Libération | 4 septembre 2025
«On a l’impression d’être sacrifiés» : depuis Bruxelles, des agriculteurs dénoncent un traité UE - Mercosur «toxique»
par Clara Grégoire
Vestes de syndicats sur le dos, une poignée d’agriculteurs entasse des meules de paille au milieu de la place du Luxembourg. Agrippé à une échelle, l’un d’eux se hisse au sommet de la pile. D’une main, il y accroche un dessin : un visage au large sourire, et les yeux remplis d’euros. «C’est un bonhomme. Il symbolise l’accord UE-Mercosur !», s’amuse le manifestant, les yeux tournés vers la foule.
(vidéo par France 24)
Ce jeudi après-midi, ils sont quelques centaines à s’être rassemblés à Bruxelles, à quelques pas du Parlement européen. Venus de Belgique, de France, d’Allemagne ou encore des Pays-Bas, tous ont répondu présents à l’appel de différentes organisations agricoles et associations. Objectif : dénoncer un «passage en force». La veille, malgré des objections, la Commission européenne a approuvé le texte de l’accord commercial avec les pays latino-américains du Mercosur. Une première étape, avant de soumettre le texte aux Vingt-Sept et aux eurodéputés.
«Les dégâts sont déjà faits»
«C’est un moment historique», souffle Stéphane Galais, porte-parole de la Confédération paysanne française. Depuis «25 ans», cet éleveur en Bretagne se bat contre le traité. Sa principale inquiétude : l’instauration d’une concurrence déloyale, dans un secteur «déjà fragilisé». «Ça va faire disparaître encore plus d’éleveurs. On a vraiment l’impression d’être sacrifiés». Derrière lui, plusieurs manifestants grimpent sur une remorque accrochée à un tracteur, improvisée en tribune pour l’occasion.
A chaque prise de parole, les mêmes termes : un «accord toxique», une «trahison» après des mois de contestation. Mercredi pourtant, la Commission européenne a assuré avoir «entendu les réserves» de plusieurs pays, et ajouté des clauses de sauvegarde. Mais sur place, ces dernières peinent à convaincre. «Pour nous, c’est juste un aveu que l’accord déstabilise les filières, insiste Mathieu, agriculteur en Vendée. «Ces clauses, ça ne nous rassure pas du tout. On sait qu’en cas d’activation, elles arriveront bien trop tard. Les dégâts seront déjà faits».
Appel aux Etats européens
Autre inquiétude : l’arrivée en Europe d’aliments produits dans le Mercosur selon des normes sociales et environnementales bien plus faibles que dans les pays européens. «Ici, on a des régulations importantes, insiste Roos Saat, agricultrice à Eindhoven, aux Pays-Bas. Mais avec cet accord, qui sait ce qu’on va importer et les conséquences à long terme ?» Alors pour la jeune femme de 28 ans, l’objectif des prochains mois est clair : inviter les Etats européens et les eurodéputés à s’opposer au texte. Drapeau jaune en main, Stéphane Galais acquiesce. «On demande à Emmanuel Macron d’assumer ses engagements, d’avoir du courage politique, et de refuser clairement cet accord mortifère».
Alors que les discours se terminent sous une pluie battante, les manifestants sont invités à se diriger vers le bonhomme de paille. Réunis en demi-cercle, plusieurs représentants agricoles tirent sur des ficelles placées tout autour, jusqu’à renverser les meules et le dessin. «L’accord tombera plus vite qu’il ne le pense !», scande un agriculteur. Sur place, en tout cas, la Fédération wallonne de l’agriculture l’assure : il y aura d’autres actions, et la mobilisation continue. «L’accord n’est pas entériné. Jusqu’à la fin, on ne lâchera pas».