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Un nouveau traité commercial dans le viseur de la Wallonie

Le Monde | 8 décembre 2016

Un nouveau traité commercial dans le viseur de la Wallonie

Par Jean-Pierre Stroobants

La Wallonie, région belge qui avait failli faire capoter l’accord de libre-échange entre Bruxelles et Ottawa (CETA), en octobre, menace-t-elle désormais un projet d’accord avec le Vietnam ? Son Parlement, qui avait finalement obtenu dans le CETA des garanties pour le secteur agricole et davantage de transparence pour les tribunaux d’arbitrage, a décidé d’examiner de très près le texte négocié entre la Commission (mandatée par les Etats membres) et Hanoï.

Jeudi 1er décembre, l’ambassadeur de la République socialiste du Vietnam en Belgique et auprès de l’Union européenne a été auditionné à Namur, sur le respect des droits de l’homme notamment. La nouvelle stratégie de politique commerciale et d’investissement de la Commission affirme, en effet, attacher « une grande importance aux droits et à la démocratie ». Peut-elle dès lors s’accommoder des pratiques du Vietnam, qui limite la liberté d’expression et de réunion ? Le président Jean-Claude Juncker lui-même s’était gaussé des critiques formulées contre le Canada, « grande dictature », alors, soulignait-il, que l’accord avec le Vietnam, « grande démocratie » ne suscitait aucun intérêt…

Les députés wallons semblent avoir pris M. Juncker au mot, même s’il n’est pas certain que le projet d’accord devra être approuvé par tous les Parlements nationaux – et régionaux. La Commission, elle, dit espérer que « les Etats membres prendront les mesures nécessaires pour engager toutes les parties prenantes concernées ».

Conclu en 2015, publié en février 2016, l’accord avec Hanoï devrait être ratifié en 2017. Dans l’intervalle, un « accord de partenariat et de coopération » encadre les relations entre les deux parties. Il contient une clause dite de « non-exécution », permettant une éventuelle suspension de l’accord de libre-échange, « en cas de violations sévères et systématiques des droits humains ».

Activisme

Le projet a, comme le CETA, pour but d’éliminer presque toutes les barrières douanières entre l’Union et le Vietnam, qui compte plus de 90 millions d’habitants. L’UE importe actuellement beaucoup plus de biens du Vietnam – riz, café, textile, électronique – qu’elle n’en exporte et la valeur globale des échanges entre les deux ensembles avoisine 28 milliards d’euros – dont un peu plus de 6 milliards seulement pour les exportations européennes.

Le gouvernement et les députés de Wallonie iraient-ils jusqu’à bloquer ce texte ? Leur activisme agace, en tout cas, le gouvernement fédéral belge. D’autant qu’ils refusent actuellement de donner une délégation de signature au ministre des affaires étrangères, Didier Reynders, pour approuver un traité entre l’UE d’un côté, le Pérou et la Colombie de l’autre. Ils veulent élargir ses dispositions à l’Equateur.

Paul Magnette, le ministre-président PS de la Wallonie – et par ailleurs grand spécialiste des questions européennes – poursuit, en tout cas, son combat contre les accords commerciaux tels qu’ils sont négociés par Bruxelles. Il a présenté, lundi 5 décembre, une « Déclaration de Namur ».

Signé par une quarantaine d’universitaires nord-américains et européens – dont Thomas Piketty, Jean-Paul Fitoussi et Philippe Aghion –, ce texte demande à la Commission d’« inverser sa logique » et de ne plus considérer que « le commerce serait une fin en soi ». « Il n’est utile que s’il sert le développement durable, la réduction de la pauvreté et des inégalités et la lutte contre le réchauffement climatique », a expliqué M. Magnette.

« Rupture radicale »

Tout mandat désormais confié à la Commission devrait impliquer la société civile et les Parlements, qui devraient être informés des résultats intermédiaires. « Ce serait une rupture radicale par rapport à la culture de l’opacité, du secret et du lobbying », juge le ministre-président.

Les signataires plaident pour un taux minimum d’impôt sur les profits des sociétés et pour des contraintes environnementales. Ils réclament aussi l’impossibilité d’imposer aux pouvoirs publics l’indemnisation de multinationales qui s’estimeraient lésées par une régulation plus contraignante, comme cela figurait dans la version initiale du CETA. Enfin, ils défendent le recours privilégié aux juridictions nationales, tout en exigeant des conditions sévères de nomination, de rémunération et d’indépendance pour les juges chargés de trancher les litiges, dans le cadre de juridictions « ad hoc ».

Ces mécanismes d’arbitrage (ICS) restent, par ailleurs, un sujet de discorde entre les différents niveaux de pouvoir belge. La Wallonie avait conditionné son approbation du CETA à une demande d’avis à la Cour de justice européenne sur la légalité de ces tribunaux. Le gouvernement fédéral tergiverse, M. Magnette fulmine : si cette demande ne part pas rapidement, sa région pourrait bloquer, une nouvelle fois, le CETA.


 source: Le Monde