Analyse de l’accord entre l’UE et les États-Unis par ECVC

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Coordination Européenne Via Campesina | 28 août 2025

Analyse de l’accord entre l’UE et les États-Unis par ECVC

Le secteur agroalimentaire européen supportera les énormes coûts économiques et sociaux de l’accord, car la charge de la dette des Etats-Unis sera transférée aux agriculteurs européens.

La Commission européenne a publié une déclaration conjointe avec les États-Unis décrivant le cadre d’un accord commercial en voie de finalisation. Cette annonce confirme nos pires craintes d’un TTIP déguisé sous un nom différent[1]. S’il est mis en œuvre, l’accord pourrait entraîner un afflux substantiel de produits agricoles étatsuniens non conformes aux normes de qualité environnementales et sanitaires existantes au sein de l’UE[2], qui entreraient sur le marché européen sans droits de douane. Alors que l’Europe est confrontée à des catastrophes climatiques répétées, notamment des sécheresses et des incendies, et que ses paysan⸱ne⸱s peinent à se remettre de crises sanitaires successives, l’UE est prête à démanteler ses propres réglementations environnementales et sanitaires pour autoriser l’importation de denrées alimentaires de moindre qualité que nous produisons déjà en quantité suffisante. Les États membres et les eurodéputé⸱e⸱s ont la responsabilité de défendre les paysan⸱ne⸱s et les travailleur⸱euse⸱s agricoles. Le rejet de cet accord est une étape nécessaire pour soutenir les personnes qui les nourrissent.

En effet, les États-Unis et l’UE « ont l’intention d’offrir un accès préférentiel au marché pour une large gamme de produits de la mer et agricoles étatsuniens, y compris les noix, les produits laitiers, les fruits et légumes frais et transformés, les aliments transformés, les semences, l’huile de soja et la viande de porc et de bison » et « s’engagent à travailler ensemble pour réduire ou éliminer les barrières non tarifaires » et « à s’attaquer aux barrières non tarifaires affectant le commerce des produits alimentaires et agricoles, y compris la simplification des exigences en matière de certificats sanitaires pour le porc et les produits laitiers ».[3]

Suppression des barrières non tarifaires Bien que la Commission européenne affirme que « il n’est pas question de négocier sur les règles ou normes sanitaires et phytosanitaires européennes »[4], il n’existe tout simplement aucun moyen de surmonter ces obstacles sans réduire nos normes de qualité. Alors qu’une personne sur deux dans l’UE considère la qualité et l’origine de ses aliments comme des critères d’achat prioritaires[5], les consommateurs pourraient se retrouver avec des aliments contenant des substances interdites dans l’UE pour des raisons sanitaires évidentes. Ces produits étant vendus à bas prix, ce sont une fois de plus les populations les plus vulnérables qui subiront les effets de ces aliments sur leur santé.

Analyse sectorielle Élevage: C’est le secteur le plus exposé. Le porc étatsunien, souvent produit à moindre coût et selon des normes différentes (par exemple, utilisation de ractopamine, interdite dans l’UE, et pour l’instant non exportée vers l’UE), bénéficiera d’un accès préférentiel. La mention spécifique de « viande de bison » ouvre également la porte aux découpes de bœuf étatsunien, ce qui met sous pression l’élevage européen, déjà confronté à des coûts élevés. La concurrence se fera sur les prix, ce qui compliquera la situation des agriculteur⸱ice⸱s européen⸱ne⸱s qui appliquent des normes plus strictes (et plus coûteuses) en matière de bien-être animal et de sécurité alimentaire.

Lait : Le coût de production du lait est en moyenne inférieur de 23 % aux États-Unis par rapport à l’UE en 2025 [6], dans un secteur où les revenus des producteur⸱ice⸱s sont particulièrement faibles. Les fromages et produits laitiers étatsuniens (cheddar, mozzarella, etc.) pourraient inonder le marché de l’UE, réputé pour sa qualité et sa variété exceptionnelles, mais aussi pour ses coûts de production élevés. Le danger réside dans une pression croissante à la baisse sur les prix qui éroderait les marges des paysan⸱ne⸱s européen⸱ne⸱s.

Semences : Il s’agit d’un secteur crucial dans la chaîne de valeur agroalimentaire et il impacte le contrôle de la base de la production agricole. L’accord prévoit que l’UE accorde un « accès préférentiel » aux semences étatsuniennes, ce qui signifie la suppression des droits de douane actuellement appliqués aux importations de semences en provenance des États-Unis et le réexamen des barrières non tarifaires, c’est-à-dire le processus d’autorisation et d’enregistrement. La concurrence s’intensifiera non seulement en termes de prix, mais aussi en termes de propriété intellectuelle. Les entreprises étatsuniennes pourraient introduire des variétés couvertes par des brevets solides, remettant en cause le portefeuille de produits européens. Le point 15 de l’accord sur les « engagements de haut niveau en matière de propriété intellectuelle » ouvre cette possibilité. Une pénétration significative du marché par des acteurs étatsuniens pourrait accroître la dépendance européenne à l’égard de la génétique et des technologies étatsuniennes (par exemple : l’édition génomique, les nouvelles techniques de sélection), compromettant ainsi la souveraineté technologique stratégique de l’UE.

Vin : Contrairement aux affirmations selon lesquelles le secteur tirerait profit de l’accord, le fait que le vin ne soit pas explicitement mentionné parmi les produits bénéficiant d’un accès préférentiel constitue un signal très sérieux et délibéré. Cela indique qu’aucun accord n’a été conclu pour supprimer les barrières existantes. Le véritable problème pour le vin européen ne réside pas dans les normes, mais dans les droits de douane et les barrières à la distribution (de nombreux états des Etats-Unis ont des lois favorisant les producteurs locaux). L’accord n’aborde pas ces points. Alors que l’UE ouvre son marché agricole, elle n’obtient rien en retour pour l’un de ses principaux secteurs d’exportation.

Produits AOP/IGP : La Commission européenne affirme que l’accord ouvre de grandes opportunités pour les produits de qualité grâce aux engagements en matière de propriété intellectuelle (point 15). Alors que le système européen repose sur des droits de propriété intellectuelle « forts » et géographiques, le système étatsunien présente des marques « faibles » et génériques, où des termes tels que « Feta » et « Champagne » sont considérés comme génériques et sont librement disponibles à condition que la véritable origine du produit soit indiquée (par exemple, « Parmesan fabriqué dans le Wisconsin »). L’entrée de produits étatsuniens qui, bien qu’ils ne puissent pas être appelés « Parmigiano Reggiano AOP » en Europe, pourrait néanmoins fausser la concurrence avec des produits similaires à des prix bien inférieurs, semant la confusion chez les consommateur⸱ice⸱s moins averti⸱e⸱s.

Fruits secs (amandes) : Le flux commercial de fruits à coque entre les États-Unis et l’UE est une artère commerciale vitale, fortement déséquilibrée en faveur des exportateurs étatsuniens de matières premières (principalement des amandes et des pistaches), tandis que l’UE répond avec des produits finis et haut de gamme. Comme pour les autres secteurs agricoles, la production d’amandes étatsunienne est de moindre qualité et a un coût environnemental et sanitaire nettement plus élevé. Par exemple, alors qu’environ 85 % des cultures d’amandes espagnoles sont pluviales[7], l’industrie californienne des amandes consomme près de 13 % des réserves en eau développées de l’État, une seule amande nécessitant plus de 12 litres d’eau d’irrigation par an[8]. Cette dépendance croissante à l’égard des importations néfastes pour l’environnement crée une concurrence déloyale pour les producteur⸱ice⸱s européen⸱ne⸱s. Sans un soutien plus fort à la production nationale, l’UE risque de compromettre le développement de son propre secteur de fruits secs, à un moment où la construction de la souveraineté alimentaire et la promotion d’une agriculture durable devraient être des priorités stratégiques.

Huiles végétales : L’huile de soja étatsunienne, souvent issue de cultures génétiquement modifiées (soumise à une réglementation stricte dans l’UE), bénéficiera d’un accès préférentiel. Cela pourrait nuire aux producteur⸱ice⸱s européen⸱ne⸱s d’huiles végétales (tournesol, colza, olive). Le compromis sur la déforestation (point 10 sur l’EUDR)[9] suggère que les obstacles réglementaires aux importations étatsuniennes pourraient être réduits.

Dérégulation
Les forces économiques qui dominent l’économie de l’UE avaient déjà ouvert la voie à un profond processus de déréglementation du cadre juridique européen, sous le faux prétexte de simplification bureaucratique (voir la déréglementation de la législation sur les semences, le paquet de simplification omnibus et les propositions pour la « nouvelle PAC » après 2027). Les limites imposées en Europe à la protection des écosystèmes dans l’exploitation des sources d’énergie naturelles (fracturation hydraulique, gaz, mines, etc.) sont désormais levées. Cette séquence trahit les paysan⸱ne⸱s et travailleur⸱euse⸱s agricoles qui sont descendu⸱e⸱s massivement dans la rue et devant les institutions européennes en 2024, puis ont activement participé au dialogue stratégique d’Ursula von der Leyen sur l’avenir de l’agriculture européenne. Les paysan⸱ne⸱s réclamaient des revenus décents grâce à la régulation des marchés et le retrait de l’agriculture des accords de libre-échange (ALE). Au lieu de cela, la Commission européenne prépare de la déréglementation et de la concurrence déloyale avec la proposition de PAC, l’accord UE-Mercosur, d’autres ALE et cet accord avec les États-Unis. Une fois de plus, l’UE choisit d’abandonner et d’ignorer ceux qui les nourrissent !

Les produits à forte intensité de carbone favorisés par la Commission européenne
Outre l’accord récent sur l’augmentation de l’exemption de minimis, l’UE s’engage à œuvrer pour une plus grande flexibilité dans l’application du CBAM (Chemical Border Adjustment Mechanism), un système qui oblige les importateurs de certains biens à payer un coût supplémentaire proportionnel aux émissions de CO₂ attribués aux produits importés. La Commission européenne a déjà indiqué que d’autres secteurs à forte intensité carbone pourraient être inclus à l’avenir, et le débat porte également sur : les produits agricoles primaires (céréales, viande, lait) provenant de pays ayant des pratiques agricoles plus intensives en émissions et les produits agro-industriels (sucre, huiles végétales, aliments transformés). Toute entreprise étatsunienne obtiendra ainsi une réduction des coûts supplémentaire sur ses produits entrant dans l’UE, ce qui renforcera sa compétitivité.

Droits de propriété intellectuelle
Une menace supplémentaire pour l’agriculture paysanne se trouve dans les « engagements exigeants en matière de protection et de respect des droits de propriété intellectuelle ». Les règles étatsuniennes en matière de brevets et celles de l’OEB (Office européen des brevets) partagent des points communs, mais aussi des différences structurelles qui influencent considérablement les stratégies et les délais de dépôt. Plus précisément, le champ d’application des brevets aux États-Unis est beaucoup plus large, puisqu’il inclut les logiciels, les méthodes commerciales et les semences, tandis que celui de l’OEB est plus restrictif, les variétés végétales en particulier n’étant pas brevetables.

L’UE prise au piège de ses dépendances
La Commission Européenne permet à son industrie exportatrice de sauver les meubles. Après avoir récolté pendant des années les bénéfices de ces exportations (aux dépens des paysan⸱ne⸱s), ces multinationales laissent le reste de la société européenne payer le prix de sa dépendance au commerce international. Nous alertons depuis de nombreuses années sur le fait que la dépendance de l’économie européenne au commerce extérieur est à l’origine de nombreuses crises économiques, sanitaires et géopolitiques[10]. Du fait de ces dépendances, l’UE et les gouvernements des États membres européens n’ont pu exercer aucune influence dans les négociations avec Donald Trump et son obstination à persister dans ces choix économiques l’a contrainte à se soumettre à toutes ses exigences. Paradoxalement, ces accords font suite à d’importantes dépenses militaires censées renforcer l’autonomie stratégique européenne face aux États-Unis. L’UE ne sera forte que si elle investit dans sa souveraineté alimentaire et dans la réduction de ses besoins en ressources énergétiques et minérales.

La dette étatsunienne remboursée par l’UE
Les États-Unis sont confrontés à un grave problème de dette publique : 35 000 milliards de dollars (120 % du PIB), dont les paiements d’intérêts devraient dépasser les dépenses de défense en 2025, et 42 000 milliards de dollars de dette privée[11]. Cette situation expose l’économie étatsunienne à divers chocs, tels qu’une hausse des taux d’intérêt ou une récession. En l’état actuel des choses, suite à l’accord commercial, il semble évident que l’UE remboursera une grande partie de la dette étatsunienne, avec une contribution significative du secteur agroalimentaire européen.

Les violations des droits humains récompensées
Bien que la signature de cet accord soit présentée comme un soutien à l’Ukraine, il s’agit en réalité d’un acte au service du colonialisme étatsunien. L’Union européenne démontre, par les accords commerciaux qu’elle négocie ou maintient, que les violations des droits humains, les atteintes à la démocratie et le climato-scepticisme de certains régimes comme aux États-Unis, en Argentine, au Paraguay et en Israël sont récompensés par des accords qui légitiment leurs actions néfastes, au détriment de l’économie européenne, ainsi que de la condition de vie et de travail des citoyens.

1. https://www.eurovia.org/fr/communique-de-presse/la-commission-europeenne-decide-une-nouvelle-fois-de-donner-la-priorite-au-commerce-sur-le-bien-etre-de-la-population-de-lue/
2. https://ehjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12940-019-0488-0
3. https://policy.trade.ec.europa.eu/news/joint-statement-united-states-european-union-framework-agreement-reciprocal-fair-and-balanced-trade-2025-08-21_en
4. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/qanda_25_1974
5. https://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/2022-09/EB97.2-food-safety-in-the-EU_report.pdf
6. https://www.dairyfarmer.net/wp-content/uploads/2025/08/25-6-all-prices-table.pdf
7. https://www.mdpi.com/2073-4395/15/6/1448
8. https://ehjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12940-019-0488-0
9. https://policy.trade.ec.europa.eu/news/joint-statement-united-states-european-union-framework-agreement-reciprocal-fair-and-balanced-trade-2025-08-21_en
10. https://www.eurovia.org/press-releases/international-trade-crisis-an-opportunity-to-reduce-our-dependencies-rather-than-create-new-ones/
11. https://www.federalreserve.gov/releases/z1/20250612/html/introductory_text.html

source : Coordination Européenne Via Campesina

Printed from: https://www.bilaterals.org/./?analyse-de-l-accord-entre-l-ue-et