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L’accord de partenariat économique : l’interminable saga aura-t-elle bientôt une fin ?

ICTSD | 11 December 2014

L’accord de partenariat économique : l’interminable saga aura-t-elle bientôt une fin ?

Cheikh Tidiane Dieye

Les évolutions récentes qui ont marqué l’interminable saga des APE ainsi que l’intérêt croissant que portent les acteurs africains à cet accord m’obligent de revenir, encore une fois, sur ce sujet pour faire le point et échanger quelques idées, en mettant en débat à la fois mes propres points de vue et ceux que j’entends ici et là en Afrique, en Europe et ailleurs.

Plusieurs régions africaines ont tour à tour paraphé un accord régional ces derniers mois : L’Afrique de l’Ouest et la SADC l’ont fait peu avant la date butoir du 1er octobre et la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) a quant à elle paraphé le 16 octobre 2014, peu après l’expiration du délai fixé par l’UE et après avoir subi quelques difficultés commerciales notamment sur les exportations kenyanes. En effet, dès le 1er octobre 2014, le Kenya avait été automatiquement retiré de la liste des bénéficiaires de l’accès au marché européen pour n’avoir pas mis en œuvre un APE, perdant ainsi l’avantage d’exporter sans droits ni quotas ses fleurs coupées et autres produits vendus en Europe. Le retrait momentané des préférences a amené le Kenya à supporter des droits de douane allant de 4 à 24 pour cent, notamment sur les fleurs coupées (8.5 pourcent), légumes de fruits transformés (15 pourcent), poissons (6 pourcent) et jus d’ananas et autres (11 pourcent) à peu près selon les analyses de ECDPM. Sous ce regard, les pertes du Kenya auraient pu atteindre 5.7 millions d’euros par mois si la Commission européenne n’avait pas pris une décision "delegated act" le 14 novembre dernier pour réinstaller le Kenya dans la liste visée dans l’annexe 1 de la régulation 1528, suite au paraphe de l’APE de la CAE.

Ces régions rejoignent la région d’Afrique orientale et australe (AfOA) qui en 2007, avait vu six de ses membres (Madagascar, Maurice, Zimbabwe, Comores, Zambie et Seychelles) parapher un APE régional intérimaire. Quatre d’entre eux avaient déjà signé l’accord à l’Ile Maurice en 2009 et ont débuté depuis lors la mise en œuvre de leur APE intérimaires. Les organes de mise en œuvre de l’accord se réunissent régulièrement et le comité conjoint de l’APE UE-AfOA a tenu sa quatrième rencontre en fin novembre 2014 au Zimbabwe. Il faut cependant noter qu’au moment où ces quatre pays avancent dans la mise en œuvre de l’APE intérimaire, les autres membres de ce groupe, initialement composé de 11 pays (Comores, Djibouti, Ethiopie, Soudan, Malawi, Erythrée, Zambie) poursuivent les échanges en vue de la conclusion d’un APE régional complet avec l’UE en y incluant les services, l’investissement ainsi que toutes les autres questions liées au commerce.

Il n’y a donc, à ce stade, plus que l’Afrique centrale qui n’a pas encore paraphé un APE régional. On se souvient cependant que le Cameroun, le plus grand pays de ce bloc régional, également soumis au risque de perdre les préférences sur le marché de l’UE, avait ratifié son APE et l’avait notifié à l’UE le 28 juillet 2014. Cet accord est entré en application depuis le 4 aout 2014.

Aller plus vite...

A partir de juillet dernier, l’accélération des processus politiques au niveau des régions africaines, comme dans les Etats non PMA qui n’avaient pas encore ratifié leurs APE intérimaires, avait été mis en corrélation, à juste titre, avec la pression du délai du 1er octobre. Même si dans la plupart des régions, les gouvernements comme les autres acteurs avaient jugé cette pression européenne "inamicale et contreproductive", l’UE n’a pas reculé dans sa stratégie et a fini par obtenir ce qu’elle recherchait : amener les régions à parapher les APE régionaux et ouvrir la voie à la signature et la ratification.

L’acte de paraphe d’un accord commercial par les parties négociantes signifie qu’elles ont pris une intention ferme de le signer et le mettre en œuvre. A travers cette perspective, on peut en déduire que l’ensemble des régions devraient maintenant avancer vite vers la mise en œuvre. Il semble pourtant que les choses ne soient pas aussi simples, car une observation minutieuse des dynamiques internes aux régions montrent que l’unanimité n’existe pas et que les réticences exprimées ça et là pourraient avoir une incidence plus tard sur la mise en œuvre.

Tout juste après le paraphe de l’APE avec la Communauté de l’Afrique de l’Est, le Commissaire européen en charge du Commerce, Karel De Gucht, a affirmé que cette région rejoignait l’Afrique de l’Ouest et la SADC pour saisir les opportunités que leur offre l’UE et qui justifient à ses yeux la signature et la mise en œuvre rapide de l’accord.

De son coté, l’UE prendra certainement les dispositions nécessaires pour accélérer la prise d’effet de l’accord. Déjà, au moment où j’écris ces lignes, on annonce que la procédure est lancée en Europe et que le Conseil Européen des Affaires Extérieures devrait approuver la signature de l’APE avec l’Afrique de l’Ouest dès ce 12 décembre.

Ces efforts pourraient-ils cependant suffire pour obtenir d’une région comme l’Afrique de l’Ouest la même rapidité ? Rien n’est moins sûr. La signature de l’accord pourrait être relativement simple à obtenir. On avance déjà d’ailleurs que l’Afrique de l’Ouest pourrait profiter des prochaines réunions des instances de la CEDEAO prévues du 15 et 16 décembre pour signer l’APE ou alors désigner un mandataire qui le ferait à Bruxelles.

Le Nigeria : l’éléphant au milieu du chemin

Ce qui reste jusqu’ici une inconnue de taille, c’est bien l’attitude du Nigeria par rapport à la signature de l’APE. La stratégie mise en avant par ce pays lors de la phase du paraphe a été de s’associer à l’approbation du paraphe "politiquement" tout en le rejetant "techniquement". Je ne saurai dire si cette stratégie a changé. Ce qui est constant cependant, c’est que les dynamiques politiques, économiques et sociales internes du Nigeria sont loin d’être en faveur de la mise en œuvre de l’APE. C’est pourquoi, un éventuel refus des parlementaires du Nigeria de ratifier l’APE ne serait en rien une surprise.

Le bruit court dans la région, selon lequel, si le Nigeria n’adhère pas à l’APE, les autres pays signataires pourraient démarrer sa mise en œuvre et l’assumer collectivement puisqu’il semblerait que la ratification de l’accord par les 2/3 des Etats de l’Afrique de l’Ouest suffirait pour son entrée en vigueur.

J’ose seulement espérer que les autorités de la CEDEAO comme les autres Chefs d’Etat consentiront tous les efforts pour avancer avec le Nigeria vers l’APE ou alors s’arrêter avec lui. La plus grave erreur de cette région fragile et vulnérable serait de chercher à mettre en œuvre l’APE sans le Nigeria : ce serait non seulement impossible, mais ça aurait inéluctablement de graves conséquences sur la mise en œuvre du Tarit Extérieur Commun de la CEDEAO (TEC), qui devrait démarrer en janvier 2015 mais aussi les autres politiques sectorielles régionales.

Le Nigeria, comme disait l’autre, est un éléphant assis au milieu du chemin.


 source: ICTSD