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Mexique: crise nationale autour de la tortilla

Le Devoir

Mexique: crise nationale autor de la tortilla

Guy Taillefer
Édition du jeudi 18 janvier 2007

La calamité fait les manchettes des quotidiens à grand tirage de Mexico, déclenche des manifestations et met à l’épreuve le gouvernement du nouveau président Felipe Calderón. «Quand il n’y a pas assez d’argent pour acheter de la viande, on s’en passe», dit à Associated Press Bonifacia Ysidro en enveloppant dans une serviette humide la pile de tortillas qu’elle vient d’acheter. «Mais les tortillas, on ne peut pas s’en passer.» Les tortillas sont aux Mexicains ce qu’est la baguette aux Français. Or leur prix ne cesse d’augmenter (14 % l’année dernière), ce qui n’est pas loin d’avoir déclenché au Mexique une crise sociale d’envergure nationale.

Première épreuve

D’un point de vue politique, l’augmentation du prix du kilo de tortillas fait subir sa première véritable épreuve au nouveau président «pro-business» Felipe Calderón, entré en fonctions il y a une cinquantaine de jours après avoir été élu sur le fil du rasoir en juillet dernier contre le candidat de la gauche Andrés Manuel López Obrador. Des mères ont chahuté le président la semaine dernière, réclamant une baisse des prix, alors que les manifestations se sont multipliées à Mexico et dans les principales villes du pays. «Sans maïs, il n’y a pas de pays», scandaient les manifestants. Hier, des organisations syndicales et paysannes ont appelé à une grande manifestation de protestation le 31 janvier prochain à Mexico.

La moitié des 107 millions de Mexicains qui vivent dans la pauvreté sont très directement affectés. La fameuse galette de maïs est l’ingrédient clé de leur alimentation. Mais aussi, la crise fait vibrer une corde culturelle: les tortillas font depuis toujours partie du quotidien des Mexicains. Il faut voir les gens enfourner les tacos au coin des rues ou observer les employés de bureau s’entasser le midi dans les restos de quartier et gober des galettes pour compenser la maigreur du menu à 20 pesos.

Le kilo de tortillas coûte en moyenne entre cinq et six pesos (environ 55 ¢), avec des pointes à plus de 1 $ dans certains commerces. Les prix ont augmenté de 30 % depuis trois ans et les négociants de maïs prédisent qu’ils grimperont de 20 à 25 % au cours des prochains mois. Une flambée que juge «injustifiable» le gouverneur de la Banque centrale du Mexique, Guillermo Ortiz, dans un pays où l’inflation était d’environ 4 % l’année dernière.

Deux causes

Deux causes sont montrées du doigt. M. Ortiz pointe les grandes entreprises mexicaines qui monopolisent le marché. «Il y a un problème évident de spéculation», a-t-il reconnu. L’agence antitrust mexicaine a d’ailleurs annoncé la semaine dernière qu’elle enquêtera sur les allégations voulant que les grands producteurs manipulent le coût du maïs et s’entendent entre eux pour faire monter les prix de la tortilla — et leurs profits — en limitant les approvisionnements de la précieuse céréale. Une entreprise reconnue coupable de pratiques monopolistiques encourt une amende maximale de 7,5 millions de dollars.

Ce ne serait pas la première fois: depuis 2004, l’agence a appliqué des sanctions dans six cas de pratiques anticoncurrentielles dans les secteurs du maïs et de la tortilla. L’année dernière, elle a bloqué la prise de contrôle de l’usine de transformation Agroinsa par Gruma, le plus grand producteur de tortillas au monde, qui a mainmise sur 70 % du marché mexicain.

Cause parallèle: l’utilisation de plus en plus fréquente du maïs, aux États-Unis, pour produire de l’éthanol qui sert à fabriquer du biodiesel, carburant de substitution de l’essence. Or, depuis la signature en 1994 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le Mexique est devenu plus dépendant du maïs américain subventionné, moins coûteux. Ainsi, l’augmentation de la production d’éthanol aux États-Unis a considérablement réduit l’approvisionnement en maïs à des fins de consommation, poussant les prix à la hausse, au Mexique comme à l’échelle internationale, font valoir les gouvernements des deux côtés de la frontière. La rareté a poussé le prix du boisseau à 4 $, son plus haut niveau en plus de dix ans.

Pour la gauche, cette crise illustre bien les effets retors du libre-échange et des politiques néolibérales, qui ont selon elle saboté la compétitivité d’une grande partie des producteurs locaux. López Obrador, qui se considère toujours comme le «président légitime» du Mexique, a organisé le mouvement de résistance pour la défense des petits producteurs et des défavorisés. «L’augmentation du prix du maïs n’a rien à voir avec la spéculation mais vient du fait que nous dépendons des États-Unis, du maïs que nous y achetons, soutient Obrador. Le Mexique n’est pas autosuffisant parce que nous avons abandonné l’agriculture dans le cadre de la politique néolibérale appliquée par le gouvernement», dénonce-t-il.

«C’est une éloquente démonstration de l’impact qu’a la mondialisation sur tous les aspects de la vie», a affirmé à Associated Press David Berkin, économiste à l’UNAM, la grande université publique de Mexico.

Mesure d’urgence

Pour calmer la situation, le nouveau gouvernement a annoncé en catastrophe, la semaine dernière, l’importation additionnelle, sans droits de douane, de 650 000 tonnes métriques de maïs. Un «palliatif» qui ne réglera rien, a soutenu l’opposition au Congrès.

Là encore, préviennent certains, l’augmentation soudaine des importations ne fera que nuire aux agriculteurs locaux en poussant plus de Mexicains à aller travailler, légalement ou non, aux États-Unis.

La crise est à ce point sérieuse, est allé jusqu’à dire l’évêque Felipe Arizmendi Esquivel, de San Cristóbal de Las Casas, au Chiapas, que l’augmentation du prix de la tortilla risque bel et bien de créer un mouvement social et politique «aussi dramatique» que le soulèvement zapatiste de 1994.

Le Devoir

Avec Associated Press et Libération


Vos réactions

Les OGM : cause de la crise de la tortilla
Le jeudi 18 janvier 2007

Bonjour M. Taillefer,

Article très intéressant sur le maïs au Mexique sur la 1ère page du Devoir d’aujourd’hui.

Et j’ajouterais...

La crise du maïs au Mexique est largement dûe au maïs OGM en provenance des États-Unis. On pourrait résumer la situation de cette façon :

(1) Les États-Unis cultivent du maïs OGM que les marchés européens notamment ne veulent plus. On constate une perte d’environ 300 millions de $ américains d’exportations de maïs américain vers l’Europe

(2) Le gouvernement américain subventionne les producteurs de maïs américains qui peuvent alors faire du dumping au Mexique, menaçant ainsi la survie économique des petits producteurs de maïs méxicains.

(3) De plus, comme le maïs américain exporté au Mexique contient des OGM, il contamine le centre d’origine du maïs qu’est le Mexique. Cette contamination est une menace pour la biodiversité et la sécurité alimentaire. Même un rapport du secrétariat de la Commission environnementale (CCE) de l’ALÉNA a reconnue cette contamination génétique du maïs au Mexique par du maïs OGM américain.

(4) Les États-Unis font du dumping de maïs au Canada qui se plaint maintenant à l’OMC après avoir été récemment l’allié des États-Unis à l’OMC pour forcer l’Union Européenne d’approuver les OGM et ... les importations de maïs OGM américains...

(5) Le vrai objectif de la politique de l’éthanol au maïs des É-U et du Canada est d’absorber la production de maïs OGM rejetée par les marchés en dehors de l’Amérique du Nord qui font monter les prix du maïs, créant ainsi une crise sociale au Mexique... Ce que vous avez très bien expliqué ce matin.

Voir mon carnet électronique à ce sujet avec tous les liens pertinents:
http://blogues.greenpeace.ca/2007/01/09/les-contradictions-du-canada-sur-lomc-et-les-ogm/

Eric Darier
Responsable de la campagne OGM
Greenpeace
454, ave. Laurier Est, 3e étage
Montreal H2J 1E7
Internet : www.greenpeace.ca/f


 source: Le Devoir