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Pourquoi le traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande est-il nocif ?

Photo: US Embassy New Zealand / CC0 1.0 DEED

l’Humanité | 3 décembre 2023

Pourquoi le traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande est-il nocif ?

par Latifa Madani

L’UE signe et applaudit un accord en contradiction avec l’ambition climatique qu’elle prétend défendre.

Maxime Combes
Économiste chargé des enjeux commerce/relocalisation à l’Aitec (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs)

Quelques jours avant la COP28 sur le climat, l’Union européenne (UE) a achevé les procédures de ratification de l’accord de libéralisation du commerce avec la Nouvelle-Zélande (NZ). Alors que l’UE se présente comme fer de lance de « l’ambition climatique », la contradiction saute aux yeux : comment justifier d’importer d’un pays situé à 20 000 km des dizaines de milliers de tonnes de produits agricoles que l’on produit déjà ici ? Interrogés à ce sujet, les eurodéputés qui ont voté en faveur de cet accord, tels Pascal Canfin, Marie-Pierre Vedrenne ou Nathalie Loiseau, n’y arrivent d’ailleurs pas.

Cette contradiction est d’ailleurs confirmée par les données de l’étude d’impact publiées par la Commission européenne. En éliminant l’essentiel des droits de douane existants, cet accord pourrait générer une hausse de 23 % et 30 % des exportations respectives de l’UE et de la NZ vers l’autre partie : « Les flux commerciaux supplémentaires entraîneront une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) dues au transport de marchandises », pointe l’étude d’impact. Voilà qui est clair. Par ailleurs, « la hausse attendue de la production dans certains secteurs en NZ et au sein de l’UE » suite à la mise en œuvre de cet accord va générer « une augmentation de l’ensemble des émissions de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (NO2) », en raison de « l’intensification des activités agricoles » attendues en NZ.

Ignorant ces données, les promoteurs de cet accord, tel l’eurodéputé du groupe Renew Pascal Canfin sur France Inter, affirment que ce traité « est un progrès pour le climat » parce que l’accord de Paris sur le climat est désormais dûment mentionné comme clause essentielle dans le chapitre sur le développement durable. Est-ce un progrès ? Oui. Mais c’est un progrès qui en dit plus sur l’insoutenabilité des accords passés (Vietnam, Corée, Japon, etc.), en cours de négociation (Mercosur, Cambodge, Philippines, Indonésie, Inde, etc.) ou en cours de finalisation (Chili, Mexique), pour lesquels ce n’est pas le cas, que sur la prétendue exemplarité de celui-ci.

Pourquoi ? Parce que seule une violation grave et assez improbable de l’accord de Paris, tel qu’un retrait unilatéral, pourrait justifier la suspension de cet accord de commerce. Mais l’augmentation des flux commerciaux n’est pas conditionnée à la réduction des émissions de GES. Pas plus qu’à l’amélioration des droits sociaux. Si UE et NZ n’atteignent pas leurs objectifs de réduction d’émissions de GES, l’accord ne sera pas pour autant suspendu ou les flux commerciaux réduits.

Pire, les violations des engagements pris sur la biodiversité, les subventions aux énergies fossiles, la lutte contre la déforestation et la surpêche, l’égalité des sexes, etc., ne pourront pas être l’objet de sanctions. Il s’agit toujours d’accroître les flux commerciaux sans qu’ils soient conditionnés à une amélioration des conditions sociales et écologiques dans lesquelles sont produits les biens et services concernés.

Un accord dramatique pour les paysans et paysannes européens et à contre-courant de la lutte contre le changement climatique et l’érosion de la biodiversité.

Laurence Marandola
Porte-parole de la Confédération paysanne

Malgré la forte mobilisation des organisations paysannes et de la société civile, le Parlement européen puis le Conseil des ministres du Commerce ont adopté l’accord de libre-échange (ALE) UE-Nouvelle-Zélande. Ce nouvel ALE, qui inclut l’agriculture, va accentuer l’érosion de la souveraineté alimentaire et des revenus paysans. C’est également une décision à l’opposé des mesures nécessaires pour atténuer le changement climatique et sauvegarder la biodiversité.

Cet accord prévoit notamment une suppression totale de droits de douane sur de nombreux produits agricoles : kiwis, pommes, oignons, miels… et des contingents importants sur la viande bovine (10 000 tonnes), viande ovine (38 000 tonnes), beurre (15 000 tonnes), fromages (25 000 tonnes) et lait en poudre (15 000 tonnes). Pourquoi importer de l’agneau néo-zélandais, produit à plus 18 000 km, quand il pourrait venir de l’alpage européen à l’heure où, par exemple, la filière ovine connaît de grosses difficultés ? Ce phénomène pousse davantage encore à la spécialisation de l’agriculture et donc à son intensification et ses externalités économique, sociale et environnementale négatives.

Comment le Parlement européen, qui a soutenu le Green Deal, peut-il cautionner des prix agricoles toujours plus tirés vers le bas ? Il faut arrêter cette croyance aveugle dans le dogme du libre-échange qui met en concurrence les paysan·nes entre eux et les empêche de tirer un revenu décent de leur activité. Ces accords sont autant de coups de poignard à la souveraineté alimentaire pourtant sur toutes les lèvres des dirigeants européens.

Ne nous trompons pas, les ALE anéantissent tout espoir de relocalisation de notre agriculture pour faire vivre nos territoires et rémunérer le travail paysan. Et cette situation vaut pour l’Europe comme pour la Nouvelle-Zélande, de plus en plus confrontée à des problèmes environnementaux et de spéculation foncière. L’Europe doit cesser d’être favorable à l’augmentation des échanges commerciaux mondiaux alors que la planète brûle.

La propre étude d’impact de la Commission européenne signale que cet accord commercial augmentera significativement les émissions de gaz à effet de serre. Mercosur, accord UE-Australie, UE-Chili, de nombreux accords de libre-échange sont encore dans les tuyaux. Nous devons continuer à les combattre ! Pour la Confédération paysanne et son réseau européen Via Campesina, le Parlement européen doit réformer le commerce agricole et alimentaire afin de respecter la déclaration des Nations unies sur les droits des paysan·nes et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

D’autres échanges internationaux sont possibles. Ils passent par la solidarité, par le respect du droit à l’alimentation et par la mise en œuvre de la souveraineté alimentaire qui désigne le droit des populations, de leurs États ou unions à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping vis-à-vis des pays tiers. La souveraineté alimentaire suppose donc une rupture totale avec l’organisation économique actuelle des marchés agricoles.


 source: l’Humanité