«L’accord commercial entre l’Union européenne et la Chine profitera d’abord à l’Allemagne»

Le Figaro | 13 janvier 2021

«L’accord commercial entre l’Union européenne et la Chine profitera d’abord à l’Allemagne»

Par Yves Perez

Yves Perez est professeur émérite et ancien doyen de la faculté de droit de l’Université catholique de l’Ouest à Angers, auteur des Vertus du protectionnisme (L’Artilleur, janvier 2020).

FIGAROVOX/TRIBUNE - L’accord sur les investissements annoncé le 30 décembre 2020 entre l’Union européenne et la Chine ne doit pas être envisagé seulement sous son aspect commercial, analyse Yves Perez. Selon l’économiste, cet accord nous engage malheureusement plus qu’il n’engage la Chine, et profitera avant tout aux allemands.

L’accord sur les investissements conclu le 30 décembre 2020 entre l’Union Européenne et la Chine ne constitue qu’une étape préliminaire. Il ne sera ratifié par les deux parties qu’au terme d’une période de deux ans. Il a néanmoins déjà été salué comme historique par la chancelière Angela Merkel et la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen. Que doit-on penser de cet accord et de sa portée véritable?

Je me propose de répondre à cette question en l’analysant sous trois angles de vue différents. Le premier est que tout accord signé entre un pays occidental et la Chine est par nature asymétrique. Autrement dit, il nous engage plus qu’il n’engage la Chine. Cette asymétrie tient à la nature même du système politique et économique chinois.

Le second est que cet accord ne doit pas être envisagé seulement sous son aspect commercial et purement bilatéral entre l’Union Européenne et la Chine, mais dans un cadre plus large, géopolitique et triangulaire entre les États-Unis, l’Union Européenne et la Chine. Le troisième est que du côté européen cet accord profitera surtout à l’Allemagne qui a d’ailleurs mis tout son poids dans la balance pour l’obtenir.

Tout accord signé entre un pays occidental et la Chine est par nature asymétrique: il nous engage plus qu’il n’engage la Chine.

La Chine a l’habitude de signer beaucoup d’accords internationaux mais ensuite elle les appliquent comme bon lui semble. Ainsi, lorsqu’elle a été admise à l’OMC, elle s’est engagée à en respecter les règles. Mais, vingt ans après, force est de constater qu’elle ne l’a pas souvent fait. Lorsqu’elle organisa chez elle les Jeux Olympiques, la Chine promit, le cœur sur la main, de respecter la liberté de la presse.

Or, en 2020, elle a encore été le pays au monde qui a emprisonné le plus grand nombre de journalistes. Enfin, à Hong Kong, elle avait accepté, lors du retrait du Royaume Uni, d’appliquer la législation en vigueur. Cependant, après la révolte des étudiants, elle a décidé de mettre en oeuvre sa propre législation sur la sécurité nationale afin de rétablir l’ordre et d’écraser le mouvement démocratique.

Mais revenons à notre accord. Son but affiché est que les deux parties ouvrent plus largement leurs marchés respectifs aux investissements de l’autre. Les relations économiques et commerciales entre l’Union Européenne et la Chine sont déjà très importantes. La Chine est le 2ème partenaire commercial de l’Union Européenne derrière les États-Unis. Elle représente 20.2% des importations de biens de l’Union et absorbe 10.5% de ses exportations. Du côté des investissements, l’Union Européenne a investi environ 150 MM d’euros dans l’Empire du Milieu et celui-ci a placé sur le vieux continent une somme au moins équivalente.

Plusieurs fleurons de l’industrie européenne sont passés sous pavillon chinois: citons les cas de Volvo en Suède, de Pirelli en Italie, du Club Med et de Lanvin en France, et de Kuka et Krauss Maffei, deux PME allemandes spécialisées dans la machine-outil et la robotique industrielle. Par contre, en Chine, les entreprises européennes doivent composer avec une double contrainte: créer des joint-ventures avec les entreprises locales et accepter de leur transférer leur technologie.

La Chine a aussi beaucoup misé au cours des dernières années sur le développement des relations bilatérales avec les pays de l’Union Européenne. L’Italie a ainsi intégré le projet des routes de la soie, mettant ses ports de Gênes et de Trieste à disposition des entreprises chinoises désireuses de s’implanter en Europe. Athènes a cédé le port du Pirée au transporteur chinois Cosco qui s’est assuré également le contrôle des ports à conteneurs de Bilbao et de Valence en Espagne.

Cet accord est un coup de maître de la Chine dans sa guerre commerciale avec les États-Unis

Le Portugal, qui a reçu 6MM d’euros de prêts de la part de la Chine, a accepté en échange la prise de contrôle par une banque chinoise de Felidade, première banque privée du pays. Par ailleurs, China Three Gorges s’assurait la mainmise sur EDP (Energias do Portugal), premier groupe électrique du pays et cela en dépit des mises en gardes réitérées de Washington. Enfin, les pays d’Europe centrale et orientale tiennent désormais un sommet annuel avec la Chine.

C’est donc aussi pour reprendre la main et éviter les manœuvres de contournement de la Chine que la Commission de Bruxelles s’est lancée dans la négociation de cet accord. Dans le cadre de ce nouvel arrangement, la Chine bénéficiera d’un accès plus large à plusieurs secteurs énergétiques et manufacturiers en Europe. De son côté, la Chine s’engage à faciliter l’arrivée des entreprises du vieux continent sur de nouveaux marchés prometteurs comme les véhicules propres, la santé, la finance et le «cloud». Par ailleurs, la Chine promet d’adhérer à l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et d’en appliquer les règles.

Cet accord est un coup de maître de la Chine dans sa guerre commerciale avec les États-Unis. Soumise aux sanctions économiques décidées par l’administration Trump, la Chine a voulu se rapprocher de l’Union Européenne et prendre à revers les États-Unis. À Pékin, on espère que le projet des routes de la soie va permettre la reconfiguration des réseaux commerciaux à l’échelle mondiale et mettre fin à l’hégémonie des États-Unis. Avant que l’administration Biden ne s’installe, l’accord entre Pékin et Bruxelles constitue déjà un échec pour les projets de coopération transatlantique que ne manquera pas de proposer Washington à ses alliés.

La Chine va ainsi rendre plus difficile la poursuite de la stratégie de guerre commerciale déclenchée par les États-Unis. Pékin se place en position de combattre ou de négocier avec l’administration Biden selon la posture que celle-ci choisira d’adopter. En ce sens, cet accord constitue bien un coup de maître de la Chine contre les États-Unis dans la lutte qui les oppose pour l’hégémonie mondiale.

En Europe, la gagnante est l’Allemagne qui a pesé de tout son poids en faveur de cet accord

L’Allemagne a voulu cet accord et elle l’a obtenu. Grâce à lui, Berlin se repositionne comme un acteur essentiel entre Washington et Pékin. Les entreprises automobiles allemandes (Daimler, Mercedes, Volkswagen) ont appuyé la conclusion de cet accord. La raison en est simple. Ces entreprises réalisent aujourd’hui un chiffre d’affaire supérieur sur le marché chinois à celui qu’elles font sur le marché américain.

De surcroît, le marché chinois, surtout avec le passage aux moteurs hybrides et électriques, leur offre des perspectives beaucoup plus prometteuses. La France, de son côté, se contentera d’ambitions plus modestes comme, par exemple, l’investissement dans les maisons de retraite chinoises. Cet accord en dit aussi long sur l’état des rapports de force entre Berlin et Paris.

Nous sommes à la remorque de l’Allemagne et, compte tenu des écarts qui se sont creusés à la faveur de la crise sanitaire entre nos deux pays, les choses risquent d’empirer en notre défaveur au cours des prochaines années.

source : Le Figaro

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