APE : en dépit des protestations de l’UE, le Cameroun maintient la suspension du démantèlement tarifaire jusqu’à fin 2020

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Ecofin | 12 novembre 2020

APE : en dépit des protestations de l’UE, le Cameroun maintient la suspension du démantèlement tarifaire jusqu’à fin 2020

by Brice R. Mbodiam et Sylvain Andzongo

(Agence Ecofin) - Le Cameroun ne lèvera pas la suspension du démantèlement tarifaire, dans le cadre de l’APE avec l’Union européenne, avant janvier 2021. Pour défendre sa position, le pays invoque les dispositions de la Convention de Vienne, relatives au cas de force majeure.

En dépit des protestations de l’Union européenne (UE), le Cameroun va maintenir la suspension du démantèlement tarifaire prévu par l’Accord de partenariat économique (APE) qui le lie aux pays de cet espace communautaire. Le ministre de l’Economie l’a signifié à la partie européenne, dans une lettre adressée le 10 novembre 2020 au chef de la délégation de l’UE à Yaoundé. Alamine Ousmane Mey (photo) répond à un courrier de l’UE, daté du 14 août 2020.

« Faisant suite au dialogue initié par l’Union européenne concernant la suspension temporaire par le Cameroun de la cinquième phase du calendrier de démantèlement tarifaire de l’APE bilatéral Cameroun-Union européenne, en ce qui concerne le passage au démantèlement de 45 à 60% du droit de douane sur les produits du 2e groupe et du début de démantèlement des produits du troisième groupe, et conformément aux conclusions et recommandations issues de la session extraordinaire virtuelle du Comité APE tenue le 28 octobre 2020, j’ai l’honneur de vous réitérer que le gouvernement du Cameroun, en dépit de la récusation par vos soins de l’article 31 de l’APE, a pris la décision de bonne foi, à la lumière des dispositions de l’article 57 de la Convention de Vienne de 1969 sur les traités internationaux, relativement au cas de force majeure. Celles-ci permettent en effet à une partie au traité de suspendre partiellement ou totalement l’application d’un Accord en raison de circonstances irrésistibles et imprévisibles », écrit Alamine Ousmane Mey, pour justifier la démarche du Cameroun.

Cette correspondance du ministre camerounais de l’Economie, département ministériel en charge de la conduite de l’APE avec l’UE, révèle deux nouvelles informations majeures. La première est que la suspension de la mise en œuvre du calendrier de démantèlement tarifaire par le Cameroun ne se limite pas seulement aux produits à rendement fiscal élevé (carburants, ciment, véhicules de tourisme et de transport, motocycles…) réunis dans le 3e groupe. Elle intègre également les produits du 2e groupe, dont la réduction des tarifs douaniers devait atteindre 60% dès le 4 août 2020. Pour ce groupe de marchandises, le démantèlement a débuté le 4 août 2017, au rythme d’une décote du droit de douane de 15% par an. Il doit s’étendre jusqu’en 2023.

L’Accord de Vienne de 1969 au secours du Cameroun

La 2e information révélée par la correspondance du ministre Alamine est la récusation par les experts de l’UE de l’article 31 de l’APE sur les « mesures de sauvegarde », invoqué par le Cameroun pour justifier la suspension de l’application du calendrier de démantèlement tarifaire. En effet, comme le faisait déjà remarquer Investir au Cameroun, même si cet article (lire l’accord) donne la possibilité au Cameroun, « après avoir examiné les solutions alternatives », de faire une pause « d’une durée limitée » sur la suppression des droits de douane sur ses importations en provenance de l’UE, ce pouvoir ne s’exerce que lorsqu’un produit est importé du marché européen « en quantités tellement accrues et à des conditions telles que ces importations causent ou menacent de causer » des problèmes précis.

Il s’agit notamment d’« un dommage grave à l’industrie domestique produisant des produits similaires ou directement concurrents sur le territoire de la partie importatrice » ; « des perturbations dans un secteur de l’économie, en particulier si ces perturbations engendrent des problèmes sociaux importants ou des difficultés qui pourraient provoquer une détérioration sérieuse de la situation économique de la partie importatrice » ou « des perturbations des marchés des produits agricoles similaires ou directement concurrents ou des mécanismes régulant ces marchés ». Vraisemblablement, le Cameroun, en s’appuyant sur la pandémie de la Covid-19 pour justifier la suspension de l’application de l’APE, ne s’est retrouvé dans aucune des situations susmentionnées.

D’où l’invocation, cette fois-ci, des « dispositions de l’article 57 de la Convention de Vienne de 1969 sur les traités internationaux, relativement au cas de force majeure ». Fort de cette nouvelle arme, le Cameroun poursuivra donc la suspension de l’application de l’APE avec l’UE, jusqu’à la fin de l’année courante. « En se félicitant du soutien financier de l’Union européenne dans ce contexte, le gouvernement de la République du Cameroun marque sa volonté de rétablir dès le 1er janvier 2021, le calen​_drier de démantèlement tarifaire contenu dans l’Accord de partenariat économique bilatéral Cameroun-Union européenne, tout en sollicitant sans délai l’accompagnement de l’Union européenne dans la mise en œuvre du volet développement de l’APE », souligne le ministre camerounais de l’Economie, qui soulève au passage la question du volet développement de l’APE, qui a toujours été l’objet de frictions entre l’UE et les pays ACP.

16 milliards FCFA de pertes à fin mars 2020…

Pour rappel, l’APE est mis en œuvre par le Cameroun depuis le 4 août 2016. Cet accord consacre l’ouverture du marché camerounais aux importations de l’UE en trois étapes correspondant aux trois groupes de produits à libéraliser selon leur nature. Le premier groupe, dont le démantèlement a commencé le 4 août 2016, à un rythme de décote de 25% par an sur le droit de douane applicable, porte sur les produits dont l’objectif est la réduction de la pauvreté et l’amélioration du bien-être des populations. Le démantèlement des barrières tarifaires sur les produits concernés est rendu à 100% depuis le 4 août 2019.

Pour les produits du second groupe, dont le démantèlement a commencé le 4 août 2017, à un rythme de décote de 15% par an sur le droit de douane, l’objectif est d’encourager la production locale. Le démantèlement est rendu à 45% depuis le 4 août 2019 et devait s’accélérer à 60% dès le 4 août 2020. Ce processus s’achève en 2023.

Au 31 mars 2020, indique la douane camerounaise, l’impact de la mise en œuvre de l’APE est de 16 milliards FCFA de moins-values budgétaires, depuis le début du démantèlement il y a un peu plus de 4 ans.

source : Ecofin

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