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Soixante nuits dans la rue !

Alternatives (Canada) | mercredi 2 juillet 2008

Soixante nuits dans la rue !
Portrait d’une incroyable mobilisation populaire

par Michel LAMBERT

Séoul - 21h00 ce 2 juillet 2008. Depuis plus d’une heure, se sont succédés au micro les portes paroles de dizaines d’organisations populaires : groupes de femmes, syndicats, associations étudiantes, etc... Mais surtout, comme le cœur même de leur mouvement, ce sont des citoyens-es qui tour à tour se présentent sur l’estrade pour réaffirmer qu’ils n’accepteront jamais les récentes concessions faites au géant américain.

Le premier avril 2007, les États-Unis et la Corée du Sud concluaient un gigantesque pacte bilatéral de libre-échange. La Corée du Sud, 10e économie mondiale et 7e plus important partenaire commercial des États Unis abaissait ainsi les dernières barrières protégeant son marché intérieur des produits américains. Mais depuis, la mise en œuvre tarde, car en 2003, la Corée avait imposé un strict embargo sur le bœuf américain en raison des risques d’une contamination à la maladie de la vache folle. Avant 2003, la Corée du Sud importait 850 millions de dollars de viande bovine, ce qui en faisait le troisième marché mondial pour les producteurs américains.

En avril dernier, le gouvernement conservateur du nouveau président sud-Coréen, Lee Myung-bak, élu à peine trois mois plus tôt, cède finalement aux pressions américaines et signe discrètement une entente ré-autorisant l’importation en Corée de bœuf américain, condition sine qua non au maintien de l’accord de libre-échange de 2007.

Le 2 mai, quelques milliers de citoyens convaincus que le président Lee a placé la conclusion d’un accord de libre-échange avec les États-Unis au-dessus de la sécurité alimentaire de la population, et armés d’autant de bougies, organisent une vigile en plein centre ville de Séoul pour réclamer, minimalement, une renégociation complète de l’accord. Le lendemain, ils sont le double, puis le triple le jour suivant et la mobilisation se poursuit depuis. Certains soirs, il sont 15 000 ou 20 000, certains autres, près de 80 000. Chaque soir, des jeunes, filles et garçons et leurs parents, des étudiants et leurs enseignants, des hommes d’affaires et leurs clients, etc.. allument une bougie au centre ville et viennent crier leur désaccord. Les estimations de part et d’autres vont bon train, et le mardi 10 juin, plus de cent mille personnes (selon le gouvernement) et près d’un demi million (selon les manifestants) sont rassemblées dans les rues de la capitale alors que des milliers d’autres se sont mobilisés dans le reste du pays malgré une violence policière et une répression jamais vue en 20 ans comme le note la presse locale ! Des centaines de manifestants ont été arrêtés et blessés.

Des internautes ont lancé une pétition qui a rapidement dépassé le million de signatures. Même à ce niveau, le gouvernement a entrepris des représailles et a fermé des dizaines de sites communautaires. Les sites et portails associatifs ont été bloqués, les pages permettant l’échange de photos et de vidéos censurés, surtout ceux montrés l’incroyable violence policière tout aussi démesurée qu’absurde !

Le président Lee est enfin monté au créneau. Après quelques discours de mépris, puis deux autres d’excuses tout autant sans effet, il a fait état d’un échange téléphonique avec Georges W. Bush, qui lui aurait promis de s’assurer que le bœuf exporté serait sain. Ouf !

En appui aux protestations populaires, les partis d’opposition ont refusé de siéger au Parlement et au lendemain de la grande manifestation du 10 juin, plusieurs membres du gouvernement présentaient leur démission. Le 16 juin, le Président annonçait le limogeage de plusieurs ministres incluant ceux de l’agriculture, de la santé, des affaires étrangères et des politiques économiques. Le 20, alors qu’il se préparait à recevoir Condeliza Rice, le Président remplaçait sept haut conseillers de son bureau et annonçait un remaniement ministériel complet.

Hier soir, pour marquer la soixantième nuit de leur mouvement, les manifestants ont réclamé la démission du président conservateur Lee Myung-bak ainsi que celle de son gouvernement.

Michel Lambert, Directeur d’Alternatives, est en mission à Séoul à l’invitation de partenaires Sud-coréens


 source: Alternatives