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Libre échange : l’accord UE-Mercosur une nouvelle fois repoussé

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Le Monde | 4 December 2023

Libre échange : l’accord UE-Mercosur une nouvelle fois repoussé

Par Virginie Malingre

Jusqu’au bout, la Commission, chargée de négocier les accords commerciaux, y a cru. Elle avait identifié « une rare fenêtre d’opportunité » pour conclure un traité de libre-échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), après près de vingt-cinq ans de discussions, et comptait bien en forcer l’ouverture. Las ! Le sommet du Mercosur, prévu à Rio de Janeiro le 7 décembre, dont l’exécutif communautaire espérait qu’il permettrait enfin d’aboutir, a été annulé.

L’Argentine a en effet fait savoir, samedi 2 décembre, qu’elle ne s’engagerait pas avant l’investiture de son nouveau président, Javier Milei, prévue le 10 décembre. Pour l’élu d’extrême droite, le texte contient, en l’état, des clauses inacceptables, notamment en matière de déforestation.

Durant la campagne, Javier Milei assurait vouloir quitter le Mercosur et se passer d’un ministère de l’environnement, mais la Commission espérait jouer sur sa fibre ultralibérale et obtenir son visa politique avant qu’il prenne ses fonctions. Avec le raisonnement suivant : il pourrait se satisfaire d’un accord Union européenne (UE)-Mercosur dont bénéficierait l’économie argentine et imputer à son prédécesseur la responsabilité de chapitres environnementaux et sociaux peu compatibles avec sa doxa.

« On va continuer à négocier », commente une source à la Commission. Mais personne n’imagine Javier Milei changer d’avis à brève échéance. Et, compte tenu de la difficulté des négociateurs à parvenir au projet d’accord actuel, il semble peu probable qu’un nouveau compromis soit à portée de main.

Accidents de parcours

« Il faut se demander s’il est encore possible de faire des accords de libre-échange type Mercosur qui sont de plus en plus difficiles à conclure », commente un diplomate européen. Au-delà du volet commercial, ils comportent des dispositions environnementales, sociales, d’accès aux marchés publics et réglementaires qui sont difficilement acceptables par des pays tiers loin des standards communautaires, comme ceux du Mercosur ou les Etats africains. « Avec le Canada, le Vietnam ou la Nouvelle-Zélande [avec lesquels des accords existent], c’est plus facile », poursuit cette source.

Par ailleurs, l’UE elle-même est divisée sur le sujet. Si une majorité d’Etats membres privilégie le volet commercial de ces accords, une poignée de pays emmenés par la France – la Pologne, les Pays-Bas, la Belgique et l’Autriche – est très exigeante sur les conditions qui doivent y être attachées, et notamment celle de respecter l’accord de Paris. Or ils nécessitent une adoption à l’unanimité et un vote au Parlement européen, avant d’être ratifiés par l’ensemble des Parlements des Vingt-Sept. Ce qui multiplie les possibilités d’accidents de parcours.

Au fil des années, l’accord entre l’UE et le Mercosur « est devenu l’emblème des anti-commerce français », constate Elvire Fabry, de l’Institut Jacques Delors. Pour le camp d’en face, il incarne, à l’inverse, la capacité des Européens à continuer à s’ouvrir sur le monde. Symbole contre symbole, la bataille est rude.

Depuis l’échec du cycle de Doha, en 2006, qui a signé la fin de la libéralisation tous azimuts du commerce mondial, l’UE, dont la croissance dépend largement du reste du monde, s’est lancée dans une course aux accords bilatéraux. Elle rêvait de signer avec les Etats-Unis mais l’isolationnisme de Donald Trump a douché ses espoirs. Pas question, non plus, de pactiser avec une Chine qui ne cache pas ses volontés impérialistes. Dans ce contexte, les Européens misaient sur le Mercosur qui, par la taille des échanges concernés (120 milliards d’euros en 2022), leur offrirait l’accord de libre-échange « le plus important au monde », précise la Commission.

Nouvelle donne

En 2019, l’exécutif communautaire pensait être parvenu à ses fins. Mais, sur fond d’opposition croissante des opinions publiques aux accords de libre-échange, pour qui ils incarnent désindustrialisation et moins-disant social et environnemental, l’accord alors signé avec le Mercosur n’a jamais été ratifié. La France, la première, s’y est opposée. L’Allemagne, sensible aux sujets de développement durable, a suivi, comme le Parlement européen.

Depuis, on croyait le sujet enlisé. Mais l’élection de Lula au Brésil, qui a succédé au conservateur Jair Bolsonaro, en 2023, a changé les perspectives. La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, qui ont révélé les dangers des dépendances européennes à l’égard de pays tiers, ont donné des arguments à ceux qui, comme l’Espagne ou l’Italie, défendaient encore un accord avec le Mercosur.

D’autant que la double transition, écologique et numérique, nécessite que l’UE multiplie ses sources d’approvisionnement en matières premières stratégiques. « Il y a des enjeux géopolitiques et géoéconomiques importants à conclure un accord avec le Mercosur », analyse Elvire Fabry. « Dans le “Global South” que courtisent la Chine et la Russie, on entend de plus en plus de critiques contre cette Europe forteresse de protectionnisme vert », poursuit-elle.

Quant à l’Allemagne, paniquée face à la fragilisation de son modèle économique, avec la fin du gaz russe bon marché et la relative fermeture de la Chine où elle déversait voitures et machines-outils, elle a changé de pied. Aujourd’hui, n’en déplaise aux Verts qui font partie de sa coalition, le chancelier social-démocrate Olaf Scholz défend, lui aussi, un accord de libre-échange avec le Mercosur.

Face à cette nouvelle donne, la Commission a redoublé d’efforts pour amender le texte signé en 2019 et elle affirmait, il y a encore quelques jours, avoir obtenu du Mercosur l’engagement de respecter l’accord de Paris ainsi que certaines normes communautaires – les clauses miroirs – afin d’éviter des distorsions de concurrence. « Nous n’avons jamais été aussi proches d’un accord », commentait, le 27 novembre, la secrétaire d’Etat espagnole chargée du commerce, Xiana Méndez. Le commissaire européen au commerce, Valdis Dombrovskis, ainsi qu’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, envisageaient même de s’envoler vers le Brésil si la réunion de Rio devait être concluante.

La France relativement isolée

A l’Elysée, on suivait avec inquiétude l’évolution des discussions. « Cette logique d’un accord à tout prix est le terreau des populismes », explique l’eurodéputée macroniste Marie-Pierre Vedrenne. Alors que les sondages donnent une large avance au Rassemblement national aux élections européennes prévues le 9 juin 2024, le président sait le sujet politiquement inflammable.

« Je ne peux pas demander à nos agriculteurs et à nos industriels (…) d’œuvrer à la décarbonation de leurs activités, et dans le même temps supprimer les droits de douane sur des biens qui ne respecteraient pas ces règles », a déclaré Emmanuel Macron samedi, à Dubaï, où il participait à la COP28. Avant de poursuivre : « Quelques phrases avaient été ajoutées au début et à la fin [de l’accord Mercosur de 2019] pour faire plaisir à la France mais cela ne suffit pas. » Le président français a ajouté qu’il se rendrait au Brésil en mars, avec évidemment toujours en toile de fond cet accord avec le Mercosur.

Il aurait été compliqué pour Emmanuel Macron d’endosser la responsabilité d’un échec des discussions alors que la France est relativement isolée et que la plupart de ses partenaires européens, Berlin en tête, militent pour un accord avec le Mercosur. « D’une certaine manière, il vaudrait mieux que le Mercosur fasse le sale boulot, que l’échec des discussions lui soit imputable », prévenait, il y a quelques jours, un diplomate européen. Il a été entendu.


 source: Le Monde