Les Ape ont «blanchi» le dumping de l’Union européenne

Le Quotidien (Dakar) | le 27-2-2008

Crédit à...Gérard Choplin, Coordonnateur de la Coordination paysanne européenne (Cpe) :
«Les Ape ont «blanchi» le dumping de l’Union européenne»

Interpellé à Bruxelles au moment où la Commission européenne est parvenue à convaincre certains pays Acp à signer des Ape intermédiaires, le leader paysan européen explique que ces accords sont autant rejetés par les paysans d’Europe qu’ils sont vomis par ceux des pays du Sud. Il ajoute à son refus des Ape, celui de voir des produits alimentaires servir à produire du carburant. Ses propos ont le poids d’une personne qui s’exprime au nom d’une vingtaine d’organisations paysannes, représentées dans une quinzaine de pays d’Europe, et regroupant plusieurs dizaines de milliers de membres. Et la crédibilité d’un des dirigeants de Via Campesina, organisation regroupant des structures paysannes du Nord comme du Sud.

Opposition aux Ape, pourtant présentés comme favorables aux paysans du Nord

On devrait pas les appeler accords de partenariat économique, cela fait partie de la propagande habituelle. Ce sont des accords qui continuent d’une certaine façon, la domination économique des intérêts de grandes firmes, qui sont plutôt au Nord, sur les pays du Sud, qui sont les ex-colonies des pays du Nord. Et l’Union européenne, qui ne réussit pas à imposer ses vues à l’Omc, essaie, dans des accords bilatéraux, bi-régionaux comme les Ape, d’imposer des règles qui sont tout à fait défavorables à la population rurale du Sud, mais aussi, à l’agriculture familiale du Nord. Et nous, nous nous battons pour une agriculture paysanne durable, pour qu’elle se maintienne en Europe, où elle est en train de disparaître. La question ici, n’est pas d’une confrontation entre les paysans du Nord et ceux du Sud, mais entre des modèles agricoles industrialisés, qu’on trouve aussi bien au Nord qu’au Sud, et un modèle d’agriculture paysanne, un modèle international agricole différent.

Convergence d’intérêts des paysans

A l’intérieur de Via Campesina, dont nous sommes membres, il y a des paysans du Nord et du Sud, qui parlent de la même voix, et qui s’opposent au modèle industriel d’agriculture. Il ne faut pas oublier non plus, qu’il y a des intérêts des firmes européennes puissantes en agriculture, et qui investissent en Afrique, parce que les coûts de production sont beaucoup plus bas, pour approvisionner à pas cher les marchés européens, où ils peuvent vendre plus cher.

Et bien sûr, quand on dit qu’il faut que les paysans du Sud aient accès aux marchés européens, on nous trompe, parce que ce que l’on essaie d’établir, c’est un accès au marché très libre pour ces firmes européennes qui viennent produire à bas coût du vin, de la volaille, des fruits, des légumes, des fleurs, etc. Donc, ceux qui ont intérêt à cet accès libre au marché mondial, ce ne sont pas les paysans du Sud, qui ont d’abord intérêt à un accès à leur marché local, ni non plus les paysans du Nord, qui risquent d’être concurrencés par des importations à très bas prix, qui sont réalisées par des firmes internationales.

Ape, danger sur la souveraineté alimentaire au Sud et au Nord

La souveraineté alimentaire, on l’a perdue depuis que l’Omc a envahi l’agriculture, depuis que chaque région, en Europe, Afrique, et même les Usa, a perdu la possibilité de définir la politique agricole de nos Etats, ou de nos groupes d’Etats, selon l’intérêt de nos populations. Et c’est cela que nous réclamons. Mais le droit à la souveraineté alimentaire va de pair avec un devoir qui n’est pas encore réalisé aujourd’hui, celui d’arrêter toute forme de dumping vis-à-vis de pays tiers. Et cela, ni les Ape ni l’Omc ne vont l’arrêter. D’une certaine façon, l’Omc a blanchi les formes de dumping de l’Union européenne et des Etats-Unis, ce qui n’est pas acceptable.

Dumping de l’Asie

Cela dépend de la manière dont on définit le dumping, mais l’Union européenne et les Etats-Unis ont été les champions d’exportations en dessous de leurs coûts de production. Grâce à des financements publics, ils ont pu mettre en œuvre des aides. Avant les accords de l’Omc, c’était des aides directes à l’exportation, aujourd’hui, ce sont des aides directes aux agriculteurs, pour permettre de produire et de vendre en-dessous du coût de production. Mais, pour les Africains, c’est toujours les mêmes produits qui arrivent, d’Europe ou des Usa, à des prix inférieurs aux coûts de production. Un autre aspect, c’est qu’il peut y avoir effectivement, des importations des pays qui ont des coûts de production peu élevés, avec ou sans subvention. Mais alors là, l’instrument qu’il faut mettre en œuvre, et que l’Omc combat absolument, c’est que les Etats doivent pouvoir se protéger contre les importations alimentaires à bas prix, et cela fait partie du paquet de la souveraineté alimentaire. Il faut aussi comprendre que les bas prix, ce ne sont pas toujours du dumping, cela dépend aussi du coût de production dans les pays. C’est pour cela qu’il faut arrêter toute forme de dumping, et d’exporter en-dessous des coûts de production. Il faut aussi bien, pouvoir se protéger contre des importations moins chères que les coûts de production dans son propre pays, mais qui ne sont pas issus de dumping au départ du pays d’exportation. Et si on prend le cas du riz, il faudrait effectivement que les pays africains puissent se protéger des importations de riz asiatique. Mais cela va à l’encontre des directives de l’Omc ou de la Banque mondiale ou du Fmi, qui empêchent les pays africains de se protéger même dans les degrés de tolérance que laisse l’Omc.

Opposition aux biocarburants

Nous sommes opposés aux agrocarburants, pas aux biocarburants. Le pétrole est un biocarburant, qui est issu de restes végétaux d’il y a 200 millions d’années. C’est pour cela qu’on refuse de parler de biocarburants, pour parler d’agrocarburants, quand on parle de carburants agricoles.

Ce n’est pas la panacée...

Il y a beaucoup d’organisations qui contestent la production d’agrocarburants. Sur plusieurs niveaux. Ils ne sont pas du tout rentables sur le plan énergétique, car si l’on veut faire de l’énergie, cela ne doit pas coûter plus d’énergie. C’est le cas pour l’éthanol de maïs, par exemple, dont le rendement est inférieur à 1. Donc, c’est stupide, malheureusement, parce que cela se fait en Europe, et surtout aux Etats-Unis, où l’on injecte des fonds publics pour le produire. Et les autres carburants agricoles ne sont pas meilleurs. Hormis la canne à sucre, qui est un bon carburant agricole, mais dont il faut savoir dans quelles conditions on le produit. Pour le moment, cela se fait dans de très grandes plantations au Brésil, qui vont aussi détruire ce qui reste de la forêt ou des grandes steppes là-bas. Et cela se fait dans des plantations industrielles, pas du tout en faveur des millions des paysans sans terres de ce pays. C’est donc aussi, une question sociale et environnementale là-bas, mais aussi une question énergétique surtout. Et il faut débattre de cette question, énergétique, économique, et ensuite environnementale et sociale des agrocarburants. Et sur ces quatre plans, on est très critiques.

Mohamed GUEYE

source : Le Quotidien

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