Pourquoi la France est toujours opposée au projet d’accord UE-Mercosur

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L’Express | 18 septembre 2020

Pourquoi la France est toujours opposée au projet d’accord UE-Mercosur

par O.P-V. avec AFP,

"La déforestation met en péril la biodiversité et dérègle le climat", a pointé Jean Castex ce vendredi à la suite de la remise d’un rapport commandé il y a un an.

Trois ans après le Ceta, par ailleurs toujours en cours de ratification, la France a affirmé ce vendredi son opposition à l’accord commercial entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) sous sa forme actuelle, une position déjà exprimée, mais le gouvernement compte se saisir du projet pour faire valoir de nouvelles exigences environnementales, notamment en matière de déforestation. L’Express fait le point sur les raisons qui poussent l’exécutif à douter de ce texte.

Un rapport très critique

Le gouvernement suit les conclusions du rapport de 184 pages commandé il y a un an par le prédécesseur de Jean Castex, Edouard Philippe, et remis ce vendredi. Selon ce document, l’accord est une "occasion manquée pour l’UE d’utiliser son pouvoir de négociation pour obtenir des garanties solides répondant aux attentes environnementales, sanitaires et plus généralement sociétales de ses concitoyens".

Ce texte, "d’une très grande qualité" selon l’exécutif, évalue notamment l’impact de la déforestation en Amazonie résultant d’une hausse de la production de viande bovine. Dans la plus grande forêt tropicale du monde, où les incendies ont déjà progressé de 28% en un an, la déforestation rendrait le coût environnemental de l’accord trop élevé par rapport à ses bénéfices économiques, selon la commission Ambec.

Biodiversité menacée

C’est d’ailleurs l’aspect souligné par le Premier ministre ce vendredi : "La déforestation met en péril la biodiversité et dérègle le climat. Le rapport remis par Stefan Ambec (économiste de l’environnement, Ndlr) conforte la position de la France de s’opposer au projet d’accord UE-Mercosur, en l’état", a souligné sur Twitter Jean Castex, juste après avoir reçu ce document d’évaluation très critique sur les risques environnementaux induits par l’accord entre l’UE et les quatre pays d’Amérique du Sud.

"Le projet d’accord n’a aucune disposition permettant de discipliner les pratiques des pays du Mercosur en matière de lutte contre la déforestation. Ça, c’est le manque majeur de cet accord", ajoute-t-on au sein de l’exécutif. Au-delà, la France, qui par la voix d’Emmanuel Macron l’an passé avait déjà fait connaître son opposition au projet actuel, regrette "le manque d’ambition" en matière d’environnement, alors que les écologistes demandent son abandon pur et simple.

Levée de boucliers des écologistes

Jugeant le constat de ce rapport "implacable", le collectif Stop-Ceta a estimé ce vendredi que "cet accord UE-Mercosur, qui vise essentiellement à exporter des voitures européennes pour importer plus de viande sud-américaine, doit être stoppé". Il demande donc au président français Emmanuel Macron de faire "à Bruxelles ce qu’il affirme à Paris", c’est-à-dire de construire "une alliance d’États membres en mesure de bloquer cet accord dès son examen au sein du Conseil européen, et remettre à plat la politique commerciale européenne".

Le collectif Stop-Ceta, du nom de l’accord commercial entre le Canada et l’UE approuvé par le Parlement européen en 2017, regroupe plus d’une centaine d’organisations nationales et locales, comme les ONG Attac, Les amis de la Terre, la Confédération paysanne, le parti Europe Ecologie Les Verts, la CGT, France nature environnement, Greenpeace ou encore le Parti communiste français.

La Fédération Nationale Bovine (FNB), premier syndicat d’éleveurs affilié à la FNSEA, a aussi demandé l’arrêt immédiat de l’accord UE-Mercosur, ainsi que celui du CETA déjà signé avec le Canada. "Nous sommes exactement d’accord avec les ONG qui défendent l’environnement, avec un enjeu supplémentaire qui est la défense de notre métier d’éleveur, des standards de production européens, et de notre modèle qui ne doit pas être utilisé à Bruxelles comme variable d’ajustement" dans les discussions commerciales, a déclaré Bruno Dufayet, président de la FNB.

En outre, selon les ONG Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, et Institut Veblen, qui ont réagi jeudi soir, "la France doit bloquer cet accord". Elles appellent "solennellement (...) à exiger son abandon pur et simple. Les conclusions de la commission sont sans appel : au-delà de la politique de Jair Bolsonaro, c’est la nature même du projet d’accord visant à promouvoir les exportations de viande du Mercosur en échange de voitures, de machines et de produits chimiques européens, sans aucune obligation environnementale qui entraînera une catastrophe pour le climat et la biodiversité".

Commercialement ambigu

Sur le plan commercial, la mise en oeuvre de l’accord aura des effets contrastés, entre les gagnants - essentiellement l’industrie (automobile) et les services, ainsi que les vins et fromages - et les perdants - volaille, viande bovine, miel et éthanol. Mais "on ne veut pas tout stopper, au contraire, on veut battre le fer tant qu’il est chaud", fait valoir une source au sein de l’exécutif, qui compte donc utiliser ce coup d’arrêt comme un nouveau levier.

Les exigences françaises

Le gouvernement français formule ainsi trois "exigences" pour poursuivre les négociations avec ces pays. D’abord, "qu’un accord d’association avec le Mercosur ne puisse en aucun cas entraîner une augmentation de la déforestation". Ensuite, "que les politiques publiques des pays du Mercosur soient pleinement conformes avec leurs engagements au titre de l’Accord de Paris" sur le climat.

Et enfin, "que les produits agroalimentaires importés bénéficiant d’un accès préférentiel au marché de l’Union européenne respectent bien, de droit et de fait, les normes sanitaires et environnementales de l’Union européenne", ajoute le gouvernement en assurant qu’un "suivi de ces produits sera effectué".

"Ce sont sur ces fondements et en s’inspirant des propositions formulées par la commission d’évaluation indépendante que le gouvernement entend travailler, en lien avec d’autres Etats membres de l’Union européenne, à l’élaboration de propositions concrètes, avant d’envisager toute reprise du processus vers un accord entre l’Union européenne et le Mercosur", souligne encore le gouvernement.

Dans le reste de l’UE, des doutes aussi

Signé à l’été 2019, l’accord commercial, qui doit être ratifié par les parlements nationaux, a déjà été rejeté par deux Parlements (Autriche, Pays-Bas) sous sa forme actuelle. La chancelière allemande Angela Merkel a, pour la première fois le 21 août, émis de "sérieux doutes" à son sujet, emboîtant le pas au président français Emmanuel Macron qui avait menacé de ne pas ratifier l’accord si le gouvernement brésilien ne prenait pas les mesures nécessaires pour protéger la plus grande forêt tropicale du monde. Et d’autres pays pourraient suivre, alors que des rapports d’évaluation sont attendus aux Pays-Bas ou encore en Suède prochainement.

source : L’Express

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