Accord de commerce UE-USA : le spectre d’un mini-TTIP

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CNCD 11.11.11 | 20 février 2019

Accord de commerce UE-USA : le spectre d’un mini-TTIP

par Michel Cermak

La Commission européenne a proposé en janvier de lancer de nouvelles négociations commerciales transatlantiques, aux antipodes des ambitions climatiques exigées par une part croissante de la population. Le Parlement européen semble plus divisé que jamais et se prononcera en mars. Les gouvernements européens visent un accord politique dès ce 21 février. Accepter de telles négociations équivaudrait à renier plusieurs engagements pris par l’Union européenne : refuser de négocier avec « un pistolet sur la tempe » et ne conclure aucun accord commercial avec un pays qui ne respecte pas les objectifs climatiques de Paris.

Le 21 février, les ministres européens du Commerce réunis en Conseil « informel » à Bucarest chercheront à se mettre d’accord quant aux mandats à donner à la Commission européenne pour négocier de nouveaux accords commerciaux avec les Etats-Unis. Ils ne prendront pas de décision formelle, mais plusieurs sources concordent pour dire que le consensus sera bien forgé cette semaine, reste à savoir (c’est un autre point en discussion ce jeudi) à quelle date il sera officialisé, pour ne fâcher ni le Parlement européen, ni l’opinion publique à trois mois des élections.

Concilier négociation avec Trump et ambition climatique ?

Ce 18 février, 62 organisations européennes de la société civile ont interpellé les États membres de l’Union Européenne (UE) quant à la compatibilité de ces nouveaux accords avec la protection du climat et l’Accord de Paris.

Le président Macron a annoncé à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2018 qu’il ne signerait aucun accord commercial avec un pays qui ne respecte pas l’Accord de Paris sur le climat. La Commission européenne défendait le même point de vue jusqu’à l’été 2018. Depuis lors, la Commission européenne a manifestement changé d’avis. Elle a proposé le 18 janvier deux projets de mandats de négociation. La France l’acceptera-t-elle ? Et la Belgique ?

Les premières mesures mises en place et proposées dans le cadre des négociations, qui ont en réalité déjà commencé sans attendre un feu vert ni du Parlement, ni des Etats Membres, constituent un indicateur de la direction prise. L’UE, craignant l’instauration de tarifs sur les importations européennes d’automobiles, a déjà offert des concessions aux Etats-Unis. Notamment, le soja américain, qui a perdu des parts de marchés en Chine suite à l’escalade tarifaire entre les deux pays, se voit ouvrir les portes du marché européen : + 112% d’importations en un an. Il n’y a jamais eu autant de soja OGM américain sur le marché européen. Et il pourra même dorénavant entrer dans des agro-carburants, dont les chiffres de la Commission elle-même montrent qu’ils sont deux fois plus dommageables au climat que le diesel fossile. L’UE a également offert durant les négociations en janvier d’augmenter les importations de gaz issus de la fracturation hydraulique. Et tout ça pour éviter des tarifs douaniers sur les exportations de voitures européennes, qui s’ajouteraient à ceux appliqués sur l’acier et l’aluminium. Merci pour le climat ! En outre, contrairement à ce qu’elle affirmait il y a peu, l’UE envisage donc de négocier avec un « pistolet sur la tempe ».

Le mandat de négociation ne prévoit en outre aucun chapitre sur le développement durable, afin d’imposer aux firmes transnationales le respect des normes sociales et environnementales.

Un Parlement européen échaudé et divisé

Au Parlement européen, la commission en charge du commerce international a adopté ce 19 février un projet de résolution à la suite de débats pour le moins tendus. Fait rare : le président de cette commission parlementaire, Bernd Lange (social-démocrate allemand), avait déposé un premier texte de résolution appelant, vues les conditions actuelles, les Etats membres européens à refuser l’adoption des mandats de négociation. Le texte a fait l’objet de 110 propositions d’amendements et a été profondément remanié en commission, si bien que son initiateur a finalement voté contre, ainsi que l’ensemble des eurodéputés socio-démocrates, verts et de gauche radicale, tandis que les partis conservateur, libéral et populaire européens ont voté pour le texte, adopté par 21 voix contre 17. Autant dire que le texte fera très certainement encore l’objet de profonds remaniements avant son adoption en plénière, prévue à la mi-mars.

En l’état, le texte pose tout de même une série de conditions : les Etats-Unis doivent retirer les droits de douanes imposés depuis mars 2018 par Donald Trump sur l’aluminium et l’acier européens ; un processus de consultation avec la société civile et une étude d’impact sur le développement durable doivent être menées ; l’UE doit insister pour que le secteur automobile soit inclus dans la négociation ; la négociation doit être suspendue si de nouveaux droits de douane sont imposés ; enfin, une clarification est nécessaire quant à la place des règles d’origines dans la négociation.

Malheureusement le texte ne précise pas que l’étude d’impact doit être réalisée de manière préalable à la négociation. Pourtant, pour qu’une étude d’impact trouve une utilité, il est nécessaire que son résultat puisse orienter la décision de lancer ou non la négociation ainsi que son contenu, de manière à éviter les impacts négatifs qui seraient identifiés. Sans exiger cette condition, on risque de voir, comme ce fut trop souvent le cas, une étude d’impact finalisée… après la négociation du traité lui-même, sans aucune chance d’être d’aucune utilité pour informer la décision politique.

Comment en est-on arrivés là ?

Suite aux tarifs douaniers imposés par l’administration Trump sur l’aluminium et l’acier – une mauvaise réponse à un faux problème – et à la menace de nouveaux tarifs sur les automobiles, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker s’était précipité à Washington pour éviter l’escalade, aboutissant à une déclaration commune Trump-Juncker le 25 juillet 2018. Cette déclaration prévoyait plusieurs axes de travail, notamment de s’orienter vers « zéro barrières tarifaires et non tarifaires et zéro subside », ce qui en français signifie le libre-échange absolu et une harmonisation à 100% de toutes les réglementations différentes qui pourraient être considérées comme des obstacles au commerce. Du jamais vu en matière de libéralisation commerciale ! Dans ce sens, la porte est ouverte pour aller largement plus loin que le TTIP sur ce point. Surtout que le mandat de négociation du TTIP existe toujours, puisqu’il n’a jamais été explicitement supprimé par le Parlement européen. Cela signifie que les négociations pourraient à tout moment être élargie aux autres domaines envisagés lors des négociations du TTIP.

A ce stade, deux projets de mandats de négociation ont été adoptés par la Commission européenne et publiés le 18 janvier : le premier porte sur les droits de douane sur les produits industriels (hors voitures) et le second sur les contrôles de conformité et la coopération réglementaire. Ce dernier ne prévoit pas de limitation, que ce soit sur les produits chimiques, l’alimentation ou les OGM par exemple.

Un autre sujet de préoccupation est la différence qui existe entre les mandats européens et celui octroyé à l’Administration Trump par le Congrès européen. C’est notamment le cas pour le commerce agricole : alors que l’UE refuse d’aborder ce sujet, les Etats-Unis répètent que l’agriculture doit selon eux faire partie des négociations.

En outre, le Département du Commerce américain a rendu le 17 février un rapport au Président Trump qui pourrait entraîner l’augmentation des droits de douanes américains sur les importations de voitures européennes (une procédure similaire à ce qui avait été fait sur l’acier et l’aluminium, basée sur une supposée menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis).

Le Président Trump a 90 jours pour donner suite ou non à ce rapport. Peut-on négocier avec un pistolet sur la tempe ?

En parallèle, l’UE a confirmé ce 13 février vouloir poursuivre la négociation avec le bloc latino-américain MERCOSUR. La Commissaire Malmström dit attendre un retour du nouveau président brésilien Bolsonaro, un autre climato-sceptique notoire qui a annulé la COP 25 prévue au Brésil et envisagerait de sortir lui aussi de l’Accord de Paris. Avancer vers une négociation avec les États-Unis serait un mauvais signal à envoyer au Brésil et aux autres partenaires potentiels de l’Union européenne, qui pourraient croire que l’engagement européen en faveur du climat est monnayable en fonction des circonstances.

Les quelques acquis du mouvement STOP TTIP balayés sous la menace de Trump ?

L’UE ne rate pas une occasion pour affirmer que sa nouvelle politique commerciale est progressiste et durable. Pourtant, comme dans le cas du TTIP, les profits commerciaux semblent prioritaires par rapport à l’intérêt général et au climat. Les promesses et les ambitions en matière de protection du climat et de l’environnement semblent en passe d’être trahies.

La Belgique, avec un Gouvernement minoritaire en affaires courantes, est-elle en mesure d’adopter un tel mandat de négociation ? Cela ne nécessite-t-il pas au minimum un mandat du Parlement au Gouvernement ? Les régions ont-elles donné leur aval, alors-même que ces négociations sont en l’état incompatibles avec les balises des Parlements wallon et bruxellois ? Enfin, ces négociations sont-elles compatibles avec les ambitions climatiques affichées par le Gouvernement Michel II ?

Autant de questions qui méritent un débat public que nombre de décideurs politiques préféreraient éviter à la veille des élections.

source : CNCD 11.11.11

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