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Le libre échange ruine les paysans et détruit la planète

L’humanité | 12 janvier 2016

Le libre échange ruine les paysans et détruit la planète

by Gérard Le Puill

Trois années de production agricole mondiale légèrement supérieure à la demande solvable auront suffit pour mettre en difficulté des centaines de millions paysans sur tous les continents, les agriculteurs européens étant souvent les plus durement impactés par cette baisse des cours en raisons des facilités données aux pays tiers pour exporter sur le vieux continent. Analyse.

Selon la FAO, les cours des principales denrées alimentaires ont fléchi pour la quatrième année consécutive en 2015. Ils sont en baisse de 19,1% en moyenne par rapport à l’année précédente. Ainsi, selon l’indice de la FAO, le prix des céréales, y compris le riz, a régressé de 15,5% en 2015 par rapport à 2014. La chute est de 28,5% pour les produits laitiers, de 15,1% pour la viande en moyenne, de 19% pour les huiles végétales et de 21% pour le sucre.

L’Union européenne n’en finit pas de négocier des accords de libre échange sur fond de réduction des tarifs douaniers entres différents groupes de pays dans toutes les régions du monde. Elle vient aussi de produire son étude. Elle montre, sans que cela soit dit, que ce libre échange a favorisé la surproduction et la chute des cours sur le marché communautaire. Selon cette étude, 71% des produits agricoles et alimentaires importés dans les pays membres du l’Union européenne sont entrés sans le moindre doit de douane et seulement 20% se sont vu appliquer les droits de douane en vigueur au taux plein. Beaucoup de productions en provenance des pays tiers ont bénéficié de tarifs douaniers réduits. Selon le rapport de la Commission, les fruits, les légumes, les noix et leurs préparations sont les produits qui ont le plus bénéficié d’un accès préférentiel au marché européen. Les préparations alimentaires sont le second secteur à avoir le plus disposé de réductions tarifaires bilatérales, tandis que les huiles végétales (en particulier l’huile de palme) et les produits non comestibles (tabac brut et fleurs coupées) étaient les autres produits profitant le plus du système de préférences généralisées appliquées par l’l’UE, indique aussi cette étude.

Il faut ici introduire un éclairage sur le rôle déstabilisateur joué tardivement par l’accord « Tout sauf les armes » négocié par le Français Pascal Lamy quand il était commissaire européen en charge du Commerce. C’était quatre ans avant qu’il ne devienne directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 2005 à 2013. Cet accord permettait à 49 pays pauvres d’exporter en Europe des contingents de plus en plus importants de produits agricoles aussi divers que du bois d’œuvre, des fruits, du riz de l’éthanol, du sucre , de l’huile de palme, des crevettes d’élevage dans les pays membres de l’Union européenne . Assurés d’avoir des débouchés, notamment à partir de 2010, beaucoup de pays ont fait de la déforestation à grande échelle dans le but d’exporter du riz, du sucre, de l’huile de palme en Europe. L’étude de l’Union européenne le confirme à sa manière puisqu’elle révèle que les produits qui ont bénéficié des plus grandes facilités d’accès au marché européen ont été la viande, les préparations de viande, le blé, le maïs et le riz ainsi que le miel.

Le double résultat de cette politique d’ouverture des frontières de l’Europe à cette gamme de produits des pays tiers, dont beaucoup sont situés en Asie, a été une baisse des cours des produits agricoles, notamment en 2015, au sein des pays membres de l’Union européenne. Souvent, les paysans des pays exportateurs ont parallèlement été dépossédés des terres qu’ils cultivaient au profit des firmes impliquées dans l’agrobusiness et tournées vers l’exportation. Avec un bilan carbone désastreux, via une vaste déforestation de ces pays, à commencer par le Cambodge.

Aujourd’hui, en dépit des difficultés que cette politique d’importations sans restriction impose aux paysans européens en perturbant les marchés , l’Europe continue d’ouvrir d’autres champs de ruines en négociant le TTIP avec les Etats Unis et en ouvrant une négociation parallèle avec les pays du Mercosur dont les plus gros exportateurs de produits agricoles sont le Brésil et l’Argentine. Et l’on découvre à l’occasion que les syndicalistes européenne du COPA-COGECA, structure européenne dans lequel figurent la FNSEA et les représentants des coopératives agricoles française, rappellent dans un courrier à Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, qu’elles « soutiennent le processus de pourparlers de libre échange avec les Etats Unis » tout en s’inquiétant de l’ouverture de négociations avec le Mercosur, en quoi elle n’ont pas tort pour le coup.

Mais là encore, elles se contentent de faire part de leurs doutes concernant la « réelle volonté d’ouverture du marché » des pays du Mercosur. Elles notent que plusieurs d’entre eux ont augmenté en 2014 leurs tarifs douaniers sur les fruits et légumes et que le Brésil a reconduit pour cinq ans une mesure antidumping sur la poudre de lait de l’UE « alors qu’aucune entreprise européenne n’en avait exporté auparavant un seul kilo ». Et de juger, en mettant déjà un peu d’eau dans leur vin, qu’il est « évident qu’un accord sur le chapitre agricole devra être significativement positif pour l’UE dans les deux négociations avec les Etats Unis et le Japon afin de compenser les pertes qu’engendrerait un accord avec le Mercosur ».

Ces « syndicalistes » ne semblent pas vivre sur la même planète que les paysans qu’ils ont pour mission de défendre auprès la Commission présidée par Jean-Claude Juncker. Surtout quand on lit ceci à propos de l’élevage aux Etats Unis : « Un rapport de l’administration américaine de l’alimentation et du médicament (FDA) publié au mois de décembre 2015, constate qu’entre 2009 et 2014, la quantité d’antibiotiques à usage vétérinaire distribuée dans le pays a augmenté de 22% (…) Aux Etats Unis, la majorité des antibiotiques est disponible en « vente libre » et ne nécessite aucune prescription ou surveillance vétérinaire. Les antibiotiques vendus exclusivement pour leurs indications thérapeutiques ne représentaient que 28% du volume des ventes en 2014. Les autres antibiotiques disposaient de l’indication « promoteur de croissance », combinée ou non avec l’indication « usage thérapeutique ».

Malgré cela la négociation entre l’Europe et les Etats Unis se déroule normalement sous l’œil vigilant- mais très compréhensif - des pontes européens du COPA-COGECA totalement déconnectés des paysans qu’ils disent représenter !


 source: L’humanité