L’accord d’association UE-Ukraine contient-il des OGM ?
Graffiti contre la mise en culture d’OGM, à Oaxaca, au Mexique. Crédits : Chris Stowers

Courrier de la Russie | 2 octobre 2014

L’accord d’association UE-Ukraine contient-il des OGM ?

Thomas GRAS

Un récent rapport de l’Oakland Institute, intitulé « Walking on the West Side », révèle que l’accord d’association conclu entre l’Union européenne et l’Ukraine encouragerait cette dernière à recourir aux OGM, jusqu’à présent interdits sur son territoire. Si c’était effectivement le cas, l’Ukraine – deuxième exportateur mondial de céréales et détentrice de 22 % des terres arables d’Europe – deviendrait un véritable eldorado pour les semenciers internationaux. Alors – vrai ou faux ? Voici deux avis divergents.

Dans le viseur du centre de recherches américain, l’article 404 de l’accord, qui recommande l’utilisation de « biotechnologies » : 404 c) L’encouragement de modes de production agricole modernes et viables, qui respectent l’environnement et le bien-être des animaux, notamment le recours accru aux méthodes de production de l’agriculture biologique et l’utilisation des biotechnologies, entre autres par l’application des meilleures pratiques en la matière.

Frédéric Mousseau, Policy Director à l’Oakland Institute, co-auteur du rapport « Walking on the West Side ».

« Oui : Erreur 404 »

Frédéric Mousseau, Policy Director à l’Oakland Institute, co-auteur du rapport « Walking on the West Side ».

La clause 404 c) est très explicite. Appliqué à l’agriculture, le terme « biotechnologies » ne prévoit ni plus ni moins que l’extension de l’usage des OGM dans l’agriculture ukrainienne. En d’autres termes, le gouvernement ukrainien s’engage à mettre en œuvre des réformes afin d’autoriser un certain nombre d’OGM dans son agriculture.

C’est une véritable surprise, puisque la question n’avait même jamais été posée jusque là. Nous sommes face à un paradoxe : les institutions européennes incitent les Ukrainiens à légaliser la culture OGM alors que les populations européennes y sont majoritairement opposées. On en vient à penser que l’UE négocie avec l’Ukraine non dans l’intérêt des Européens, mais au profit d’un certain nombre de grandes entreprises, à qui cela profitera.

D’autant que plusieurs groupes agroalimentaires internationaux, tels les semenciers Monsanto et DuPont, investissent énormément en Ukraine, et ce depuis plusieurs années [Monsanto y construit actuellement une usine de production d’un montant d’investissement de 140 millions de dollars, ndlr]. On peut supposer qu’avec l’arrivée du nouveau gouvernement en Ukraine, la signature de l’accord d’association avec l’UE [voir encadré en bas de page] et le rapprochement avec l’Ouest, ces entreprises accentueront la pression sur les dirigeants ukrainiens afin de mettre en œuvre rapidement les réformes qui leur permettront de produire des OGM.

La mise en culture de ces semences fermerait à l’Ukraine certains marchés d’exportation, comme la Russie qui a interdit l’importation de ces organismes. Plus grave, de nombreuses études ont montré que l’utilisation de graines génétiquement modifiées, au contraire de ce qu’affirment les grandes firmes du secteur, détériore l’environnement, notamment du fait du recours intensif aux pesticides, et peut avoir des effets négatifs sur la santé des consommateurs et contaminer d’autres plantations non-OGM.

À cela s’ajoute une autre tendance, très soutenue depuis 2008 : l’acquisition par ces acteurs occidentaux de terres en Ukraine. Même s’il s’agit de contrats de location, la durée importante des baux – de l’ordre de plusieurs dizaines d’années – montre que nous sommes clairement face à de l’acquisition sur le long terme. Nous assistons ainsi, aujourd’hui, à une véritable « ruée » des étrangers sur les terres et ressources naturelles du pays, non au bénéfice de l’Ukraine mais pour leur profit personnel.

On se pose d’ailleurs la question : quel est le bénéfice réel pour l’Ukraine ? En bradant ses ressources naturelles au profit de quelques grandes compagnies internationales, qui, au passage, vont remplir les poches d’une poignée d’intermédiaires et autres politiciens ukrainiens, le pays sacrifie son potentiel et encourt de sérieux risques.

Il est très important d’en parler, car beaucoup d’Ukrainiens ne sont pas au courant de ce qui se trame, notamment à cause du conflit actuel qui déchire leur pays. Ils ne connaissent pas les tenants de l’accord ni de tout le programme de réformes qu’encouragent le FMI et la Banque mondiale afin d’attirer des investisseurs étrangers : réduction des contraintes de régulation, diminution des taxes, simplification des contrats de location de terres, suppression de mesures sociales, etc. Les aboutissants de ces accords sont très importants pour l’économie et la société ukrainiennes – le pays va voir de plus en plus de compagnies étrangères accaparer ses terres.

Jean-jacques Hervé Jean-Jacques Hervé, conseiller pour les questions agricoles, Crédit Agricole Ukraine.

« Non – biotechnologies ne veut pas dire OGM »

Jean-jacques Hervé Jean-Jacques Hervé, conseiller pour les questions agricoles, Crédit Agricole Ukraine.

Non, non et non. Les biotechnologies ne sont pas synonymes d’OGM. C’est malhonnête de réduire le sujet de la sorte. Les biotechnologies sont un ensemble extrêmement fécond d’outils pour appréhender les problèmes environnementaux, le traitement des déchets, le recyclage et les cultures. Il n’y a pas de différence entre les recherches en médecine animale ou humaine, qui ont aussi recours aux biotechnologies, et la recherche végétale. Pourquoi les utiliser pour les humains et les chiens et pas pour la santé des vaches et des végétaux ?

Personnellement, je me réjouis de la présence de cette clause dans l’accord. Bruxelles et Kiev doivent travailler ensemble sur les biotechnologies, car si l’Ukraine est un grand pays agricole, au potentiel équivalent à celui de la France et de l’Allemagne réunies, elle dépend totalement des importations européennes et américaines pour la protection des cultures contre les mauvaises herbes, les parasites et autres maladies végétales. La recherche génétique végétale ukrainienne a cessé de fonctionner dix ans avant l’effondrement de l’URSS. L’académie ukrainienne de recherche agraire est pauvre, et elle s’est transformée, comme en Russie et au Kazakhstan, en une simple entreprise de production de graines de semences. Elle est performante sur les céréales classiques – blé d’hiver, de printemps, orge – mais totalement discréditée sur le tournesol, le maïs, le soja, et très en retard sur les variétés horticoles, les fruits et les légumes.

Évidemment que Monsanto et d’autres grandes compagnies ont intérêt, à court terme, à légaliser la culture OGM en Ukraine, puisque cela fait partie de leur stratégie globale. Et évidemment que les Américains vont faire pression sur le gouvernement ukrainien – comme ils le font tous les jours avec les Européens – en demandant pourquoi le pays est contre les OGM. Mais l’Ukraine n’est aucunement contrainte de céder, ni sous prétexte qu’elle touche des aides des instances financières internationales, ni de par ses obligations liées à l’accord d’association. Ce dernier, je le répète, n’incite pas l’Ukraine à admettre ces organismes en culture.

Les aides du FMI et l’accord d’association vont permettre à l’agriculture ukrainienne de se développer dans le bon sens. L’Ukraine doit moderniser l’organisation de ses structures de productions agricole : le foncier, la gestion, la définition d’outils de politique agricole.

Le système actuel d’exploitation des terrains en Ukraine ressemble à celui qui dominait en Russie avant la loi de 2002 sur la privatisation des terres agricoles. C’est-à-dire que les anciens travailleurs des fermes collectives – environ 10 millions de personnes – ont reçu des droits fonciers sur des parcelles d’environ quatre hectares chacune. Ainsi, une compagnie qui souhaiterait exploiter 400 hectares de terres doit signer 100 baux.

Le pays vit aussi encore trop d’opportunisme, du type : Besoin de sucre ? – Achetons-en, c’est plus simple que d’en produire ! Sans parler du fait que l’État ukrainien a grandement besoin, comme son voisin russe, d’améliorer la logistique. Il manque une quinzaine de milliers de wagons pour assurer un transfert normal des grains plutôt que d’utiliser des camions, ce qui coûte trop cher. L’Ukraine a un potentiel de production annuel de l’ordre de 60 millions de tonnes de grains, mais cela nécessite d’aménager des capacités de stockage supplémentaires d’environ 30 millions de tonnes.

Enfin, il est nécessaire de combattre la corruption généralisée dans les services de contrôle agricole, notamment responsable de la culture illégale d’OGM dans le pays de façon assez importante pour le soja et, à plus faible proportion, pour le maïs. On ne peut tout simplement pas avoir des champs aussi propres que ce que l’on observe parfois en Ukraine sans recourir à des produits de lutte intensive contre les mauvaises herbes – ce que ne permettent que les semences génétiquement modifiées.

C’est pourquoi nous devons agir ensemble, Européens et Ukrainiens, pour valoriser le savoir-faire de la paysannerie d’Ukraine, qui a survécu aux pires conditions de l’époque soviétique et su, malgré tout, préserver son patrimoine génétique. Et, surtout, il faut cesser d’être aussi fanatiques contre les OGM en Europe.

Trois dates clés de l’accord d’association Ukraine-Union européenne.

Le 28 décembre 2013, l’ancien président ukrainien Victor Ianoukovitch refuse de signer l’accord d’association de son pays avec l’UE lors du sommet du Partenariat oriental, à Vilnius. L’Ukraine plonge alors dans une crise sans précédent, qui conduira à un changement de régime, au rattachement de la Crimée à la Russie et à une guerre civile dans l’Est du pays.

Le 21 mars 2014, le nouveau Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk signe le premier volet de l’accord d’association entre son pays et l’Union européenne.

Le 16 septembre 2014, les parlements ukrainien et européen ratifient finalement l’accord d’association. À Kiev, le texte est adopté par 355 députés, soit à la majorité absolue. À Bruxelles, l’accord obtient 535 voix, avec 127 votes contre et 35 abstentions.

L’agriculture ukrainienne en chiffres

L’Ukraine possède une surface agricole utile (SAU) de 41,2 millions d’hectares, dont 26,6 millions sont cultivées (Source : Agritel). Selon les prévisions du ministère de la politique agraire ukrainien, la production brute céréalière en Ukraine en 2013 devrait atteindre un volume record de 57,1 millions de tonnes, dont 21 millions de tonnes de blé et 25,9 millions de tonnes de maïs, contre 46,2 millions de tonnes en 2012.

L’Ukraine pourrait également prendre la deuxième place dans le monde en termes d’exportation de céréales avec 30,2 millions de tonnes, derrière les États-Unis (69,7 millions de tonnes de céréales), a communiqué l’Association ukrainienne des grains (UGA). Les principaux pays d’exportation sont l’Afrique du Nord (Égypte, Maghreb), le Moyen-Orient et l’Europe.

source : Courrier de la Russie

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