au moment de l’application provisoire de l’accord, et dans le collège société civile, des associations qui y siégeaient notamment sur les questions climatiques et la question du droit des consommateurs n’arrivent plus à y envoyer personne. Et la Commission européenne a été obligée de refaire un appel à candidature alors qu’on est qu’un an et demi après l’application de l’accord. C’est bien en complément mais cela ne peut pas être suffisant. ” Mathilde Dupré, Institut Veblen

Pourquoi voter oui malgré toutes ces inconnues ?

En réponse aux critiques émanant des députés d’opposition en commission des Affaires Etrangères, le rapporteur Jacques Maire s’est voulu rassurant en rappelant que pour la première fois les députés allaient pouvoir suivre la politique commerciale (du CETA et d’autres accords) via un comité de suivi de la politique commerciale trimestriel. A ses yeux, ce nouvel outil de contrôle permettra de prendre des mesures correctives. Sur le plan économique, dit-il, si une filière sensible est déstabilisée, la France pourrait prévoir un plan d’aide ou de promotion, l’UE pourrait également venir en aide aux filières en souffrance économique du fait de l’accord commercial.

Sur le risque évoqué par la commission Schubert de voir la législation européenne empêchée d’aller vers un mieux disant environnemental et climatique, il n’y a pas en revanche de mécanisme possible. Il sera même quasi impossible de vérifier que cette emprise a lieu.


 source: France Culture