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L’accord de libre-échange avec le Canada contesté devant le ministère de l’Agriculture

Reporterre | 11 octobre 2016

L’accord de libre-échange avec le Canada contesté devant le ministère de l’Agriculture

par Barnabé Binctin

Paris, reportage

Plusieurs associations opposées au traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne ont mené ce matin une action devant le ministère de l’Agriculture. Programmée pour le 27 octobre, la signature officielle du Ceta ouvrirait la porte à une libéralisation massive de l’agriculture et à une fuite en avant dans la logique productiviste.

« Ceta – Permis de démolir. » Le message est affiché clairement, sous le fronton du ministère de l’Agriculture. Combinaisons blanches et casques de travail, plusieurs ouvriers s’activaient, tôt ce mardi 11 octobre, aux préparatifs du chantier, rue de Varenne, à Paris. Un chantier évidemment « interdit au public ». Cerné de rubalise, encerclé de grillage, le bâtiment ministériel a vu ses fenêtres placardées de ses faux-panneaux de permis de travail, sur lesquels on pouvait lire : « Bénéficiaire : les multinationales. Nature des Travaux : Transfert au ministère de l’Industrie. Superficie du terrain : 28 millions d’ha. Le dossier peut être consulté sur le bureau de Matthias Fekl. »

Un démantèlement de l’agriculture française ? « Nous allons tout simplement perdre le contrôle de notre politique agricole si l’on signe le Ceta », explique Thomas Borell, chargé de mission Tafta aux Amis de la Terre. « Ce traité promet une destruction en règle de l’agriculture française », poursuit Emmanuel Aze, secrétaire national à la Confédération paysanne et arboriculteur dans le Lot-et-Garonne. Aux côtés d’Attac, les deux associations organisaient ce matin cette action pacifique pour dénoncer les « lobbys du commerce » et leur représentant, Matthias Fekl, le secrétaire d’Etat chargé au commerce extérieur, qui font planer avec le traité de libre-échange UE-Canada d’importantes menaces sur l’avenir de la profession agricole, et ses 28 millions d’ha de terres en France.

« Il faut sensibiliser nos concitoyens aux nombreux risques du Ceta », lance au micro Dominique Plihon, porte-parole d’Attac. L’accord avec le Canada reste encore, certes, moins connu que son jumeau le Tafta. « Il est loin d’être abandonné, disons plutôt qu’il est suspendu. Mais si le Ceta venait à être signé, cela pourrait bien relancer le processus », met en garde Emmanuel Aze.

Quoiqu’il en soit, les dangers restent semblables. « Le Ceta comporte toutes les dispositions promises dans le Tafta, qui nuiront à l’environnement, à la qualité de vie, à l’emploi ou aux services publics en Europe comme en Amérique du Nord, écrivait ainsi Amélie Canonne dans une tribune publiée sur Reporterre, le mois dernier. Il comprend aussi une version à peine édulcorée du fameux “ISDS”, qui conserve intact l’arbitrage d’investissement et assure des privilèges inacceptables aux multinationales canadiennes ».

Pouvoir exorbitant des investisseurs privés sur les représentations nationales, manque de transparence dans les négociations –, incohérence avec les objectifs de la COP21,… Les motifs de contestation de ces accords de libre-échange ne manquent pas. Tout comme en agriculture, et notamment en matière d’élevage.

Importation massive de viande bovine et porcine

En cause, le volet douanier de l’accord, qui fait à la fois tomber plusieurs taxes tout en augmentant le contingent d’importation autorisé : de 6.000 tonnes de porc canadien par an, taxé entre 0,23 et 0,43 euro le kilo, actuellement, le Ceta ouvra la voie à 81.000 tonnes annuelles, à droit nul. Idem pour la viande bovine, qui verrait son quota augmenter de 50.000 tonnes pour atteindre les 65.000 tonnes exonérées de droits de douane…

« Cette mise en concurrence des paysans français avec le système canadien n’a d’autre objectif que de réduire toujours plus les coûts de production, et donc de tirer vers le bas les pratiques européennes », décrypte Thomas Borell. « C’est une ineptie d’envisager d’étendre encore la surface de compétition alors même qu’on a sous les yeux une crise massive de l’élevage en Europe, sous l’effet d’une politique de l’offre qui fait déjà s’effondrer les coûts de productions locaux », confirme Emmanuel Aze.

Une logique qui aurait une conséquence évidente : « En privant les États et les collectivités publiques des instruments nécessaires pour soutenir spécifiquement une agriculture locale, rémunératrice et respectueuse de l’environnement, cet accord devrait pousser à l’industrialisation de l’agriculture des deux côtés de l’Atlantique », explique un document corédigé par l’Aitec, les Amis de la Terre, Attac, la Confédération paysanne et la Fondation Nicolas Hulot sur « les menaces du traité de libre-échange avec le Canada sur l’agriculture française » (disponible ici). « En France, les ferme-usines restent encore une exception ; avec le Ceta, elles pourraient devenir la règle », résume Thomas Borell. Avec les enjeux qu’ont leur connaît : « Destructions d’emplois, qualité douteuse de l’alimentation, etc. » résume Dominique Plihon.

Outre la suppression des barrières douanières, le processus dit de « convergence des normes » ouvre la porte à d’autres menaces pour l’agriculture : « C’est le cas emblématique des OGM, rappelle Thomas Borell. Le Canada en est le 3e producteur mondial et fin juillet, il a fait accepter la mise sur le marché européen de nouvelles variétés de soja modifié par la Commission européenne... ». Les mesures de protection environnementale les plus essentielles se verraient ainsi menacées, comme l’interdiction des néonicotinoïdes inscrite dans la récente loi de biodiversité.

Alors qu’un document interne a fuité ces derniers jours sur internet, le texte du Ceta serait prêt à l’examen du Conseil européen qui doit l’approuver la semaine prochaine, le 18 octobre. Avant sa signature officielle, programmée pour le 27 octobre. D’ici là, un nouvel appel à mobilisation est prévu le week-end prochain dans plusieurs villes en France. Un combat qui, en matière d’agriculture en tout cas, pourrait se révéler plus fédérateur que prévu : ce mardi après-midi , Jean-Pierre Fleury, le président de la fédération Nationale Bovine, branche de la FNSEA, doit participer à l’Assemblée nationale à une conférence sur le Ceta pour exprimer ses craintes du traité de libre-échange.


 source: Reporterre