Newsletter tuniso-marocaine sur l’ALECA n°2 – Octobre 2019

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Newsletter tuniso-marocaine sur l’ALECA n°2 – Octobre 2019

par FTDES

Depuis le mois d’avril, un certain nombre d’évolutions se sont déroulées au Maroc et en Tunisie, en particulier le quatrième round de négociation en Tunisie. Les choses ont par la suite été relativement calmes dans le cadre des élections tunisiennes. Dans le détail :

Maroc.

Au Maroc, des sources officielles ont annoncé l’intention de reprendre les négociations dès cette année. Ainsi une déclaration politique a été publiée suite au Conseil d’Association du 27 juin 2019. De manière intéressante, cette déclaration énonce l’égalité entre les deux entités comme principe essentiel. Elle indique la reprise des relations institutionnelles euro-marocaines et de l’application du partenariat privilégié :
https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/06/27/joint-declaration-by-the-european-union-and-the-kingdom-of-morocco-for-the-fourteenth-meeting-of-the-association-council/

Sur le plan économique, ce partenariat aspire à mettre en place « Un Espace de convergence Économique et de Cohésion sociale : Cet espace s’articulera, notamment autour de la mise en œuvre du volet économique de l’Accord d’association. Ceci implique une utilisation améliorée du potentiel offert par la relation commerciale bilatérale, la relance des négociations vers un Accord de Libre-Échange Complet et Approfondi (ALECA) sur base des bénéfices attendus pour les deux partenaires, la poursuite de manière graduelle de la convergence réglementaire, une coopération bilatérale étroite en matière de douane... ».

Dans le cadre de cette reprise prévue des négociations, quelques voix commencent à se faire réentendre pour affirmer les dangers des cet accord, notamment concernant le secteur pharmaceutique : https://www.ecoactu.ma/laleca-risque-de-prendre-la-dependance-du-secteur- pharmaceutique-marocain-en-otage/

Tunisie.

1. Evolution des négociations

 La quatrième session de négociations a eu lieu entre le 29 avril et le 4 mai 2019. Le
compte rendu de cette session est disponible au lien suivant :
http://www.aleca.tn/rapport-conjoint-du-quatrieme-round-de-negociation-sur-un-accord- de-libre-echange-complet-et-approfondi-aleca-entre-la-tunisie-et-lunion-europeenne/. Contrairement aux deux dernières sessions, les textes de négociation n’ont pas été actualisés.
 Le compte rendu nous informe que les négociateurs tunisiens n’acceptent pour le moment pas la proposition de la propriété intellectuelle relative aux médicaments et

au secret des affaires. Ils ont fait une contre-proposition sur les marchés publics qui fixe l’ouverture comme objectif à long terme, ce qui ne semble pas avoir été accepté par les européens, et proposé que la libéralisation des investissements soit fait dans une liste positive et permette des obligations de résultats [1] comme prévu dans le cadre de l’OMC. Ils ont cependant accepté la majorité des règles de concurrence de l’UE (y compris sur les monopoles d’Etat et les entreprises publiques), le transit de l’énergie, le commerce numérique, ont commencé à discuter sur le règlement des différends investisseurs-Etat (arbitrage). Sur tous les aspects liés à l’harmonisation règlementaire, les négociateurs ont semblé accepter tout en demandant une aide suffisante pour la mise à niveau, à travers un nouveau chapitre portant sur les mécanismes d’appui, qui a été proposé. Ils ont comme d’habitude insisté sur la synergie avec la mobilité des personnes. En tout et pour tout il apparait que l’équipe tunisienne gagne en connaissance sur les risques de l’accord et essaie d’en minimiser certains. Cependant leurs propositions ont l’air d’être peu débattues par les européens pour le moment, se référant à leurs procédures internes.
 Des rumeurs de suspension des négociations, sorties dans la presse début juillet, ont été démenties par les autorités. Cependant, dans le contexte du calendrier électoral de l’automne 2019 en Tunisie, la prochaine session de négociations ne devrait pas se tenir avant le début de l’année 2020, bien que les discussions devraient se poursuivre.
 Lors de la campagne présidentielle, le sujet de l’ALECA a été un enjeu, et une question spécifique à ce sujet a été posée lors de chaque débat télévisé. Le FTDES a envoyé un questionnaire sur le sujet, et bien qu’aucune réponse n’ait été reçue par les candidats, des journalistes se sont saisis de la question suite à sa publication.
 L’élection de Kais Saïed au poste de Président de la République tend à une contraction, un ralentissement ou une suspension des négociations, ce dernier soutenant la prudence face aux partenaires traditionnels et leurs intérêts en Tunisie. Cependant, l’arrivée en tête du mouvement Ennahda (islamiste) et du parti Au cœur de la Tunisie (libéral) aux législatives pourrait faire continuer les négociations s’ils forment un gouvernement commun et qu’Ennahdha l’accepte. A l’heure actuelle, la formation du gouvernement et sa composition reste incertaine.

 Suite à une demande d’accès aux documents auprès de l’UE (https://www.asktheeu.org/en/request/contacts_about_eu_tunisia_dcfta?fbclid=IwAR1BPB pMGhD5AphBC0BPP-YiKI-_IfC7jV_buePAJf9M3zWOKMRBQ4o8sjQ#describe_state_form_1), quelques comptes rendus et discours ont été rendus publics. On y apprend qu’un rendez-vous a eu lieu au sujet de l’ALECA avec une association de producteurs d’huile (hors huile d’olive) qui veulent mieux accéder au marché tunisien, et un autre avec une association de défense du bien-être des animaux. On apprend aussi (CR de la réunion avec Euromed Droits) que la commission européenne envisage sérieusement de changer le nom ALECA qui aurait une connotation trop négative.
 En Europe, la cour de justice n’a finalement pas invalidé le mécanisme d’arbitrage entre investisseurs et Etats prévu par le CETA, dans son opinion 1/17. La société civile européenne et certains juristes ont entrepris une critique de cette décision. Par exemple : http://europeanlawblog.eu/2019/05/31/autonomy-and-opinion-1-17-a-matter- of-coherence/

2. Positionnements et mobilisation

 La quatrième session de négociations a été l’occasion de plusieurs mobilisations,
derrière le slogan #BlockALECA, à l’initiative d’une campagne de jeunes et d’associations :
o Le 30 avril, la session de consultation de la société civile a été interrompue par des activistes (à partir de 14’30’’) : https://urlz.fr/aNVL
o Le 1 er mai, une manifestation anti-ALECA a été organisée. Elle s’est jointe au cortège syndical et le sujet a été la première revendication de la journée.
 Cette période a permis une forte exposition médiatique, avec beaucoup d’articles et d’événements, ainsi qu’une interview à la télévision nationale : https://urlz.fr/aNks
 Le 30 avril également a eu lieu une conférence nationale, qui concluait des tables rondes sur l’ALECA dans toutes les régions de Tunisie. Une déclaration a été signée à son issue : https://urlz.fr/aNjB Texte en français : https://urlz.fr/aNjF
 L’association ARES et l’UGTT ont lancé une coordination nationale contre l’ALECA en mai, qui regroupe notamment des associations et partis politiques proches du Front Populaire, ainsi que plusieurs syndicats (UTAP – agriculteurs, UGET – étudiants). A cette occasion l’UGTT a exprimé son opposition au projet, en l’état actuel.
 En amont des négociations, la Chambre Nationale de l’Industrie Pharmaceutique a indiqué qu’elle était en désaccord avec le chapitre propriété intellectuelle: https://www.facebook.com/1306982219452518/posts/1329893250494748/

 Un livret de sensibilisation pour les citoyens, en arabe, a été publié: https://www.rosaluxna.org/wp-content/uploads/2019/08/Guide-Citoyen-ALECA.pdf

3. Rapports et études

 Le Professeur et conseiller de l’UGTT sur l’ALECA, Sami Aouadi, a publié avec la Friedriech Ebert Stiftung une Étude d’impacts multidimensionnels du projet d’Accord de Libre Échange Complet et Approfondi (ALECA) Tuniso-Européen (pas encore disponible en ligne).
 Dans le cadre de l’évaluation de la Commission Européenne de 6 accords d’Association Euro-méditerranéens (Maroc Tunisie Egypte Algérie Jordanie Liban), le consortium (Ecorys, FEMISE et CASE) a créé un site officiel et une newsletter. https://www.fta-evaluation.com/eu-mediterranean/fr/home-fr/, ainsi qu’un questionnaire en ligne sur l’impact des AA, auquel il est possible de répondre de manière générale ou pour un pays en particulier, ouvert aux contributions jusqu’au
17 novembre : https://www.fta-evaluation.com/eu-mediterranean/provide-your- input/. Ils encouragent aussi à suggérer des cas d’études.
 Pour présenter cette évaluation, des consultations se sont tenues dans chaque pays. En Tunisie, les critiques ont été fortes contre la méthode utilisée pour l’évaluation économique, puisqu’elle évalue une remise en place des barrières tarifaires en 2018, à travers les résultats d’un modèle calculable d’équilibre général fournis par la DG Trade. Des mots de l’économiste en charge de l’étude, cela pose un problème de transparence (le modèle est une boite noire) et ne mesure pas l’impact de l’accord.
 Le gouvernement tunisien a également commandité son étude d’évaluation, financée par la Banque Mondiale et confiée à EY Tunisie, dont les résultats devaient paraitre en mars puis juin dernier. Cette dernière a accusé beaucoup de retard, suite à des délais pour l’attribution du marché et un calendrier trop ambitieux. Sa démarche est
très opaque. Voir : https://news.barralaman.tn/ue-tunisie-accord-association-ue- tunisie-evaluation-retard/
 L’observatoire Tunisien de l’Economie a publié une étude démontrant le dumping effectué par la politique agricole européenne, ainsi que sur les normes sanitaires et phytosanitaires : https://urlz.fr/aNo5

Footnotes

[1« Conceptuellement, les PR (encore appelées « exigences de performance ») sont « des stipulations imposées aux investisseurs, leur demandant de répondre à certains objectifs spécifiques en ce qui concerne leurs activités dans le pays d’accueil » (CNUCED, 2003, p. 2). En d’autres termes, il s’agit de mesures qui imposent à l’investisseur un certain comportement ou des résultats à atteindre dans le pays d’accueil. ». Certaines sont interdites dans le cadre de l’Accord MIC de l’OMC. Voir IISD, Les prescriptions de résultats dans les traités d’investissements, p.1 : https://www.iisd.org/sites/default/files/publications/best-practices-performance- requirements-investment-treaties-fr.pdf

source : FTDES

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