Le Covid 19 adore nos accords actuels de libre échange

Economie Matin | 7 avril 2020

Le Covid 19 adore nos accords actuels de libre échange

par Bertrand de Kermel

Aucun Roi, aucun Empereur dans notre histoire n’a osé ce que la République française s’apprête à faire aujourd’hui : priver les générations à venir des marges de manœuvres leur permettant de faire face aux défis auxquels elles seront confrontées dans le futur, dans un environnement désormais imprévisible et mondialisé.

Le CETA est emblématique de la mondialisation actuelle qui est de plus en plus contestée. Il s’inscrit dans une logique de développement intense des échanges qui a eu des effets contrastés. Mais le monde a changé. Soixante-douze ONG refusent ce traité en l’état. Cependant le CETA a été ratifié par l’Assemblée Nationale et doit, après la crise actuelle, passer devant le Sénat.

La crise nous montre que la notion de bien public est cruciale.

Or, la crise du coronavirus met en évidence la notion de biens communs et de biens publics de la Nation : tissu agricole et industriel, système de santé... et le devoir républicain de les préserver aujourd’hui, et pour demain. Aujourd’hui, nous comptons les morts. La mondialisation vacille. La moitié de l’humanité, pétrifiée dans le confinement, tente de s’imaginer un avenir. Le monde connu est prêt à basculer. Il faudra reconstruire.

Par essence, la crise impose un repositionnement. Elle offre au Président l’occasion unique de déclarer publiquement que la France ne ratifiera plus le CETA en l’état. Car ne pouvant pas proposer d’amendements à cet accord, elle ne peut que l’approuver ou le rejeter dans sa totalité.

Pourquoi renoncer aujourd’hui ? Parce que le chapitre huit du CETA comporte notamment quatre clauses relatives aux « services publics » particulièrement redoutables.

Quatre clauses dont on ne parle jamais.

La première clause se résume à deux listes. Leur principe est que tous les secteurs d’activité existants ou à venir en Europe sont inclus dans le système concurrentiel privé, à l’exception de ceux qui figurent sur ces deux listes (dites « négatives ») pour lesquels l’existence de services publics est acceptée.

Première anomalie : Aucun parlementaire français n’en connait le contenu. Aucun français n’en connait l’existence.

Deuxième anomalie : Principes de la République : « ce qui n’est pas interdit est autorisé ». Principes du CETA sur les services publics : « ce qui n’est pas autorisé est interdit ».

La deuxième clause redoutable est dénommée « statu quo ». Elle consolide les listes négatives, précisant que le peuple français ne pourra plus créer un service public dans un secteur ne figurant pas sur ces listes.

Par exemple, une fois le CETA approuvé, rien ne pourra empêcher la privatisation de tel ou tel service public qui ne figurerait pas sur ces listes, sinon la France sera condamnée à des amendes faramineuses par les tribunaux d’arbitrage réservés aux multinationales étrangères.

Plus choquant encore, cette interdiction de créer un service public via des listes négatives, concerne, par hypothèse, des secteurs qui n’existent pas encore et qu’on ne connait pas. Ce verrouillage s’imposera à la population française même si dans l’avenir, elle doit faire face à d’autres crises qu’on ne peut même pas imaginer aujourd’hui.

La troisième clause est dénommée « cliquet » : son principe signifie qu’il sera strictement interdit de revenir sur les mesures de privatisations en vue de créer un service public.

La quatrième clause ne figure pas dans le projet de Loi soumis aux parlementaires. Elle porte sur les questions de préavis.

A la page 28, le projet de Loi de ratification soumis aux députés le 17 juillet 2019 précise que si le CETA est un jour dénoncé soit par le Canada, soit par l’Europe, celui-ci s’éteindra au bout de 180 jours. Il omet de préciser que pour le chapitre huit (celui évoqué dans cet article) le préavis n’est pas de 180 jours, mais de…20 ans ! (article 30.9.2 du CETA).

L’information donnée aux députés ne leur permettait pas de savoir

En fait, il était impossible aux députés de mesurer les conséquences de leur vote au vu de ce qui précède. Si, dans dix ans (2030), nous vivons une crise imposant la création de services publics dans un domaine inconnu à ce jour, il faudra demander à l’Europe de dénoncer le CETA (cela prendra au moins 5 ans), et le chapitre huit restera ensuite en vigueur encore 20 ans. Nous serons alors en 2055 ...

N’est-ce pas piéger dans une véritable nasse la génération qui sera demain en responsabilité ? Les jeunes qui reprochent à la génération qui est aujourd’hui aux manettes (Chefs d’Etats, gouvernements et parlementaires) de leur avoir volé leur avenir, n’ont-ils pas raison ?

Le 12 mars dernier, dans sa première « adresse aux Français », le Président Macron déclarait que des décisions de rupture sur la mondialisation devront être prises rapidement et concluait en déclarant : « Je les assumerai ». Déjà le 23 septembre 2019 à l’ONU, il avait tracé la feuille de route : reprendre le contrôle de la mondialisation, récupérer les pans de souveraineté que nous avons perdus, redonner un sens à la mondialisation.

La crise actuelle nous contraint donc à repenser le commerce international pour dessiner de nouvelles lignes de force à l’aune des défis pour demain. Nos dirigeants et de nombreux citoyens font preuve d’un grand courage dans la tempête. Il en faudra aussi pour gérer l’après-crise avec lucidité. Ne pas ratifier le CETA en l’état sera la première décision qui répond à cet impératif.

source : Economie Matin

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