CETA : « Renvoyer les Etats à leurs responsabilités en cas de contentieux climatiques »

Le Monde | 10 juillet 2019

CETA : « Renvoyer les Etats à leurs responsabilités en cas de contentieux climatiques »

La juriste Sabrina Robert-Cuendet regrette, dans une tribune au « Monde », que le gouvernement français ait retenu une version édulcorée du « veto climatique » qui aurait permis de s’opposer aux attaques des multinationales contre les politiques publiques environnementales, permises par le traité de commerce entre l’Europe et le Canada

par Sabrina Robert-Cuendet (Professeur de droit international public à l’université du Mans.)

Tribune. Après pratiquement deux années sans avoir fait parler de lui, le CETA – l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne (UE), ses Etats membres et le Canada – revient sur le devant de la scène. Le CETA était entré en application provisoire en septembre 2017 pour ses aspects commerciaux. Mais pour qu’il entre en vigueur de manière définitive et complète – et notamment pour que le chapitre créant des tribunaux spéciaux pour les différends relatifs à l’investissement prenne effet –, il faut encore que tous les Parlements nationaux de l’UE ratifient le traité.

En France, le processus est désormais enclenché puisque le projet de loi de ratification du CETA a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 4 juillet. A cette occasion, il est aussi à nouveau question du « veto climatique » que la commission Schubert, chargée d’évaluer les impacts du CETA sur l’environnement, le climat et la santé durant l’été 2017, a proposé d’introduire dans le traité. La question qui anime les débats est celle de savoir si la formule envisagée par le gouvernement présente les mêmes garanties que la version originale de cette proposition.

Le veto climatique version commission Schubert permettrait qu’en cas de plainte intentée par un investisseur privé étranger contre une réglementation climatique, les parties contractantes à l’accord se substituent au tribunal spécial CETA pour apprécier la conformité de la mesure au traité. L’examen par les parties bloquerait alors la procédure contentieuse et, si elles décidaient que la mesure est conforme à leurs engagements, la plainte devant le tribunal ne pourrait pas aller plus loin.

Ce filtre aurait l’avantage d’éviter l’engagement de procédures juridictionnelles longues et coûteuses qui, même si elles ne se soldent pas par la condamnation de l’Etat, hypothèquent tout de même, pendant un temps, le sort des mesures mises en cause par les investisseurs. Ce dispositif reviendrait aussi à renvoyer l’UE, les Etats membres et le Canada à leurs responsabilités, en leur confiant le soin, en cas de contentieux climatiques sensibles, de rappeler leurs priorités d’action.

Conditions d’application du veto climatique

Pour rendre effectif ce veto climatique, il faudrait nécessairement amender le texte du CETA et obtenir l’accord de toutes les parties. Il ne s’agirait toutefois pas d’une totale révolution juridique. Des mécanismes comparables existent déjà pour bloquer les plaintes contre les mesures fiscales dans certains traités d’investissement, y compris dans le CETA. Le veto climatique est d’ailleurs directement inspiré de ces mécanismes.

Cette proposition de la commission Schubert a trouvé un certain écho auprès du gouvernement. Elle a été reprise dans le plan d’action sur la mise en œuvre du CETA qui a été adopté à l’automne 2017. Mais le dispositif envisagé par le gouvernement diverge de la proposition initiale. Il y est question d’adopter des déclarations interprétatives juridiquement contraignantes, dans le cadre des mécanismes d’adaptation prévus dans le traité.

L’une de ces interprétations viserait à rappeler que les réglementations climatiques non discriminatoires ne constituent pas des atteintes aux droits des investisseurs privés garantis par le traité. Mais justement, même avec un tel mécanisme, les investisseurs pourraient toujours engager une action contre ces mesures devant le tribunal CETA, en prétendant, à tort ou à raison, qu’elles sont discriminatoires.

En outre, une telle déclaration interprétative n’apporterait rien de fondamentalement nouveau par rapport à ce que prévoit déjà le traité. Plusieurs de ses dispositions rappellent en effet que les mesures d’intérêt général qui ne sont ni discriminatoires ni arbitraires ne violent pas les dispositions de l’accord. La commission Schubert avait relevé que l’efficacité de ces clauses était incertaine, mais la version gouvernementale du veto climatique, telle qu’elle est présentée dans le plan d’action, semble pouvoir aller plus loin en permettant l’adoption d’interprétations plus précises qui devront être prises en compte par le tribunal même dans le cadre d’une instance en cours.

Contrairement à la proposition de la commission Schubert, cette version du veto ne permettrait cependant pas de bloquer la procédure contentieuse. Ces dernières années, de nombreuses plaintes ont été engagées, dans le cadre de traités d’investissement ou dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, contre les dispositifs nationaux d’encouragement des énergies renouvelables (contre le Canada, l’Inde, l’Union européenne et plusieurs Etats membres…).

Ces affaires, dont certaines ont donné lieu à la condamnation des Etats, ont montré que ce type de dispositif pouvait se heurter à la rigueur des conditions posées dans les accords économiques, alors même que les mesures sont fondées du point de vue des engagements climatiques des Etats. Le veto climatique, version commission Schubert, permettrait d’introduire une certaine flexibilité dans l’appréciation de ces mesures.

Plus fondamentalement, intégrer un tel mécanisme dans le texte même du traité serait un signal fort que les Etats considèrent que leur souveraineté environnementale doit être protégée en priorité. S’il est probablement trop tard pour modifier le texte du CETA en ce sens, sans doute ne l’est-il pas pour tous les autres accords européens dont la négociation est en cours ou à venir.

Sabrina Robert-Cuendet, professeure de droit international public à l’université du Mans, est membre de la Commission chargée de l’évaluation de l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé (commission Schubert).

source : Le Monde

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