Lobbying. Des traces de pesticides dans les accords commerciaux

L’Humanité | 19 février 2020

Lobbying. Des traces de pesticides dans les accords commerciaux

par Gaël De Santis

Depuis 2009, des produits dangereux pour la santé sont interdits en Europe. Un rapport dévoile la pression d’industriels et de puissances étrangères pour autoriser l’importation de denrées agricoles contenant des résidus chimiques.

Au secours, le Tafta, le projet d’accord commercial entre les États-Unis et l’Union européenne (UE), revient ! En janvier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a prévenu qu’une telle entente commerciale pourrait être conclue dans les prochaines semaines. Ce ne serait pas pour le bien des consommateurs européens. Car, le 10 février, Donald Trump, le président des États-Unis, a annoncé la couleur. Il s’en est pris aux barrières douanières européennes, qu’il qualifie de « terribles », et a invité le Vieux Continent à ouvrir ses portes aux produits agricoles américains.

Sauf que, de ce côté-ci de l’Atlantique, les normes sanitaires sont plus strictes qu’ailleurs. Singulièrement sur la question des pesticides, ces produits utilisés pour protéger les plantes des insectes, des mauvaises herbes et des maladies, mais dont certains sont des perturbateurs endocriniens ou favorisent les cancers. Le Corporate Europe Observatory (CEO) a publié, le 16 février, un rapport accablant qui montre le double discours des officiels européens sur la question des pesticides. D’un côté, ils prônent un « green deal » qui porte un « niveau accru d’ambition pour réduire significativement l’utilisation et le risque de pesticides chimiques ». De l’autre, ils envisagent une dérogation à la directive de 2009 qui prohibe l’utilisation de pesticides dangereux pour la santé : serait tolérée la vente des produits importés comprenant des « traces » de tels produits.

Les États-Unis et l’Australie ont porté plainte devant l’OMC

Pourquoi un tel double discours ? L’UE est sous la pression des lobbies et négocie des accords de libre-échange. Dès 2016, l’European Crop Protection Association (ECPA), le lobby des céréaliers, a organisé une rencontre pour tenter de faire autoriser des résidus de pesticides avec des responsables de la Direction générale de la santé et de l’Autorité pour la protection de la nourriture. En mars 2017, un lobbyiste de l’agrochimiquier Bayer rencontrait les membres du cabinet du commissaire à l’Agriculture, qui était alors… Phil Hogan, actuel commissaire au Commerce. L’homme de main du chimiste invitait la commission à se plier aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Deux jours plus tard, deux nouveaux lobbyistes de Bayer rencontraient une membre du cabinet du commissaire à la Santé, Nathalie Chaze. Celle-ci leur a tenu tête, expliquant que l’objectif de la réglementation était de « protéger les consommateurs contre ces substances et leurs résidus dans la nourriture, quelle qu’en soit l’origine ». L’entreprise allemande estimait alors que cela « affectait son commerce dans l’UE mais aussi dans des pays tiers exportant vers l’UE »…

Certains lobbies fonctionnent main dans la main avec les puissances étrangères. Ainsi, un rapport de 2017 de l’ECPA relève que des importations pour un montant de 70 milliards d’euros sont perturbées du fait de l’interdiction de 58 principes actifs. La même année, les États-Unis et l’Australie ont porté plainte devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), estimant que les règles de l’UE contre les perturbateurs endocriniens créaient un dommage commercial de 75 milliards de dollars (70 milliards d’euros) au total, dont 5 milliards pour les seuls États-Unis. À nouveau, en 2019, Washington et quinze autres pays ont attaqué l’UE devant l’OMC concernant sa réglementation sur les pesticides.

Le principe de précaution est jeté aux oubliettes

Les lobbies ne sont pas la seule source du problème. La Commission, qui fait de la conclusion d’accords de libre-échange une priorité, lâche du lest. « Le commissaire au Commerce Phil Hogan a (…) suggéré que les normes de pesticides puissent faire partie d’une nouvelle tentative d’aboutir à un accord commercial entre les États-Unis et l’Union européenne », lit-on dans le rapport de CEO, qui montre également qu’un allègement de la réglementation a été au cœur de discussions sur l’application du traité UE-Canada, le Ceta, en 2018. Ce n’est pas nouveau. Répondant par lettre à des ambassadeurs de pays tiers inquiets de la réglementation européenne en juillet 2018, Vytenis Andriukaitis, commissaire à la Santé, laissait entendre que « l’autorisation de tolérance d’importation serait considérée au cas par cas », mais qu’il faudrait qu’il soit « suffisamment démontré qu’il n’y a pas de risques pour la santé humaine ». Le principe de précaution est jeté aux oubliettes au nom des accords commerciaux. Quant à la santé des travailleurs et riverains des productions où se pratique, hors d’Europe, l’épandage de pesticides, ce n’est pas un sujet d’inquiétude. Pour l’heure, rien n’est joué, mais la Commission entrée en fonction en décembre 2019 pourrait dévoiler sa ligne de conduite dans les deux prochains mois.

source : L’Humanité

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