L’accord de libre-échange du Partenariat économique régional Global (RCEP) sera néfaste aux droits des femmes par bien des aspects : contrôle des terres et des ressources, droit du travail, accès aux services publics ainsi qu’aux actions positives en leur faveur.
Les femmes constituent la majeure partie de l’agriculture de subsistance, mais se voient continuellement refuser l’accès et le contrôle aux terres et ressources. L’une des propositions évoquées par le RCEP permettra aux gouvernements de traiter les investisseurs étrangers comme les locaux. Cela signifie que les grandes sociétés pourraient confisquer des terres, déplacer les petits fermiers vivant de la subsistance, particulièrement les femmes, qui n’ont habituellement pas les titres de propriété de leurs terres. Cela signifie également que les femmes, qui font vivre la majorité des exploitations de petite taille, ne pourront pas concurrencer les grandes sociétés agro-alimentaires. Les droits à la propriété intellectuelle vont criminaliser le partage de semences entre fermiers, et l’on assistera à une augmentation du vol de semences détenues par les femmes ainsi que du savoir local, tel qu’on a déjà pu l’observer dans plusieurs pays négociant le RCEP. Les femmes dépendantes de l’échange de graines et autres échanges entre petits fermiers seront forcées de quitter leurs fermes et perdront le contrôle de leurs terres et la possibilité de les exploiter. Ce qui aura un impact direct sur la souveraineté alimentaire de leurs familles et de leur communauté.
Les femmes comptent davantage sur les prestations et services publics que les hommes. N’importe quelle coupe dans les services publics obligera les femmes à compenser ce manque à gagner par un surcroît de travail, non rémunéré, alors que l’instauration de frais sur les services publics viendra très probablement des poches des femmes comme pourvoyeuses primaires de soins au sein de leur famille. Le RCEP poussera à la privatisation nombre de ces services, entravant l’accès des femmes à ceux-ci. La réduction tarifaire, par exemple, affectera très sérieusement les revenus publics avec comme conséquence un accroissement des dépenses publiques. Le RCEP pourrait aussi introduire de nouvelles lois portant sur la propriété intellectuelle, donnant ainsi aux compagnies pharmaceutiques des avantages ainsi que des droits de propriétés sur la médecine sans aucune régulation. Cela affaiblira l’accès à une médecine abordable pour de nombreuses personnes et en particulier les femmes, qui ont tendance à sacrifier leur accès à la médecine et aux soins au profit des membres de leur famille.
Les entreprises opérant sur les chaines de valeur mondiales ont été dépendantes de la dévaluation du travail féminin et de leurs salaires pour faire des profits. Un accord de libre-échange tel que le RCEP a été créé afin de profiter d’une plus grande compétition des marchés ainsi que d’une main d’œuvre bon marché dans les pays signataires. C’est une course à l’abîme, avec les femmes en bout de course. Les femmes travailleuses seront plus vulnérables aux violations des droits du travail et aux baisses de leurs salaires. N’importe quel changement dans leurs conditions salariales et de travail pourrait amener les compagnies transnationales à faire usage du ISDS, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats, afin de poursuivre les gouvernements dans des tribunaux secrets si ceux-ci passent des lois pouvant enfreindre le processus d’accumulation de profits desdites entreprises.
Cela pourrait empêcher les gouvernements d’implanter des politiques de discrimination positive, une politique pourtant reconnue par de nombreux traités de droit international ainsi que des conventions, notamment le CEDAW, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Ce dernier exige des gouvernements de mettre en place des politiques et des actions contrant les discriminations envers les femmes, mais pas uniquement. Les entreprises ont utilisé les mécanismes de l’ISDS par le passé afin de poursuivre des gouvernements dont la politique de discrimination positive interférait avec leurs profits. Une autre menace vient d’une révision de la rubrique relative aux marchés publics. Cette rubrique pourrait permettre aux investisseurs étrangers d’être traités comme des investisseurs locaux lors de l’accès aux marchés publics (sauf le secteur de la défense). Cela annulerait la préférence aux entreprises locales. Ce qui signifie que les avantages accordés par les gouvernements au bénéfice des femmes, tels que la diminution des impôts fonciers pour les femmes propriétaires, ou l’achat de certains matériels à des femmes locales seront interdits, sauf si ces avantages sont aussi étendus aux investisseurs étrangers.
Contribution de Diyana Yahaya, chargé de programme, APWLD (Avril 2018) ; traduction par Eugénie Clément Picos